Tous les Saints

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A, B, C
Année: 2011-2012

LA TOUSSAINT NOTRE ESPERANCE

Confondu, hélas, avec le jour des morts et consacré aux visites au cimetière, la TOUSSAINT, il faut sans cesse le répéter, n'est pas le jour des défunts mais le jour des vivants. Alors que la nature glisse vers la grisaille et le froid de l'hiver, alors que la crise n'en finit pas et que l'humanité s'interroge sur son avenir, l'Eglise affirme que si les guerres se succèdent, si l'homme est parfois capable de barbarie et si certains annoncent une catastrophe finale, la marche du temps va vers le triomphe de l'humanité transfigurée.

LA SAINTETÉ

En lisant leurs vies truffées de miracles, de phénomènes mystiques, de réalisations prodigieuses, en contemplant leurs représentations en statues et vitraux dans nos églises, en voyant parfois une cérémonie de « canonisation », nous sommes portés à voir dans « les Saints » des personnes privilégiées qui ont bénéficié de grâces spéciales et ont accompli des choses hors de notre portée. Comment imiter sainte Thérèse d'Avila et ses extases, François d'Assise et son dénuement radical, Vincent de Paul et son génie caritatif, Damien chez les lépreux ? On a tellement exalté ces personnes qu'on les a éloignées de nous si bien que nous sommes persuadés que la sainteté est un privilège réservé à certains, qu'elle exige des miracles, des prodiges - bref tout ce que nous ne connaissons jamais.
Or « saint » (de l'hébreu « qadosh ») signifie séparé. Lorsque Dieu a fait alliance avec Israël, il lui a demandé d'être un peuple « saint », c.à.d. une communauté qui n'accepte pas injustice, corruption, méchanceté, oubli des pauvres, orgies païennes et qui observe la Loi de Dieu c.à.d.  le droit, la confiance en Dieu, l'amour fraternel. De ce fait, cette obéissance à Dieu entraîne une existence différente de celle des voisins pour devenir (difficilement et peu à peu) « sainte ». Homme parmi les hommes, un saint est séparé : non pas à l'écart mais autre, non d'abord par des actions miraculeuses ou son habit, mais par sa façon de vivre l'Evangile, la confiance et l'amour, et en refusant égoïsme, indifférence, vengeance, racisme, avarice.

LA MULTITUDE INFINIE DES SAINTS

L'Eglise est fière de faire mémoire, chaque jour, d'un grand Saint (qu'elle fête toujours non au jour de sa naissance terrestre, mais au jour de sa mort c.à.d. de sa véritable naissance à la Vraie Vie) mais leur foule va bien au-delà des 365 du calendrier. Il n'y a pas que « les médailles d'or », les champions, les brevetés : à côté d'eux et avec eux il y a cette foule innombrable que Saint Jean voyait dans son « Apocalypse », ce grand livre d'espérance.  (Apocalypse, chap. 7  =  1ère lecture)

J'ai vu une foule immense, que nul ne pouvait dénombrer, de toutes les nations ; ils se tenaient debout devant le trône de Dieu et l'Agneau, en vêtements blancs et ils proclament : «  Le salut est donné par notre Dieu et par l'Agneau ». Tous les anges se prosternent pour adorer Dieu : «  Amen ! Louange, gloire, sagesse, honneur à notre Dieu pour les siècles des siècles »....Un Ancien me dit : «  Ils viennent de la grande épreuve : ils ont purifié leurs vêtements dans le sang de l'Agneau

Ce message de Jean jette un rayon de lumière sur l'avenir et nous guérit du désespoir et du fatalisme. En dépit des horreurs dont l'humanité est parfois capable, le projet de Dieu se réalise avec certitude : il y aura une humanité unie, libérée des haines et des guerres ; elle s'accomplira dans la joie partagée ; elle exultera dans l'adoration, l'acclamation unanime ; sans présenter nul mérite, elle rendra grâce à Dieu et à Jésus son Seigneur. Mais cette fin ne sera pas sans chemin de douleur : ces hommes et ces femmes auront osé la vie sainte c.à.d. la différence vis-vis des apathies et des conventions, donc ils auront été moqués, traqués, combattus, parfois torturés et tués par leurs ennemis. Toutefois leur sainteté ne sera pas due à leur courage, à leur héroïsme, à leurs miracles mais à la confiance dans le sang de l'Agneau du Golgotha qui les aura lavés, purifiés, pardonnés car il a offert sa vie pour libérer les hommes par son amour.
Il nous est bien permis d'espérer que beaucoup de personnes que nous avons connues et qui ont mené une existence toute simple font partie de cette multitude ...et que nous aussi, par la grâce du même Seigneur, serons invités à rejoindre une humanité accomplie et exultante.

