2e dimanche de Pâques, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

DIMANCHE : « JOUR DE FÊTE PRIMORDIAL »   (Concile Vatican II)


Les 4 évangiles concordent : les disciples ont découvert que Jésus était ressuscité le lendemain du sabbat, que l'on appelle «  1er jour » puisque les Juifs n'avaient pas de noms spéciaux pour les jours de la semaine.
Ce jour devenu du coup tout à fait extraordinaire, les disciples le dénommèrent « Jour du Seigneur », et ils décidèrent de le fêter non chaque année au jour anniversaire de la Pâque juive, mais chaque semaine. Le rythme hebdomadaire juif (1erjour, 2ème, 3ème ..., 7ème = sabbat) fut donc modifié : 1er jour = jour du Seigneur = fête = dimanche......puis 2èmeetc. La semaine chrétienne débutant par le dimanche, le nom « week-end » s'applique donc en fait à vendredi-samedi (bonne habitude à prendre !)
Comment les premiers disciples décidèrent-ils de célébrer ce Jour premier ? En se réunissant. Puisque Jésus avait dit : « Je vous donne un commandement nouveau : aimez-vous les uns les autres comme je vous ai aimés » (Jean 13, 34), la conséquence directe du mystère pascal de mort et résurrection était l'union visible des brebis autour de leur Bon Pasteur. La résurrection de Jésus ne se prouvait ni par le constat du tombeau vide ou de nouvelles apparitions ni ne se définissait par une formule dogmatique. Lorsque, quelque part, le dimanche, des hommes et des femmes de tous âges, de toutes conditions sociales, de toutes nations, de toutes langues, se réunissent, ils manifestent par ce fait même que le projet de Jésus a réussi puisque Jésus est mort « pour réunir les enfants de Dieu dispersés » (Jean 11, 52) et que nous devenons les membres de son Corps (1 Cor 12, 27). Passion, Résurrection, Assemblée, Eucharistie et Dimanche sont inséparables. L'évangile de ce dimanche nous prouve l'origine de cette foi.

JEAN 20 : APPARITION DU RESSUSCITE AU SOIR DE PÂQUES

« Le soir du premier jour de la semaine, les disciples avaient verrouillé les portes du lieu où ils étaient car ils avaient peur des Juifs. Jésus vint : il était là au milieu d'eux. Il  dit : « La Paix avec vous » et il leur montra ses plaies. Les disciples furent remplis de joie.
Il répéta : « Paix à vous. De même que le Père m'a envoyé, je vous envoie ». Il souffla sur eux : « Recevez l'Esprit-Saint et allez remettre les péchés ».
Depuis lors, à cet exemple, le dimanche, les disciples se rassemblent en un lieu. Ils écoutent la Bonne Nouvelle, ils actualisent la présence de Jésus vivant en partageant son Corps et son Sang, ils reçoivent le souffle de l'Esprit qui les recrée. La foi au Christ les libère de leurs peurs, les extrait de leur solitude, les comble d'allégresse puisque la Passion de Jésus est source de leur paix. Et guéris de leurs appréhensions, pleins d'assurance, par la force de l'Esprit, ils se dispersent pour aller partout annoncer la Bonne Nouvelle. Moqueries et menaces ne leur font plus peur : leur expérience est telle qu'ils brûlent de la partager.
Cette mission n'est pas simple, elle rencontre des échecs.

L'un des 12, Thomas, était absent. Ils lui disent : «  Nous avons vu le Seigneur ». Il déclara : «  Si je ne vois pas dans ses mains les marques des clous, non, je ne croirai pas ».
Ainsi onze apôtres, unanimes, convaincus, ne parviennent pas à convaincre leur confrère ! Ne nous étonnons donc pas que tous nos arguments, toutes nos tentatives se brisent devant le scepticisme de nos jeunes.

Huit jours plus tard, les disciples étaient dans la maison et Thomas avec eux. Jésus vient,  il était là au milieu d'eux....Il dit à Thomas : « Avance ton doigt... : cesse d'être incrédule, sois croyant ».
Thomas dit : « Mon Seigneur et mon Dieu ».
Jésus lui dit : « Parce que tu m'as vu, tu crois. Heureux ceux qui croient sans avoir vu »
Thomas est vaincu non par des affirmations réitérées mais parce qu'il accepte d'aller à la réunion de la semaine suivante, c.à.d. « le dimanche » suivant. Il doit rejoindre la communauté, approfondir avec les autres le sens de la croix, constater que ses frères sont vraiment libérés de leur angoisse, que la paix qui les inonde n'a d'autre source que la croix, que la Passion de Jésus l'a rendu Seigneur qu'aucune barrière n'arrête. Alors lui aussi peut confesser sa foi.
Thomas nous dirait aujourd'hui qu'il ne faut plus demander d'apparitions, exiger des preuves mais faire confiance aux femmes et hommes qui ont fait l'expérience de Jésus ressuscité.  Il reste à participer à l'Eucharistie dominicale où tout incrédule est invité par des disciples  qui chantent leur joie d'être pardonnés et se réjouissent d'aller dans le monde pour annoncer et donner le pardon. Alors l'ancien incrédule peut goûter le bonheur de croire sans voir.
D'autres passages montrent l'importance capitale du « dimanche », jour qui est une invention chrétienne.

EVANGILE DE LUC : LES DISCIPLES D'EMMAÜS

Ces deux disciples eux aussi refusaient d'accorder foi aux femmes qui annonçaient la Résurrection de Jésus. Le maître qui devait rendre à Israël son indépendance, avait échoué : il n'y avait plus qu'à rentrer à la maison. Mais, en ce 1er jour de la semaine, un inconnu les rejoint sur la route et leur propose de reprendre le procès Jésus, de relire les Ecritures, de chercher à en percer une interprétation plus profonde. La croix était-elle la fin odieuse d'un imposteur ou le don d'amour du Serviteur de Dieu ? La libération était-elle la défaite des Romains ou la sortie de la prison universelle du péché ?
Perplexes, les marcheurs progressent dans leur réévaluation et ils invitent l'étranger chez eux. Tout à coup, au contraire de toute convenance, c'est lui qui prend le pain, le rompt et le leur offre. Il a disparu mais maintenant ils ont compris : la croix était amour, la résurrection était pardon. Bouleversés, les deux jeunes gens rebroussent chemin et, à Jérusalem, ils retrouvent Pierre et les autres. La communauté éclatée se reconstitue. Elle grandira au rythme des assemblées dominicales où l'on est illuminé par la cohérence des Ecritures et alimenté par le Pain qui est fractionné afin que l'Eglise ne le soit plus.

PAUL : LA MESSE DU DIMANCHE A CORINTHE EN L'AN 55

Paul rappelle à la communauté de Corinthe ce qu'il leur avait appris dès la fondation (années 51 /52) : « Le Seigneur Jésus, dans la nuit où il fut livré, prit du pain... » (1 Cor 11, 23). Les chrétiens se réunissent  bien « le 1er jour de chaque semaine » (16, 2) ; mais Paul les apostrophe sèchement car, lors de ces assemblées, les disciples reconstituent leurs divisions sociales : ils se regroupent par affinité, les riches d'un côté, les pauvres de l'autre. « Vos réunions vous font du mal, dit-il, ce n'est pas le Repas du Seigneur que vous prenez...Méprisez-vous l'Eglise de Dieu ?...Celui qui mange et boit sans discerner le Corps du Christ mange sa propre condamnation » (1 Cor 11, 17-28). Les disciples « discernaient » bien que le Pain rompu était le Corps du Christ mais, par leurs divisions, ils ne « discernaient » pas que le partage de ce Pain devait accomplir et manifester une assemblée où tous se rejoignaient comme frères et s½urs.
Le dimanche est la réalisation initiale et prophétique d'une humanité qui surmonte ses divisions, ses antipathies et ses racismes pour devenir unie. « Père, que tous soient UN  comme Toi en moi et moi en Toi, afin que le monde croie » (Jn 17, 21).
L'Eucharistie, mémoire de la Passion et fête de la résurrection, crée la communion fraternelle et du coup réalise une Eglise missionnaire - car la première mission est l'unité des croyants.

L'APOCALYPSE (2ème lecture)


Vers la fin du 1ersiècle, Jean, évêque d'Ephèse, est arrêté et exilé. Tout à coup le Ressuscité lui apparaît :
« Moi, Jean, votre frère dans l'épreuve, je me trouvais à Patmos à cause de la Parole du Seigneur et du témoignage rendu à Jésus. Au jour du Seigneur, je fus saisi par l'Esprit...Je me retournai et... je vis comme un Fils d'homme...Il me dit : « Ne crains pas...je fus mort et je suis vivant pour les siècles des siècles, et je tiens les clefs de la mort » (1, 9-18). On persécute les chrétiens mais le Christ vivant ne les abandonne jamais : il les rejoint chaque dimanche et les remplit de force pour comprendre ce qu'ils vivent et endurent.

