L'EVANGILE, C'EST AUJOURD'HUI
La scène inaugurale de la mission de Jésus revêt une telle importance qu'elle est proclamée en deux dimanches : voici donc la suite. Nous avions vu que Jésus, parti pour se faire baptiser par Jean, est revenu dans son village de Nazareth précédé par une étrange rumeur : on raconte que l'ancien charpentier est devenu prédicateur itinérant et qu'il opère même des guérisons !?...
Ce matin de sabbat donc, Jésus retrouve ses voisins et connaissances pour le culte. Invité à prêcher, il ne commente pas un texte d'Isaïe sur le futur Messie : il s'identifie à celui-ci !!!
Dans la synagogue de Nazareth, après la lecture du livre d'Isaïe, Jésus déclara :
« Cette parole de l'Ecriture que vous venez d'entendre, c'est aujourd'hui qu'elle s'accomplit ».
Tous lui rendaient témoignage et ils s'étonnaient du message de grâce qui sortait de sa bouche.
Ils se demandaient : « N'est-ce pas là le fils de Joseph ? »
Jésus aurait fait une exégèse détaillée de ce passage biblique ou bien il aurait répété, à la suite de tous les prédicateurs, qu'il fallait tenir bon et croire qu'un jour Dieu réaliserait ses promesses de bonheur pour Israël, que tous l'auraient félicité pour son savoir, son éloquence et son espérance. Mais prétendre, comme il le fait, qu'il a été « oint par le Seigneur Dieu » et qu'il est ce personnage qui va accomplir aujourd'hui, c.à.d. tout de suite, ce programme de libération des pauvres, cela paraît totalement incroyable. « De quoi se mêle ce fils de Joseph ? »
Jésus leur dit : « Sûrement vous allez me citer le dicton : « Médecin guéris-toi toi-même ».
Nous avons appris tout ce qui s'est passé à Capharnaüm : fais donc de même ici dans ton pays »
Après son baptême, Jésus a dû remonter de Judée par la vallée du Jourdain et, passant d'abord par Capharnaüm au bord du lac de Galilée, il a dû effectuer des guérisons dont l'écho est déjà parvenu dans son village. Aussi Jésus devine-t-il la demande de son auditoire : avant d'entreprendre ton ½uvre de libération, refais chez nous ces guérisons que, paraît-il, tu as accomplies à Capharnaüm (Et que, très curieusement, Luc ne rapportera qu'ensuite !)
Jésus poursuit : « Amen je vous le dis : aucun prophète n'est bien reçu dans son pays ».
Et afin d'expliquer ce dicton, il prend deux exemples tirés des Ecritures où l'on voit que des prophètes juifs, pas toujours appréciés par leurs compatriotes, ont opéré des guérisons chez des païens ennemis !!
Alors que le pays souffrait d'une longue et dure famine par manque de pluies, le prophète Elie fut envoyé par Dieu non chez des compatriotes mais chez une veuve du village de Sarepta, précisément en pays de Phénicie d'où était originaire la princesse Jézabel, païenne et ennemie jurée du prophète. Et là une pauvre femme accepta de partager ses dernières provisions avec le prophète. Plein de gratitude, celui-ci lui assura la nourriture pour la suite de ses jours et même il rendit la vie à son fils qui venait de mourir (1er Livre des Rois 17, 8 à 24).
Quant à Elisée, successeur d'Elie, il guérit de sa lèpre le général syrien Naaman qui lui faisait confiance et qui alla se plonger dans le Jourdain, alors même qu'il dirigeait l'armée qui venait d'écraser les troupes israélites (2éme livre des Rois chap. 5).
Ainsi donc, conclut Jésus, ces païens ont montré leur charité et leur foi. Et de grands prophètes juifs, au lieu de s'enfermer dans leur nationalisme, ont accepté de les rencontrer et de les combler de bienfaits.
A ces mots, dans la synagogue, tous devinrent furieux. Ils se levèrent, poussèrent Jésus hors de la ville et le menèrent jusqu'à un escarpement de la colline où la ville est construite pour le précipiter en bas. Mais lui, passant au milieu d'eux, allait son chemin.
En quelques minutes, le climat de la synagogue a viré du tout au tout.