La méditation de ces scènes suffit à comprendre que le dimanche et sa messe ne sont pas un ordre mais l'effet immédiat de la Pâque du Christ. Cherchons comment convertir nos célébrations qui, si souvent, semblent une corvée où l'on vient sans désir, que l'on subit en silence et que l'on fuit en hâte.

Dimanche de Pâques

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : A, B, C
Année: 2012-2013

« JE FUS MORT ET JE SUIS VIVANT POUR LES SIÈCLES » (Apoc 1,18)

CHRIST EST RESSUSCITE ! Ce matin les cloches sonnent à toute volée et envoient le message jusqu'au bout du monde. ALLELUIA c.à.d. « Louez Dieu », acclamez sa grandeur, chantez son amour. Non parce que nous sortons de l'hiver et du froid pour passer dans la lumière du printemps, mais, bien plus profondément, parce que Jésus, le Messie, est sorti de l'obscurité du tombeau pour passer dans la Vie transfigurée. Sa Pâque est la promesse de la nôtre. Mieux : elle en est le commencement. Fête du passage, elle est la Bonne Nouvelle, le c½ur de notre foi. Sans Pâques, le christianisme devient une religion, son programme se réduit à une morale, sa mission à une propagande. Et d'ailleurs il n'existerait pas et Jésus serait un inconnu.
« Si le Christ n'est pas ressuscité, notre prédication est vide, et vide aussi votre foi » écrivait saint Paul aux chrétiens de Corinthe où certains, déjà,  doutaient de cette affirmation (1 Cor 15, 14). L'apôtre avouait que lui aussi, jeune pharisien à Jérusalem, il enrageait lorsqu'il apprit que certains de ses compatriotes commençaient à répandre cette nouvelle. Que ce Iéshouah, paysan de Galilée, condamné par le grand tribunal d'Israël et exécuté sur une croix -horreur et ignominie ! - soit affirmé comme vivant, ressuscité, véritable Messie, voilà qui était absolument incroyable, ridicule et blasphématoire. Il fallait arrêter au plus vite cette hérésie. Paul s'élança vers Damas, bien décidé à ramener prisonniers ces idiots qui confessaient pareille ânerie. On connaît la suite : l'homme parti en colère arriva en pleurant, demandant la grâce d'être accueilli dans ce groupe qu'il voulait anéantir. Il était convaincu : il « l' » avait rencontré.
Oui Jésus était vivant, pas réanimé mais ressuscité. Il n'avait pas foudroyé son adversaire : au contraire il s'était révélé à lui comme Seigneur et même comme présent dans ses disciples (« Pourquoi ME persécutes-tu ? ») et en outre, il l'avait embauché pour devenir son apôtre dans toutes les nations. Désormais l'ancien persécuteur qui avait applaudi à la lapidation d'Etienne n'eut plus qu'une passion : annoncer Jésus, le crucifié-ressuscité, et fonder partout des communautés. Rien n'était plus urgent, plus nécessaire pour l'avenir du monde. Après  20 siècles, la communauté chrétienne de Corinthe existe toujours et continue à chanter comme en ses premiers jours : « Xristos anèsti...CHRIST EST VIVANT ALLELUIA ».

Certains expriment encore leurs soupçons : « Ne serait-ce pas l'invention des apôtres qui, déçus et écrasés par la crucifixion de leur maître, auraient inventé cette légende ? ». Mais en ce cas, ces hommes se seraient arrangés pour émettre des récits identiques. Or les finales des évangiles sont loin de concorder. Marc, le premier à publier un livret, le termine en disant que les femmes, en ce matin, ont découvert un tombeau vide, y ont reçu le message que Jésus vivait et qu'il fallait l'annoncer aux apôtres : or, dit-il, « tremblantes et bouleversées, elles ne dirent rien à personne tellement elles avaient peur ». (Marc 16, 8).
Il n'est pas si simple de rendre compte de la Résurrection : ne nous étonnons pas de nos doutes et de nos difficultés à exprimer ce message.

En outre, en ce temps-là, commencer à croire en Jésus Seigneur vivant était une démarche douloureuse et périlleuse. La conversion entraînait des ruptures familiales : parents et enfants, frères et s½urs  se disputaient, se séparaient, se dénonçaient parfois. Le converti était l'objet de sarcasmes de la part des voisins, chassé de la synagogue, suspect aux yeux du Pouvoir impérial qui espionnait cette « superstition » nouvelle. Il voyait parfois sa carrière brisée,  il devait comparaître devant le tribunal, parfois expédié en prison, parfois même condamné à mort. Un jour on apprenait que Pierre avait été crucifié à Rome, que d'autres disciples avec lui, enduits de poix, avaient brûlé comme des torches, sur ordre de Néron, un autre jour que Paul avait été décapité. Mais rien n'arrêtait l'expansion de la foi : puisque Jésus avait traversé la mort pour entrer dans la Vie, nous aussi, les croyants, nous participerons à sa victoire.
C'est ainsi que Paul, en prison, pressentant qu'on va sans doute le condamner à mort, écrit à sa communauté effrayée par cette issue : «  Maintenant comme toujours le Christ sera exalté en mon corps, soit par ma vie soit par ma mort. Car pour moi, vivre c'est le Christ et mourir m'est un gain......J'ai le désir de m'en aller et d'être avec le Christ » (Phil 1, 20-23).
Les premiers chrétiens n'envisageaient pas de devenir une Eglise imposante, d'édifier partout des monuments, d'être reconnus comme bienfaiteurs de l'humanité, de prendre le pouvoir pour imposer leurs croyances. Et d'autre part ils ne fuyaient pas le monde : ils se mariaient, élevaient leurs enfants, exerçaient leurs professions, accomplissaient leurs devoirs civiques (sauf adorer la statue de l'Empereur).
Ils ne rêvaient pas d'une apparition de Jésus : les Apôtres leur avaient appris que c'était eux qui devaient être cette apparition. En effet jamais leur foi n'était une opinion cachée, individuelle : partout, à Rome comme à Corinthe, en Syrie comme en Egypte, ils formaient des communautés où l'on partageait, entre frères et s½urs, ses joies et ses peines, ses angoisses et ses soucis. Certes cet idéal de la charité - commandement essentiel du Maître- n'était pas facile à vivre et toutes les lettres des apôtres montrent combien il fallait sans cesse exhorter les baptisés à demeurer ensemble.
C'était bien Pâques qui créait et maintenait leur communion. Aussi, très vite, on décida de célébrer la fête non chaque année à la première lune de printemps (comme la Pâque juive) mais bien chaque semaine, chaque lendemain du sabbat, jour où, pour la première fois, des femmes et des hommes avaient expérimenté que Jésus était ressuscité.
En ce jour appelé « Jour du Seigneur » - en latin « domenica dies » - en français « DIMANCHE », les baptisés se réunissaient pour écouter les enseignements des apôtres : ils discutaient, comme les disciples d'Emmaüs, afin de mieux comprendre la volonté du Seigneur et assurer leur foi. Puis ils partageaient le Pain de Vie (non des hosties individuelles mais une galette fractionnée) car Jésus avait dit : «  Celui qui mange ma chair et boit mon sang a la Vie éternelle et je le ressusciterai au dernier jour » (Jean 6, 34).
Comme le corps du Christ était sorti vivant du tombeau, eux-mêmes sortaient de la prison de leurs péchés pour se dresser en un seul Corps, l'Eglise, communauté des vivants. Comme les rabbins le disent à propos du sabbat, on peut dire que si les chrétiens ont gardé le dimanche, c'est le dimanche qui les a gardés.

Environ 50 ans après la mort de saint Paul, un certain Pline le jeune, proconsul de la province du Pont-Bithynie (au nord-ouest de la Turquie actuelle) écrivit à Trajan, empereur de Rome de 98 à 117, une lettre qui est devenue célèbre. Il y exprime son embarras de se trouver devant des prisonniers qu'on avait dénoncés comme « chrétiens ». J'ai fait condamner, dit-il, ceux qui s'obstinaient dans leur croyance  et relâché certains qui acceptaient d'adorer les statues des dieux et d'insulter le nom du Christ. Pline interroge ses prisonniers sur leur croyance : ils ont, dit-il, « l'habitude de se réunir à des jours déterminés et avant le lever du soleil, à chanter tout à tour un hymne à la gloire du Christ comme s'il eût été un dieu ». Puis « ils se retrouvent pour prendre quelque nourriture parfaitement ordinaire et innocente ». Dans l'interrogatoire, « je n'ai trouvé que superstition folle et démesurée ».
Et il termine : « Cette contagion de superstition s'est répandue dans les villages et jusque dans les campagnes. Cependant il me semble possible d'y mettre un frein puis de s'en guérir » (cf. Pline le Jeune : « Correspondance » - éd. 10 / 18 ; Lettre 95, p. 451).
Oui ces premiers chrétiens n'avaient d'autre crime que d'adorer le Christ comme Dieu, de chanter sa gloire, de mener une vie morale irréprochable, et de partager une « nourriture innocente », l'Eucharistie. Et toute la puissance de l'Empire romain et les dictatures qui ont sévi dans l'histoire, rien n'a pu « mettre un frein » à la foi en Christ vivant et au partage, dans la joie, de son Pain eucharistique.
Car le Christ Vivant demeure dans ses frères et s½urs et lorsqu'on les met en croix, ils sont sûrs de lui ressembler et de le rejoindre dans la Vie éternelle où ils seront toujours avec lui (S. Paul).

A partir de ce dimanche jusqu'à la Pentecôte, période appelée jadis « LE GRAND DIMANCHE »,  nous avons 50 jours pour méditer le mystère et en déduire la vie en Eglise pour notre temps.
Pâques n'est pas une foi anodine et tous les pouvoirs craignent ceux qui la confessent et qui, aujourd'hui encore, dans toutes les langues, continuent à chanter ALLELUIA CHRIST EST RESSUSCITE.

Veillée pascale

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Triduum pascal
Année liturgique : A, B, C
Année: 2012-2013

Peut-être avez-vous déjà entendu parler de la loi de Murphy ! ?Le nom de cette loi vient d'un ingénieur américain --Edward Murphy-- passé à la postérité pour son extrême pessimisme. Le principe de Murphy veut que « Si une chose peut mal tourner, elle va infailliblement mal tourner. » Si vous voulez, c'est le pessimisme, la fatalité érigée en loi, en loi de retombement. ?Voilà peut-être un sentiment dans lequel nous sommes parfois emprisonnés. Une espérance déçue. Un souvenir douloureux qui refait inexorablement surface. Une peur de grandir, voire une peur de vieillir. Sans doute que cette loi de dépression était celle des disciples d'Emmaüs : leur regard sombre et triste ne parvenait plus à voir un avenir.
Et pourtant, c'est dans une rencontre inattendue, que « leurs yeux s'ouvrent» à l'espérance.

L'événement que nous célébrons en cette nuit n'est pas un retour en arrière. La résurrection n'est pas le retour du même, du vieux ou de l'identique. C'est la traversée de la mort... c'est-à-dire l'arrivée de quelque chose de radicalement NEUF ! C'est un événement qui s'accomplit chaque fois lorsque la tristesse est transfigurée en joie ; ?Quand la perte de l'être aimé n'est plus vécue comme un abandon,
mais comme un doux souvenir qui nous pousse à aimer davantage. ??C'est à cette destinée-là que nous appelle le souffle de Pâques !?
Ce à quoi nous sommes conviés, c'est à ouvrir nos yeux, pour sortir de nos morts et  faire déjà l'expérience de cette vie divine, non pas immortelle, mais éternelle, qui nous amène toujours du neuf et de l'inédit.
Jamais, pour parler de la résurrection de Jésus, les Evangiles n'utilisent le terme de seconde vie (anabiosis), de reviviscence.
La résurrection n'est pas un retour à ce qui a été, comme un passé heureux qui referait surface. La joie des disciples d'Emmaüs n'est pas celle de l'accomplissement de leur première attente. Elle est justement la disparition de leur nostalgie, cette force qui les tirait en arrière et qui mettait de la mort dans la vie. ??Au contraire, la résurrection passera toujours par l'arrivée d'un horizon nouveau, ?d'un inattendu, du dévoilement de quelque chose qui est bien là, mais reste caché. La résurrection, c'est le jaillissement d'une réalité invisible, qui nous précède, cachée dans le visible, lorsque l'indicible vient habiter nos silences, et lorsque que l'absence nous ouvre paradoxalement un sens nouveau.

C'est pourquoi, ce que nous fêtons aujourd'hui dépasse tout ce que nous pouvons imaginer. Il ne s'agit pas en cette nuit de faire mémoire, mais de découvrir qu'une promesse de bonté toujours nouvelle peut s'accomplir en nous. Finalement, aucun mot n'est à même d'exprimer adéquatement cette espérance qui dépasse par définition tous les mots.
Les mots sont toujours trop étroits pour dire l'indicible. Les premiers chrétiens, pour exprimer leur foi en la résurrection, ont d'ailleurs utilisé une multitude de mots : gloire, exaltation, réveil... ?Personnellement, j'aime l'expression de réveillance. Réveillance, car il y a de la mort et du sommeil dans nos vies. ?Il y a de la lassitude, consciente ou non, de l'endormissement, du retombement, de l'insensibilité parfois. Il y a un potentiel de vie qui sommeille et n'arrive pas toujours à bourgeonner, il y a quelque chose d'hivernal qui n'arrive pas éclore. Nos pouvons parfois éprouver, au fond de nous, ce sommeil-là, cet endormissement-là qui nous tient coupé de la Vie. ??Mais la réveillance, au contraire, nous éveille à l'espérance.??Elle transforme nos déceptions en espérance. ?Elle nous éveille à la confiance. ?Elle réveille en nous le courage d'aimer. ?Elle nous invite à nous mettre debout, à quitter nos peurs et quitter nos tombeaux qui nous font littéralement tomber. La peur et le tombeau, deux mots synonymes en grec et qui le sont aussi dans nos expériences de vie.
La réveillance nous invite donc à la victoire sur ces morts et sur nos peurs. Pour cela, comme les disciples d'Emmaüs, osons retourner à nos Jérusalem, c'est-à-dire osons revisiter nos lieux de désillusions, pour relire nos histoires et y entendre cette présence cachée et bienfaisante.  ?Cette réveillance, cette joie de Pâques nous précèdera toujours. Et si nous suivons le ressuscité, nos peurs seront vides ! ?Que cette joie de Pâques nous accompagne ! Amen.


Jeudi Saint

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Triduum pascal
Année liturgique : A, B, C
Année: 2012-2013

« C'est un exemple que je vous ai donné afin que vous fassiez vous aussi, comme j'ai fait pour vous ».

Frères et s½urs, l'enseignement de Jésus est d'une extrême simplicité : Jésus s'abaisse et lave les pieds. Et c'est un exemple concret : à notre tour, nous devons nous laver les pieds les uns aux autres.

Il y a quelques jours, l'Eglise accueillait un nouveau pasteur, en la personne de l'archevêque de Buenos Aires, le Cardinal Bergoglio, notre pape François. En prenant le nom du Poverello, du Pauvre d'Assise, le Pape François choisit la simplicité, plus encore le service. 

Le Pape François ne choisit pas cette voie-là pour lui-même seulement. Il choisit cette voie pour toute l'Eglise catholique. A la suite de Jésus, le Pape François rappelle qu'il est le serviteur des serviteurs. « Le vrai pouvoir est le service » et, dit-il, «  le Pape aussi doit entrer toujours plus dans ce service ; il doit regarder vers le service humble, concret, riche de foi ». Le fait que certains déplorent déjà que François désacralise la fonction est significatif des résistances qui existent à suivre cette logique demandée par Jésus. Le Dieu de Jésus entre en conflit avec le Dieu des religieux. Il ne suffit pas de dire « j'ai la foi », il faut encore voir la foi en quoi, en qui, comment, nous le verrons demain, vendredi saint.

« C'est un exemple que je vous ai donné », dit Jésus. C'est un exemple de foi chrétienne que le Pape François nous donne ces jours-ci. Seule cette conversion peut donner sens à une réforme des structures et à de nouvelles nominations. Rénover le fonctionnement de la Curie et renouveler l'encadrement ne suffiraient pas sans changement profond : un changement d'esprit, de mentalité, de spiritualité qui corresponde aux gestes et à toute la vie de Jésus, dans sa Passion et sa Résurrection. Ce changement n'est pas facultatif si l'on veut être chrétien.

Saint Paul, converti de l'intégrisme, le dit clairement : « Jésus, qui est de condition divine, ne se crispe pas jalousement sur sa condition de Dieu ». Il désacralise sa position, il se met à nos pieds et nous invite à faire de même avec les autres : nous mettre à leur service et ne pas nous prendre au sérieux. C'est à notre portée, il faut le décider.
Nous avons tous des responsabilités, nous avons tous du pouvoir. Qu'en est-il ce pouvoir et comment l'exercer ?

1.    Nous avons tous du pouvoir... dans nos équipes de travail, dans nos familles, vis-à-vis des enfants, des parents, des anciens, dans la paroisse, dans le quartier. Il y a partout des gens à aider, à aimer, à soutenir, à servir.

C'est le pouvoir de transmettre ou de bloquer la vie, le pouvoir de sourire ou de mépriser. Le pouvoir d'humaniser, d'encourager, de magnifier ce qui va bien, de valoriser ce qui est beau... Nous avons le pouvoir d'entrer en empathie avec ceux qui vont mal, d'espérer au c½ur des difficultés, le pouvoir de prier, d'intercéder ...

2.    Comment exercer le pouvoir qui nous a été confié ?

A la suite de Jésus, François d'Assise et beaucoup d'autres, ont assumé pouvoir et responsabilités avec sérieux mais aussi dans une grande liberté.