L'auditoire avait d'abord admiré les belles paroles de Jésus.
Puis il s'était braqué lorsque le fils de Joseph, le charpentier, affirmait être le Messie qui allait tout de suite accomplir ce que les Ecritures annonçaient.
Le scepticisme augmentait lorsqu'il refusait d'accomplir sur le champ un miracle pour prouver ses dires.
Et le refus tournait à la furie lorsque Jésus semblait insinuer que des païens étaient plus ouverts à la Révélation divine qu'eux, bons Israélites pratiquants.
C'en était trop : on doit supprimer cet imposteur. La rage tourne au meurtre.
Mais Jésus leur échappe et poursuit ailleurs sa mission.
NE S'AGIT-IL PAS DE NOTRE PAROISSE ?
On comprend pourquoi Luc a attribué tant d'importance à cette scène originelle de l'Evangile : elle est exemplaire de ce qui va se produire. Jésus va en effet se heurter à ses compatriotes qui, en majorité, ne l'accepteront pas. « Nul n'est prophète dans son pays » dit-il et « pays » désigne non seulement son village et sa province mais sa nation entière ! Ils iront même jusqu'à le mettre à mort. Non en le « jetant en bas » mais en « l'élevant » sur une croix. Mais Jésus « passera » la mort et, par ses disciples, rejoindra les peuples païens où beaucoup lui feront confiance et croiront en lui.
Il leur assurera le Pain de toujours (l'Eucharistie) et rendra vie à leurs enfants (mieux qu'Elie) ; il les purifiera de la lèpre du péché (mieux qu'Elisée). Ainsi Jésus accomplira au centuple ce que les prophètes avaient fait.
Ne condamnons pas ces Juifs incrédules et, à l'inverse, prenons conscience que cette scène nous vise encore.
Nous admirons beaucoup les moines de Taizé, le Dalaï-lama, madame San Suu Kyi, l'héroïque résistante birmane. Ils sont loin et notre enthousiasme ne nous coûte guère. Mais que notre prêtre ou un de nos paroissiens tienne un discours nouveau, propose une initiative hardie, cherche à secouer notre apathie et nos cérémonies somnolentes en nous disant : « Allons-y, commençons ça aujourd'hui ». Que se passera-t-il ? Aussitôt des murmures s'élèvent, des dents grincent, des objections fusent, des contestations se durcissent : « Attention, n'allons pas trop vite ... il faut bien réfléchir avant...soyons prudents !... »
Nous aimons les sermons qui évoquent le bon vieux temps où tout allait bien (églises remplies, vocations nombreuses, processions vibrantes) ; nous sommes consolés par des prophéties sur un avenir radieux où les crises seront résolues, où la misère aura disparu et l'entente parfaite, où « le genre humain sera l'internationale ».
Nous n'avons pas à nous enliser dans un passé idéalisé ni à nous évader dans des rêveries utopiques. Commençons AUJOURD'HUI à accomplir notre vocation chrétienne. AUJOURD'HUI apportons la Bonne Nouvelle aux pauvres, libérons les captifs de la solitude et du désespoir, ouvrons les yeux de ceux qui sont enfermés dans la nuit du doute.
L'Evangile certes est mémoire indispensable de Jésus le Fils, il est élan permanent vers la future Maison du Père, mais afin d'être AUJOURD'HUI vie fidèle, travail missionnaire dans l'Esprit.
Ne soyons pas plus surpris que Jésus de butter contre des frères chrétiens si bien ancrés dans ce qu'ils appellent « leur foi » qu'ils n'ont aucune envie de prendre le large.
Ne soyons pas des parents découragés devant l'échec de l'instruction chrétienne de leurs enfants : nous serons surpris de rencontrer sur notre lieu de travail des gens qui se posent des questions, qui sont avides de connaître, qui s'ouvrent avec bonheur à la lumière de la Bonne Nouvelle.
Oui on découvre que des agnostiques, des incroyants, des bouddhistes empoignent AUJOURD'HUI des responsabilités au parfum d'Evangile
4e dimanche ordinaire, année C
- Auteur: Devillers Raphaël
- Temps liturgique: Temps ordinaire
- Année liturgique : C
- Année: 2012-2013