Comme Jésus, ils sont sortis des chemins battus et ils ont fait preuve de créativité. Ils se sont libérés des modèles de leur milieu social pour inventer une autre voie, transgressive presque, à rebours, en faisant confiance aux autres et en déléguant les responsabilités.

Dans l'Evangile les rôles sont inversés. Jésus est à genoux devant ses disciples, dans une attitude presque insupportable pour eux. A notre tour, essayons de poser des gestes forts qui déstabilisent les situations figées et inversent les relations d'inégalité. Jésus ne sacralise en rien sa fonction. Il n'est pas crispé sur ses privilèges, ses titres, son identité. Il vit incognito et va jusqu'au bout de l'amour de l'autre pour lui-même. Essayons d'inventer des gestes et des paroles qui aient le même effet.

Nous ferons alors jaillir la joie car inverser les rôles provoque la surprise, et même parfois le rire, du fait d'une libération heureuse des tabous qui étouffent la vie. Ces gestes de service et d'humilité peuvent devenir un jeu provocateur, apparemment enfantin, mais étonnamment mûr. Nous venons de le vérifier ces jours-ci avec le simple fait pour un pape de régler l'addition de son hôtel.

L'amitié suppose l'égalité. Or le Dieu chrétien est un Dieu d'amitié. Il se met à notre niveau, même plus bas que nous. Tout à l'heure nous pourrons non seulement nous laisser essuyer les mains, mais plus encore essuyer les mains de notre voisin. Je suis sûr que cela va nous faire sourire. Nous entrons ainsi dans la dynamique évangélique d'une relation fraternelle et libérée.

« A cela on vous reconnaîtra pour mes disciples, si vous vous aimez les uns les autres », nous dit Jésus.

Dimanche des Rameaux

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A, B, C
Année: 2012-2013

LAISSE-LE ENTRER et SUIS-LE

Après 5 semaines de carême, nous voici à la porte de la GRANDE SEMAINE qui va nous faire revivre Pâques, c½ur de la vie chrétienne. Il serait bizarre de perdre son temps en futilités ou de partir en vacances en ces jours où les communautés chrétiennes se ressourcent dans le Mystère pascal, où  la Vie nouvelle jaillit de la mort par amour. Il faut choisir : fête chrétienne ou fête païenne ?

PÂQUES : FÊTE PAÏENNE DE LA VIE

Tout le monde remarque que Pâques approche et les signes en sont visibles depuis un certain temps déjà : monceaux d'½ufs de toutes couleurs dans les magasins, basse-cours de poules et troupeaux de poussins couleur soleil sous des guirlandes en forme de cloches. Ding dong ! On sonne la grand'messe de la consommation et les temples restent ouverts plus longtemps qu'à l'habitude. Goûtez nos délices en chocolat. Ding dong ! Les agences de voyage annoncent leurs tarifs low cost pour emmener les Occidentaux fourbus vers le paradis des mers du sud. Plaisirs, voyages, repos, lumière : l'idéal du bon et gentil païen. (Toutefois certains glisseront une petite messe dans leur horaire dimanche prochain : il faut « faire ses pâques », n'est-ce pas ?). Après les brouillards et les froids de l'hiver, n'est-il pas normal d'aspirer à un renouveau ? Renouveau, oui, mais seulement pour les nations riches (qui essayent d'oublier que, là-bas, des populations immenses stagnent dans la misère et assistent à la mort de leurs nouveau-nés). Renouveau, oui, réservé ici à ceux qui en ont les moyens mais impossible aux milliers de victimes de la crise. Les marques de prestige battent leurs records de vente tandis que les centres d'accueil des démunis sont submergés.
« Fête de la Vie » ?....Ce n'est pas cela que Jésus voulait lorsqu'il montait à Jérusalem en cette année 30 qui allait marquer le tournant de l'histoire humaine lorsque la VRAIE VIE, la Vie de Pâques, allait éclater.

ENTRÉE DES RAMEAUX

Après un temps de mission à travers la Galilée, Jésus a pris la décision la plus grave de sa vie : il a annoncé à ses disciples qu'il montait à Jérusalem, qu'il y serait arrêté et mis à mort mais qu'il ressusciterait. Et il a ajouté : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même...Celui qui perd sa vie la trouvera » (9, 21-24). Et « Jésus prit résolument la route de Jérusalem » (9, 51). Sur toutes les routes qui convergent vers la capitale, les foules de pèlerins se pressent dans la joie : pendant 8 jours, en ce début de printemps, on va célébrer la grande fête de la libération ! On prie, on chante, les familles se retrouvent, on éclate en pleurs à la vue de Jérusalem la bien-aimée et de son Temple si beau, si majestueux, la Maison de Dieu ! 

A l'approche de Beth-faguè et de Beth-anie, sur les pentes du mont des Oliviers, il envoya deux disciples : « Allez au village en face : à l'entrée vous trouverez un petit âne attaché et que personne n'a encore monté. Détachez-le et amenez-le ici »...Les disciples trouvèrent tout comme Jésus leur avait dit (.....) Ils amenèrent l'âne à Jésus, jetèrent leurs vêtements dessus et firent monter Jésus. A mesure qu'il avançait, les gens étendaient leurs vêtements sur le chemin. Déjà Jésus arrivait à la descente du mont des Oliviers, quand toute la foule des disciples, remplis de joie, se mit à louer Dieu à pleine voix pour tous les miracles qu'ils avaient vus : « Béni soit celui qui vient, lui, notre Roi, au nom du Seigneur. Paix dans le ciel et gloire au plus haut des cieux ». Quelques pharisiens qui se trouvaient dans la foule dirent à Jésus : «  Maître, arrête tes disciples ! ». Mais il leur répondit : « S'ils se taisent, les pierres crieront »

Dans leurs récits de la Passion, tous les évangélistes soulignent que Jésus n'était pas un utopiste ou un révolutionnaire tombé dans le piège tendu par les autorités. C'est en pleine conscience qu'il a fait ce qu'il a voulu et a accompli son projet. Le choix d'un âne, disponible sans doute chez des amis (Marthe et Marie de Béthanie ?), est un signe patent du Messie tel qu'il doit être : il accomplit le seul oracle messianique des Ecritures qui évoque la venue d'un Messie humble :
« Tressaille d'allégresse, fille de Sion...voici que ton roi s'avance vers toi ; il est juste et victorieux, humble, monté sur un âne, un tout jeune ânon. Il supprimera les chars de guerre et il proclamera la paix pour les nations »            (Zacharie 9, 9-10).
Tous les détails marquent le caractère royal de cette « Joyeuse Entrée » : un animal jamais utilisé, un cortège, les vêtements jetés sur la route, le titre de Roi donné à Jésus par les acclamations (Curieusement, Luc est le seul évangéliste qui ne mentionne pas les rameaux). Il est comme le nouveau Salomon,  roi de paix (son sacre : 1 Rois 1, 33). C'est lui qui bâtira en effet le nouveau Temple (ce sera la communauté des disciples) mais il ne basculera pas dans l'amour des richesses et l'idolâtrie : au contraire il restera pauvre et fidèlement attaché à son seul Dieu son Père.
La foule des disciples explose de joie mais quelle méprise ! Ils acclament un messie guérisseur, capable d'opérer des miracles spectaculaires. Ils espèrent donc de sa part une démonstration de force, une révolution instantanée : ils n'ont pas compris « le signe de l'âne » dit saint Jean (12, 16).
Leur refrain est une citation du grand psaume 118 qui chante l'accueil du Messie par son peuple :
« Célébrez le Seigneur car il est bon et sa fidélité est pour toujours....Voici le Jour que le Seigneur a fait...Donne, Seigneur, la victoire, donne le triomphe. Béni soit celui qui entre au nom du Seigneur... ».
Mais Jésus puise son espérance dans d'autres versets de ce psaume où le Messie dit comment Dieu le sauve des attaques de ses ennemis: « Quand j'étais attaqué, j'ai appelé le Seigneur Dieu...je lui dois la victoire...Non je ne mourrai pas, je vivrai pour raconter les ½uvres du Seigneur. Il ne m'a pas livré à la mort. Ouvrez-moi les portes de la justice... ». Et Luc ajoute une acclamation qu'il avait déjà citée au moment de Noël : « PAIX DANS LE CIEL ET GLOIRE AU PLUS HAUT DES CIEUX ».

ENTRER, OUI, POUR QUOI FAIRE ?

Mais que se passe-t-il ensuite ?  Que veut celui qu'on appelle Roi ? La suite le montre :
1) A la vue de Jérusalem, Jésus éclate en sanglots : Tu ne reconnais pas la visite du Dieu de Paix. Tu vas me rejeter pour choisir Barabbas c.à.d. tu opteras pour la violence et les armes. Hélas, en effet, en 70, la révolte armée sera noyée dans un bain de sang et le Temple disparaîtra dans les flammes.
2) Puis Jésus se dirige vers le temple et il en chasse les marchands : La Maison de mon Père doit être une Maison de prière et non une caverne où des malfaiteurs se croient en sécurité.
3) Jésus, sur l'esplanade, commence à enseigner le peuple : le lieu des cérémonies doit être un espace où l'on écoute la Parole de Dieu afin que les rites ne soient pas hypocrites.
4) Les autorités, furieuses, cherchent dès lors un moyen de tuer Jésus au plus vite.

Donc mimer aujourd'hui l'Entrée de notre Roi avec nos rameaux, c'est accepter ce programme de Jésus : apporter la Paix à tous les peuples - pleurer sur les malheurs - refuser la violence - vouloir une Eglise de prière, débarrassée de tout trafic financier - écouter l'Evangile - s'attendre à la persécution.
Dérisoire sera peut-être notre procession, clairsemée et vieillotte notre assemblée, pas très justes nos cantiques : nous risquons d'être objet de moquerie de la part de ceux qui ne croient qu'au triomphe des idoles, à l'étalement du luxe des nantis, à l'adoration des vedettes et des dieux du stade. Mais dans tous ces lieux, on exclut le faible, on vend souvent la mort de la drogue et de la débauche, on excite les passions, on exalte le racisme et le mépris de l'autre. Le Roi et sa communauté en sont l'antithèse.

Retenons que Jésus n'entre pas comme Roi pour condamner la société mais pour convertir son Eglise : à son exemple elle ne caracole pas sur les chevaux de la renommée, elle va au pas de l'âne, elle parle en aimant ce peuple qui va la trahir, elle est haïe par certains.  Vendredi paraitra la nécessité de la croix mais dimanche éclatera enfin la fête du Vrai Printemps : la coquille du tombeau s'ouvrira pour laisser paraître l'Homme Nouveau. Ce chemin est ardu mais nous pouvons toujours le suivre grâce au Pain (l'humble signe équivalent de celui de l'âne) que nous partageons chaque dimanche, Jour du Seigneur, « Pâques » hebdomadaires.
Ainsi l'Eglise traverse les siècles en acclamant Jésus  et en mettant ses pas dans les siens.

5e dimanche de Carême, année C

Auteur: Sélis Claude
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Arrivant bientôt au terme de ce cheminement spirituel qu'est le Carême, le fidèle est invité par les lectures de ce 5° dimanche à prendre conscience de la nouveauté de l'événement de Salut qui se prépare.
« Voici que je fais un monde nouveau » proclame le Seigneur dans la lecture d'Isaïe. Le prophète invite même à oublier les anciens événements de salut. Il lui fallait un sacré toupet pour traiter de rien les fameux événements de l'Exode. C'était pour mieux mettre en relief la grandeur des événements qui se préparaient, le renversement radical que cela représentait (puisque le charognard de chacal et l'écervelée d'autruche allaient se mettre à louer Dieu) et l'espoir fou que cela suscitait (puisque l'eau coulerait dans les déserts). Isaïe pensait sans doute à la libération de son peuple de l'exil de Babylone mais la relecture chrétienne laissera cependant entendre que ni le retour à Jérusalem ni la reconstruction du Temple ne seraient les événements définitifs de ce monde nouveau, mais bien l'avènement et la Résurrection du Christ.
Pour Paul également, le passé, son passé, n'est que balayure devant ce qu'il a connu quand il a été saisi par le Christ. La connaissance du Christ Jésus est bien ce qui dépasse toutes les autres et connaître le Christ, c'est éprouver la puissance de sa résurrection en communiant aux souffrances de sa Passion. Oubliant ce qui est en arrière, Paul nous invite à le suivre, lancé vers l'avant, vers l'incarnation même de l'Espérance.
Accouru vers Jésus, le petit peuple écoutait son enseignement dans le Temple. Tous écoutaient-ils ? Non ! Certains ne voulaient rien entendre de ce message d'espérance et de miséricorde qui aurait permis à des gens de changer de comportement et de repartir à neuf dans la vie. Voilà le cas de la femme adultère. La Loi de Moïse avait été donnée pour éduquer le peuple hébreu, pour éclairer sa conscience et ainsi le sauver. Les scribes et les pharisiens en avaient fait une loi pour tuer ! Jésus n'entre pas dans ce jeu et, en renvoyant chacun à ses propres fautes, restaure la Loi dans sa fonction de guidance et de salut. C'est notre salut que veut le Christ et c'est pourquoi il se donnera aussi lui-même jusqu'à la mort.
En ce dimanche où nous pourrons bénéficier nous aussi de cette miséricorde divine, rappelons-nous que, partout où nous sommes, nous devons à notre tour avoir ces gestes qui délivrent du poids des contentieux passés, de ces gestes qui laisseront une porte ouverte pour repartir à neuf dans la vie.

5e dimanche de Carême, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

L'évangile de ce dimanche est une énigme : en effet il ne figure pas dans les manuscrits les plus anciens ; parfois il est inséré à une autre place dans le texte de Jean ; ou on le trouve dans Luc ; enfin son style n'est guère johannique. On en déduit qu'il s'agit d'une tradition indépendante, insérée plus tard dans l'évangile de Jean. Il reste que nous l'estimons comme une perle de l'Evangile.
Les chapitres 7 et 8 de Jean se déroulent à Jérusalem pendant les 8 jours de la grande fête des Cabanes. Bravant les menaces qui pèsent sur lui, Jésus est monté  en pèlerinage ; harcelé de questions, il sait que certains veulent sa mort (7, 19. 25). Le dernier jour de la fête, en plein temple, il a osé lancer l'invitation : «  Celui qui a soif qu'il vienne à moi », désignant ainsi l'Esprit, commente Jean (7, 37). Les autorités ont envoyé des soldats pour l'arrêter (7, 32) mais ceux-ci, émerveillés par les enseignements de Jésus, sont rentrés bredouilles (7, 45). Nicodème, membre du Sanhédrin, a insisté près de ses collègues pour que Jésus ne soit pas condamné sans être au préalable entendu mais on a rejeté sa demande (7, 50-52). Le climat s'alourdit et l'étau se referme sur Jésus. Une occasion va se présenter.
Jésus s'était rendu au mont des Oliviers. De bon matin, il retourna au temple de Jérusalem.
Comme tout le peuple venait à lui, il s'assit et se mit à enseigner.
C'est dans une cabane de cette colline qu'il a l'habitude, comme bien des pauvres,  de passer la nuit avec ses disciples. Dès l'aube, en dépit du danger, il retourne sur l'esplanade du temple pour y poursuivre son enseignement que le peuple semble beaucoup apprécier. Or en ce jour a lieu la fête de SIMHAT TORAH, « La joie de la Torah » : toute la ville explose en réjouissance, on vénère les rouleaux des Ecritures et tous rendent grâce à Dieu pour le don extraordinaire de sa Loi qui donne à Israël liberté et vie.
Or c'est précisément en ce jour que certains vont utiliser cette Loi comme arme de mort !

Les scribes et les pharisiens lui amènent une femme qu'on avait surprise en train de commettre l'adultère. Ils la font avancer et disent à Jésus : «  Maître, cette femme a été prise en flagrant délit d'adultère. Or dans la Loi, Moïse nous a ordonné de lapider ces femmes-là. Et toi qu'en dis-tu ? » (Ils parlaient ainsi pour le mettre à l'épreuve afin de pouvoir l'accuser).
Mais Jésus s'était baissé et, du doigt, il traçait des traits sur le sol.
La femme a été prise sur le fait pour un péché très grave, formellement interdit par le 6ème commandement du Décalogue (Ex 20, 14) mais une loi condamnait à mort les deux partenaires (Lév. 20, 10). Où donc est l'homme ? Pourquoi semble-t-elle seule coupable ? Et pourquoi viennent-ils demander son avis à Jésus ? Parce que, à l'époque, la sentence de mort était l'objet de débats et non appliquée puisque seul le Pouvoir romain exécutait la peine capitale. Jean explique : leur démarche a pour but de tendre un piège à ce Jésus qu'ils exècrent. Quoi qu'il dise, on pourra l'accuser : ou de bafouer la Loi juive ou de défier le privilège romain. C'est à lui qu'ils en veulent plutôt qu'à la femme.
Sans répondre, Jésus s'incline  et, du doigt, trace des traits dans la poussière. Est-ce pour paraître comptabiliser les fautes de ces hommes ? Le geste curieux voudrait peut-être évoquer un passage du prophète Jérémie où Dieu déclare : « Ceux qui se détournent de moi seront inscrits sur le sol » (Jér. 17, 13) c.à.d. retourneront à la poussière donc à la mort. Son mutisme exacerbe la colère de ses adversaires qui cherchent à tout prix à le coincer en lui arrachant une réponse sur une question juridique. Mais, plongeant plus profond au-delà du texte de loi, Jésus va s'adresser à leur conscience.

Comme on persistait à l'interroger, il se redressa et leur dit : «  Celui d'entre vous qui est sans péché, qu'il soit le premier à lui jeter la pierre ». Et il se baissa de nouveau pour tracer des traits sur le sol. Alors, sur cette réponse, ils s'en allaient l'un après l'autre, en commençant par les plus âgés.
La Loi est utile, importante, nécessaire et un juge peut être conduit à infliger une punition même sévère au malfaiteur. Mais le juge est un homme, il a une conscience, il doit, lui le premier, observer toutes les lois dans leur intégralité : peut-il froidement utiliser une loi pour enlever la vie à un coupable ?
Au fond peut-il exister une condamnation à mort ? Dieu lui-même n'avait-il pas mis un signe de protection sur Caïn, le fratricide, afin d'arrêter la vengeance du sang ? (Gen 4, 15). Le Catéchisme de l'Eglise catholique n'excluait pas la peine de mort « dans des cas d'extrême gravité » (n°2226) mais ensuite, dans Youcat, la version jeune, l'interdiction est nettement prononcée et les deux derniers papes se sont prononcés pour son abolition totale dans le monde (notamment aux U.S.A.)

L'interpellation surprenante de Jésus désintègre le cercle mortifère : sortant de leur légalisme rigide, de leur agressivité contre la femme et de leur fureur aveugle contre Jésus, les hommes ne forment plus un bloc qui s'est autoproclamé « juste ». Chacun est placé devant sa conscience, appelé à une décision personnelle. Tous - « « les vieux d'abord », note, amusé, Jean-, s'écartent et se dispersent.

Jésus resta seul avec la femme en face de lui. Il se redressa et lui demanda : « Femme, où sont-ils donc ? Alors personne ne t'a condamnée ? ». Elle répondit : «  Personne, Seigneur ». Et Jésus lui dit : «  Moi non plus je ne te condamne pas. Va et désormais ne pèche plus ».
L'attitude de la femme est à remarquer depuis le début. Quelle honte d'être ainsi traînée sur la place publique, désignée au mépris de tous ! Quelle terreur devant l'éventualité de l'exécution ! Mais elle se tait : elle ne nie pas la réalité de son méfait (flagrant délit), elle ne cherche aucune excuse, n'accuse ni son mari ni son amant ni une pulsion incontrôlable. Et lorsque ses accusateurs se détournent, au lieu de vite s'enfuir, elle demeure face à Jésus.
Comme disait admirablement saint Augustin, « ils restèrent deux, la misère et la Miséricorde ».
L'interdit de l'adultère demeure car Jésus ne supprime pas la Loi mais il refuse d'en faire un instrument de mort et il ouvre à la femme un nouvel avenir. « Va et ne pèche plus ». Il ne s'agit pas d'un coup d'éponge facile pour effacer une faute anodine car cet avenir n'ira pas sans grandes difficultés : comment va réagir son époux ? Et son amant ? Et l'entourage ? ...
Le pardon ne règle pas tous les problèmes mais il donne une espérance pour rebâtir son existence : « Ne pèche plus ». Reconstruisez votre couple avec patience, arrêtez la duplicité, et ne devenez pas, à votre tour, des juges implacables des fautes d'autrui. Car le pardon de Dieu est la grande arme pour devenir soi-même miséricordieux. La main qui a fauté ne peut plus se refermer sur une pierre à lancer contre l'autre.

LA FEMME : JERUSALEM ... ISRAËL ... L'EGLISE

Le style du récit ouvre sur une interprétation symbolique. Depuis le prophète Osée, Israël a appris que l'Alliance de Dieu n'est pas un simple contrat juridique, l'imposition d'une Loi par une divinité sévère mais bien une relation conjugale fondée sur l'amour. C'est pourquoi lorsque la communauté est infidèle à la Loi, lorsqu'elle trahit l'Alliance, elle est dite « adultère », « prostituée ». Ainsi le prophète Jérémie attribue à Dieu cet oracle menaçant : « Parcourez les rues de Jérusalem : y trouvez-vous un seul homme qui pratique le droit ?...Ils refusent de revenir...Dans ces conditions, comment te pardonner ?...Je les ai comblés et pourtant ils commettent l'adultère...Ne dois-je pas sévir contre eux ? » (Jér 5, 1-9).
La femme représente donc Jérusalem infidèle qui devrait être condamnée par sa Loi même. Mais avec Jésus, la terrible menace se transforme en pardon. A deux reprises, Jean répète que Jésus s'abaisse puis se redresse : n'est-ce pas le mime de la Pâque qu'il va vivre bientôt ? Car les responsables du temple, s'ils n'ont pas réussi à exécuter la femme, vont se déchaîner contre Jésus, ce blasphémateur, l'encercler (10, 24), l'arrêter et le mettre à mort « au nom de la Loi » ! Il subira au Golgotha la sentence de mort dont il avait sauvé la femme mais, abaissé dans la mort,  il se relèvera dans la Vie.  
Ainsi, prenant sur lui la condamnation méritée par nos fautes, il permettra à tous les « adultères » que nous sommes, de ne plus être écrasés par une Loi mortifère et de pouvoir rebondir vers un avenir nouveau. L'Evangile ne nie pas la réalité du péché mais n'enferme jamais l'homme dans la souillure de son passé. Un avenir est toujours possible : « VA ! ». C'est pourquoi il est vraiment JOIE DE LA TORAH.

 

5e dimanche de Carême, année C

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013


Ces dernières années, un nouveau fléau a pris sur internet et sur les réseaux sociaux une tournure fort inquiétante, notamment auprès des jeunes. ?Ce phénomène s'appelle cyber-bullying. Comme souvent --lorsqu'il s'agit d'une réalité nouvelle-- la langue française tarde à trouver un mot pour la décrire, alors il nous faut recourir à l'anglais. Le cyber-bullying provient de bully, qui signifie intimider et malmener. Il s'agit d'une intimidation virtuelle et publique, d'une sorte de lapidation sur internet, où les pierres sont remplacées par des insultes et par des commentaires menaçants et anonymes, etc... A chaque fois dans le cyber-bullying, une personne est victime de la publication d'accusations provenant d'un groupe d'anonymes.

Et avouons que l'évangile de ce jour est d'une extraordinaire actualité. ?Sans exagérer la comparaison, voici que l'évangile d'aujourd'hui nous présente une forme similaire de déchainement violent, un procès baclé, une sorte de lynchage public en face du Temple, avec du côté de l'accusation des pharisiens anonymes réfugiés derrière leur Loi et du côté de l'accusé... à première vue cette femme, mais en réalité Jésus.

Si nous reprenons le texte, nous avons une femme, seule, dans son individualité pécheresse. Ensuite, les pharisiens l'enferment dans une catégorie. Ils invoquent que Moïse a ordonné de lapider «ces femmes-là »... Voilà cette femme publiquement mise dans une catégorie et réduite à ses actes. D'elle, nous ne savons absolument rien. Avait-elle des circonstances atténuantes ? ?Peu importe. Pour les Pharisiens, le vrai procès n'est pas dirigé contre elle, mais contre Jésus qu'ils veulent prendre en flagrant délit de pardon.?
Cette femme est le symbole de tout être humain -- vous comme moi-- qui se trouve parfois réduit à son erreur, enfermé dans un acte passé ou victime d'une spirale. Et lorsqu'on est intransigeant comme ces pharisiens, c'est bien souvent parce qu'on n'arrive pas à l'être avec soi-même... Et voilà maintenant que ce jeu des Pharisiens se retourne contre eux. En effet, par son attitude, Jésus confronte les pharisiens à eux-mêmes, sans les humilier. Il ne les enferme pas en retour dans un groupe, mais les confronte à leur singularité. « Que celui qui n'a jamais péché lui jette la pierre» dit-il. ???Jésus ne plaide pas. Il ne prend pas parti. Mais il écrit dans la glaise de notre singularité. Dans les évangiles, c'est la seule fois où Jésus écrit. Les Pharisiens, en bons juristes, savent que les paroles s'envolent et que les écrits restent. Ironiquement, Jésus nous invite à découvrir le contraire. Ses écrits dans le sable peuvent bien s'envoler, sa parole de pardon reste et n'a rien d'éphémère.

Voilà le retournement complet de situation auxquels les pharisiens sont confrontés : à se réfugier derrière la loi, ces tables en pierre qu'ils connaissent par c½ur, voilà que cette loi devient pierre pour leur propre lapidation. Oui, leur propre lapidation... car ils sont, permettez-moi l'expression, eux aussi des adultères... Car l'adultère est le fait de tromper quelqu'un avec lequel on est officiellement lié, comme ces pharisiens qui trompent et déforment la loi qu'ils sont tenus de suivre!

Voulant mettre Jésus à l'épreuve, les pharisiens sont eux-mêmes mis à l'épreuve. Voulant accuser, ils sont renvoyés eux-mêmes devant leur propre chef d'accusation. «Dis moi comme tu accuses les autres, et je te dirai de quelle contradiction tu souffres». Rien de neuf sous le soleil : ?accuser l'autre, c'est bien souvent s'accuser soi-même de manière inconsciente, pour faire supporter à quelqu'un d'autre une contradiction ?qu'on n'est pas capable de porter... ?La sagesse populaire nous rappelle d'ailleurs que lorsque nous pointons un index accusateur vers quelqu'un, on ne voit pas que trois autres doigts sont dirigés vers nous... ??Les pharisiens sont arrivés en groupe, ils sont repartis un par un, ?confrontés à eux-mêmes. La femme est arrivée derrière une étiquette, elle repart dans sa singularité, confrontée à elle-même.

S'il en est ainsi, l'évangile nous rappelle que nous ne sommes pas ce que nous avons fait ou ce que nous avons dit car le mystère de notre existence ne peut nous réduire à nos actes. Certes, nos égarements comme nos actes de bienveillance parlent de nous, mais ils ne disent pas ce que nous sommes.

Alors, à chacune et chacun d'entre nous, de nous confronter à nous-mêmes, ?et de répondre à cette question qui nous est adressée personnellement: ?«Où es-tu?», écho de ce «humain, où es-tu?» que Dieu murmure à chaque instant au plus intime de nous-mêmes. Amen.

4e dimanche de Carême, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

« LAISSEZ-VOUS RÉCONCILIER AVEC DIEU » (2ème lecture)

Dimanche passé, le Seigneur lançait cet avertissement: «  Si vous ne vous convertissez pas, vous périrez » !?
Qu'est donc cette « conversion » indispensable, urgente, capitale ? L'évangile de ce jour nous en donne une illustration par la parabole dite « du fils prodigue » alors qu'elle est celle du PERE et à laquelle il faut restituer son sens dramatique et pas du tout « historiette pour enfants » !
Remarquons d'abord la mise en scène : Jésus se trouve devant un double auditoire :
Les pécheurs et les publicains venaient tous à Jésus pour l'écouter. Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : «  Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux !?? ». Alors Jésus leur dit cette parabole : « Un homme avait deux fils... ».
Des hommes appliqués à l'étude des Ecritures et à l'observance minutieuse des moindres détails de la Loi n'avaient-ils pas raison d'être scandalisés en voyant ce Jésus en compagnie d'hommes connus pour leur corruption et leurs infractions à cette Loi ? En fait Jésus ne les approuve pas, il ne se situe pas « au-delà du bien et du mal », il ne dit pas que le péché est anodin mais il présente à ces gens le « Royaume de Dieu » où le lien à Dieu est personnel et ne s'enferme pas dans l'observance ou non des règlements. Il les fréquente sans les condamner car il est sûr que l'amour aura plus d'effets que les remontrances. En inventant cette parabole, il justifie sa conduite, laquelle est, pour lui, celle-là même de Dieu-Père  et les deux fils sont les portraits du pécheur repenti et du juste endurci qu'il s'agit de réconcilier.

LE FILS PÉCHEUR EST RÉINTÉGRÉ

Comme tant de jeunes, le cadet a l'impression d'étouffer dans la maison paternelle, dans cette Eglise qui donne des ordres, multiplie les observances telle une marâtre qui semble avoir peur de la vie. Il veut être libre, décider lui-même de son existence : n'est-ce pas la seule manière de devenir humain, responsable de soi ? Et un jour, il quitte ses chaînes et « part pour un pays lointain ». Ce pays n'est pas sur la carte : c'est, comme disait S. Augustin, « la région de la dissimilitude » où l'homme croit se libérer en se dépouillant de sa vocation d'image de Dieu, où d'abord on peut « s'éclater », s'offrir mille jouissances, vivre à plein,  où certains regorgent de biens et peuvent profiter de tout, où la femme devient objet de plaisirs (« Il dépensa ses biens avec les filles »), où le pauvre peut être réduit à l'état d'esclave par un patron dictatorial (« Il se trouva dans la misère à garder les cochons »).
Mais tous besoins satisfaits, renaît le désir de la vraie vie : « Il réfléchit : les ouvriers de mon père ont du pain en abondance et moi je meurs de faim ». Si je retournais ? Oh il n'a aucun regret de ce qu'il a fait, il ne ressent nulle contrition, il ne veut pas réparer le tort qu'il a fait à son père : simplement il a un instinct de survie et pour lui, le père reste le maître qui commande et qui donne à manger. A contrec½ur, il prend le chemin du retour : le manque nous remet parfois sur le chemin de la vérité. Et il s'interroge : Comment père va-t-il m'accueillir ? Va-t-il me chasser, me battre ?...

C'est alors que la parabole décrit ce qui est sans doute une des plus belles scènes de la Bible (sinon de toute la littérature) : Dieu se dévoile tel qu'il est.

Comme il était encore loi, son père l'aperçut et fut bouleversé : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. Le fils lui dit : «  Père, j'ai péché contre le ciel et contre toi ; je ne mérite plus d'être appelé ton fils... ». Mais le père dit : «  Vite, apportez son plus beau vêtement, mettez-lui une bague au doigt, des sandales aux pieds. Tuez le veau gras : mangeons et festoyons car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie ; il était perdu et il est retrouvé ! »
« Heureuse faute » : le pécheur qui revient et qui avoue « j'ai péché » découvre enfin que son père, Dieu, n'est pas un père castrateur, un potentat, un juge implacable, une projection de son sur-moi.
L'amour guérit du désespoir et de la honte. Tu restes mon fils : il y a si longtemps que je t'attendais !
Rien n'est irrémédiable, le pécheur n'est jamais enfermé dans la prison de ses méfaits passés, il ne faut jamais se croire damné, rejeté, irrécupérable, il y a toujours possibilité de « conversion », de « retour ». Tout homme est toujours « attendu » par Dieu. Sans certificat de bonne vie et m½urs.

LE FILS JUSTE SE MET DEHORS.

L'autre fils, le brave homme, le pieux pharisien était, comme toujours, occupé à remplir tous ses devoirs : prières, liturgies, jeûnes, pèlerinages, mortification. Lui au moins était toujours « en règle », attentif à bien faire, sans regarder à sa peine. Il s'approche de la maison.

Le fils aîné était aux champs. A son retour, il entendit la musique et les danses. Il demanda à un domestique ce qui se passait ; celui-ci répondit : «  C'est ton frère qui est de retour et ton père a tué le veau gras parce qu'il est en bonne santé ». Alors l'aîné se mit en colère et il refusait d'entrer !
Son père sortit et le suppliait. Mais il répliqua : «  Il y a tant d'années que je te sers et jamais tu ne m'as donné un chevreau pour festoyer avec mes amis. Mais quand ton fils que voilà est arrivé, après avoir dépensé ton bien avec des filles, tu as fait tuer le veau gras pour lui ??!!! »...Le père répondit : « Mon enfant, tu es toujours avec moi et tout ce qui est à moi est à toi. Mais il fallait bien festoyer et se réjouir car ton frère était mort et il est revenu à la vie, il était perdu et il est retrouvé ».
Que son frère soit enfin revenu vivant ne l'intéresse en rien. Mais que leur père organise un banquet pour fêter comme un héros celui qui a dilapidé l'héritage pour mener une vie de débauche, cela le met en rage. La maison de Dieu doit être réservée aux justes, à ceux qui se conduisent bien, qui maîtrisent leurs instincts et dominent les tentations ; quant aux pécheurs, qu'on les interroge sur les motifs de leur retour, qu'on juge leur degré de contrition, qu'on leur inflige une longue et pénible pénitence, qu'ils soient montrés du doigt comme des créatures souillées.
Le brave père, averti de son arrivée, sort à sa rencontre et patiemment « le supplie » de se joindre à la fête : En demeurant avec moi dans la maison, tu as été très heureux, tu as échappé aux malheurs que ton frère a connus. Pourquoi as-tu vécu comme un serviteur qui attendait qu'on lui donne alors que tu étais un fils qui était chez lui ? Et maintenant que ton frère que l'on croyait mort depuis longtemps est de retour, n'est-il pas normal que je le cajole, l'embrasse, l'étreigne, lui restitue le trésor qu'il avait perdu ? Toute la maison ne doit-elle pas exulter, bondir de joie en accueillant celui que l'on croyait perdu et mort ?
Et la fin de l'histoire est dramatique : le père qui vient de retrouver son cadet perd son aîné qui ne veut absolument pas entrer ! Il est d'accord de s'astreindre à des devoirs rigoureux, d'obéir aux lois, de mener une vie exemplaire, de servir son père...mais non de faire partie d'une Eglise où l'on pardonne si facilement, où le pécheur n'est jamais rejeté mais toujours accueilli quels que soient le nombre et la laideur de ses fautes.
La parabole est bien un miroir que Jésus tend aux pharisiens scandalisés par son comportement, comme elle le sera plus tard pour les Juifs outrés de l'accueil des païens dans les jeunes Eglises, et comme notre conscience scrupuleuse l'est encore devant le pardon toujours offert à nos fautes. Car les deux fils nous habitent : notre sur-moi est habile à imaginer un Dieu exigeant, inflexible, comptable de tous nos péchés, un Dieu qui fait peur et qui écrase. Quelle conversion à faire !!!
Le grand poète Charles Péguy - un converti - a écrit des pages magnifiques sur cette parabole dans le « Porche du mystère de la deuxième vertu »:
« C'est la parole de Jésus qui a porté le plus loin, mon enfant...
Elle est célèbre, même chez les impies.
Or il dit : Un homme avait deux fils :
Et celui qui l'entend pour la centième fois, c'est comme si c'était la première fois ».

4e dimanche de Carême, année C

Auteur: Sélis Claude
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Le choix des lectures de l'Ancien Testament tout au long de ces dimanches nous suggère un parallèle entre l'histoire du peuple hébreu et le cheminement du chrétien durant le Carême.
Nous avons vu Abraham se laisser interpeller par le Dieu de la Promesse. Nous avons vu Moïse se laisser interpeller de même par le Dieu de la Délivrance. Ayant mangé le repas de la Pâque, le peuple hébreu quitta l'Egypte en traversant la Mer Rouge. Il séjourna un long temps dans le désert, le temps d'éprouver son intimité avec Dieu. Le voilà parvenu dans cette Terre Promise. Leur premier geste sera d'y célébrer une Pâque, cette fête devenant le symbole des événements majeurs de l'Histoire du Salut. A partir de ce moment également, le peuple put se nourrir des produits de la terre qu'il cultivait lui-même. La tentation était cependant grande de croire que, désormais, on n'avait plus besoin de Dieu, dispensateur de la manne, ou la tentation de croire que ces biens étaient le fruit exclusif de son travail à soi et non plus, d'aucune manière, un don de Dieu. La tentation était grande de gérer cette terre comme une chose purement humaine. C'est ce qui arriva et cette Terre Promise redevint en quelque sorte une Egypte de l'orgueil et de l'esclavage...dont il fallait sortir !
« Au nom du Christ, nous vous le demandons, laissez-vous réconcilier avec Dieu ». Cet appel pathétique de Paul intervient dans un long développement sur le ministère apostolique suite, très vraisemblablement, à une querelle aiguë entre lui-même et les chrétiens de Corinthe. A peine le Christ avait-il accompli son ministère de réconciliation que naissaient des conflits dans les toutes neuves communautés chrétiennes !
Tout est-il, pour autant, perdu ? La parabole du fils perdu et retrouvé est là pour nous réconforter. Le fils cadet dans la parabole correspond bien à l'image du pécheur, de celui qui fait offense à Dieu. Ayant d'abord exigé l'application de la loi et de la coutume à son profit, aussitôt il se met hors-la-loi : il s'éloigne de cette loi (géographiquement) et la transgresse. Ce n'est même pas vraiment un sentiment de contrition qui le fait revenir mais une contrainte bien matérielle. Que Dieu accordait son pardon au pécheur vraiment repentant, on le savait depuis longtemps en Israël. Il n'y aurait pas eu de quoi scandaliser les pharisiens. Mais Dieu, ici, en fait beaucoup plus qu'il ne devrait. Le père attendait ce fils hors-la-loi. Il tressaille de joie en le voyant revenir. Le vêtement, la bague, les sandales, sont autant de signes de réintégration et de recouvrement des droits. Mais l'exclamation : « Mon fils que voilà était mort et il est revenu à la vie » va encore au-delà. De la part de Dieu, le moindre geste de conversion est vu comme une résurrection, rien de moins.
Le fils aîné n'attendait pas son frère. Lui, n'était jamais sorti de la loi ; au contraire, il en était un exécutant fidèle et scrupuleux. Bref, c'était un bon pharisien. Il ne supportait pas, il trouvait injuste que Dieu puisse faire plus que la justice, qu'il fasse miséricorde. A l'invective méprisante du fils aîné : « ton fils que voilà », le père corrige : « ton frère que voilà ». N'est-ce pas là le problème ? ...de nous reconnaître comme frères ! Comment en effet reconnaître Dieu comme Père si nous ne reconnaissons pas nos frères comme frères. Et assurément, si nous faisons des progrès dans le sens de la réconciliation (à laquelle appelait Paul), serons-nous mieux disposés pour approcher ce Dieu-Père !
Chacun de nous, à sa mesure, dans ses relations, peut avoir des gestes de miséricorde qui redonnent vie. Dans notre chemin vers Pâques, n'ayons de cesse de travailler à ce ministère de la réconciliation en nous-mêmes et entre nous. Le Christ lui-même nous attend pour nous réconcilier avec Dieu.

 

3e dimanche de Carême, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Y a-t-il pire expérience pour être humain que celle de se sentir « victime » ?  Je parle ici de véritables victimes, celles qui sont frappées par le destin ; celles que rien ne permettait de prévoir ce qui allait leur arriver ; celles qui souffrent injustement du fait d'autrui, du surgissement d'une maladie ou d'une catastrophe.

Nous n'aimons pas être victimes. Nous sommes des êtres appelés à vivre notre destinée et non pas à subir le destin.  Confrontés à ce type d'expériences douloureuses, l'être humain met souvent en place un mécanisme quelque peu pervers.  En effet, puisque nous ne supportons pas cet état de victime, nous allons utiliser notre raison pour essayer de comprendre ce qui nous arrive en allant parfois jusqu'à nous rendre responsable de la situation qui s'impose à nous.  Cela peut nous rassurer un temps mais en même temps cela nous rend doublement victime : victime de ce que nous avons subi puis victime de notre culpabilisation.  Un exemple peut éclairer cette réalité.  J'ai toujours été frappé lorsque j'ai accompagné des jeunes parents qui venaient de vivre la perte de leur bébé de la mort subite à quel point ceux-ci relisaient les deux, trois jours qui ont précédé le décès de leur enfant.  Et régulièrement, j'entendais l'un ou l'autre me dire si nous avions compris ce que notre enfant nous avait dit, si nous avions pu lire les signes qu'il nous envoyait nous aurions pu empêcher que ce drame arrive.  Cette relecture est paradoxale : à la fois très culpabilisante et en même temps elle peut être rassurante car nous avons le sentiment que nous gardons une prise sur les événements.  D'une certaine manière, nous restons tout puissant face à ce qui nous arrive.  Nous avons à nouveau prise sur la vie.  En fait, nous cherchons à donner une réponse à tous ces « pourquoi » qui habitent notre esprit.  Pourquoi moi ?  Pourquoi maintenant ?  Pourquoi si jeune ? Pourquoi ?  Pourquoi ?  Malheureusement pour nous, il n'y a pas de réponse.  Nous risquons de nous enfermer dans une spirale mortifère.  Nous sommes simplement confrontés à la dure réalité de la vie qui peut véritablement transpercer nos propres entrailles.  La douleur est plus forte qu'un coup de poignard et nous errons hagards, perdus cherchant ça et là des mains tendues et réconfortantes. Nous ne sommes pas responsables de ce qui nous arrive.  Nous sommes tout simplement victimes comme l'ont été ces galiléens massacrés par Pilate pendant qu'ils offraient des sacrifices, ou encore comme les dix-huit personnes tuées par la chute de la tour de Siloé.  Le Christ vient nous dire que ces gens-là n'étaient ni coupables, ni qu'ils subissaient une punition divine.  Dieu qui se révèle à nous dans la brise légère et qui en douceur vient nous dire « Je suis celui qui suis », n'est pas Celui qui cause de telles catastrophes.  Notre Dieu ne se venge pas lorsque nous trébuchons ou faisons fausse route.  Il nous convie à vivre une conversion.  Lorsque nous sommes confrontés à l'injustice de la vie, ne nous enfermons pas dans ces « pourquoi » dont nous ne trouverons pas sur cette terre la réponse.  Ne cherchons pas à nous culpabiliser ou encore à culpabiliser Dieu.  Nous sommes victimes et Dieu nous accompagne dans l'événement douloureux que nous traversons par le biais de toutes ces personnes qui donnent de leur temps et de leur tendresse pour nous permettre d'affronter la dure réalité de la vie.  L'injustice fait naître en l'être humain l'empathie et la compassion.  Nous sommes conviés à passer du « pourquoi » en un mot au « pour quoi » en deux mots, c'est-à-dire « pour en faire quoi » ?  La conversion est cette invitation à laisser la douleur nous transfigurer, à lui permettre de nous rendre plus humain.  Cette fois, nous ne cherchons plus les raisons de ce qui nous est arrivé, nous veillons plutôt à grandir dans notre humanité et à voir comment nous pouvons nous laisser transformer en profondeur.  Cela prend du temps, parfois le temps d'une vie mais notre Dieu est patient.  Il ne nous abandonne pas.  Alors malgré, ce que nous avons déjà pu traverser de douloureux dans nos vies, vivons cette conversion intérieure en donnant sens à l'insensé par la manière dont nous vivrons plus humainement nos vies dans le Christ et par l'Esprit.  C'est aussi cela accueillir la Pâque de Dieu.

Amen