LA SAINTETÉ QUOTIDIENNE : LES 8 BÉATITUDES

Car les hommes ne sont pas des clones qui sortent, identiques, de la chaîne de montage. Bien que marqués par notre hérédité et notre éducation, blessés par les circonstances, tiraillés par les forces instinctives, nous restons libres de choisir le chemin sur lequel nous nous engageons. Surtout, plus encore, nous restons libres de reconnaître nos faiblesses et de demander d'être lavés de nos souillures par le sang de l'Agneau. L'Evangile nous éclaire sur nos options de vie, il nous indique le chemin à prendre pour ne pas nous égarer ; mieux encore il nous montre le modèle absolu, Jésus de Nazareth, l'homme qui a accompli sa propre vocation et qui a proclamé le programme fondamental, valable pour tous dans les siècles des siècles : les 4 paires des Béatitudes.

Heureux les pauvres en esprit : le Royaume des cieux est à eux.
Heureux les doux : ils obtiendront la terre promise
L'option de base est l'humilité, le refus de l'orgueil. Non le mépris de soi mais la pauvreté de c½ur. Qui exige aussi le détachement, le refus de l'idolâtrie des biens, la cupidité, la passion de l'enrichissement.

Heureux ceux qui pleurent : ils seront consolés.
Heureux ceux qui ont faim et soif de la justice : ils seront rassasiés.
Ces pleureurs, dit la Bible, ce sont les personnes qui ne se satisfont pas des délabrements actuels, des ruines, des désastres qui abîment la terre. Ils désirent, comme du pain, comme de l'eau dans le désert, que vienne la justice de Dieu, que le projet de Dieu s'accomplisse.

Heureux les miséricordieux : ils obtiendront miséricorde.
Heureux les c½urs purs : ils verront Dieu.
Le c½ur, c.à.d. le centre profond de notre personnalité doit cesser d'être dur, indifférent au malheur, tiraillé par des passions égoïstes. Faire le bien, vivre solidaire, pardonner les injures ouvre au pardon de Dieu et à la lumière de la foi.

Heureux les artisans de paix : ils seront appelés fils de Dieu.
Heureux ceux qui sont persécutés pour la justice : le Royaume des cieux est à eux.
Le saint ne se résigne pas aux déchirures, il ne « traverse pas les champs de bataille une rose à la main » (Giono). Il dit : « Quand tu souffres, j'ai mal » (abbé Pierre). Et dans son ½uvre toujours recommencée de réconciliation, il fait la dure expérience du refus : on lui en veut, on le rend responsable, on rejette ses propositions, on se moque de son idéal. Cependant, paradoxe suprême, dans ses échecs et ses blessures, il connaît la joie du Christ car accomplir sa vocation de pacification donne à l'homme sa réalisation plénière.

Ainsi ce message nous révèle les 4 attitudes de base de la sainteté qui est en même temps bonheur : la pauvreté sans orgueil, l'espérance inébranlable, le c½ur clair et serviable, la quête de la paix au prix des douleurs. En nous engageant dans l'hiver, anxieux devant les menaces, poursuivons la route balisée par les Béatitudes. Elle nous démarque des modes, des conceptions, des pratiques de la majorité mais nous fait membres du peuple prophétique qui promet à l'humanité son avenir véritable.
Nous n'allons pas vers l'anéantissement final mais vers l'apothéose d'une humanité enfin SAINTE.

30e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Sélis Claude
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

Cet aveugle, mendiant au bord de la route, résume bien la condition de l'homme du point de vue spirituel, pas seulement du temps de Jésus mais de tout temps.
Il est assis au bord de la route, c'est-à-dire assez passif, en dehors du mouvement. Sans doute désabusé, ayant perdu toute illusion, il ne cherche plus, il n'espère plus un sort meilleur. Il s'est installé hors de la ville. En principe, c'est pourtant là qu'il aurait pu trouver plus de passants, plus de gens qui l'auraient vu, lui l'aveugle, et venir à son aide. Mais au contraire, on le sait bien, l'agitation d'une ville (et, transposons tout de suite: l'agitation d'une vie) ne permet pas de voir ni de s'arrêter aux mendiants. Je ne parle pas de Sans Domicile Fixe mais de nos mendicités, de nos aveuglements humains, spirituels, dans nos propres vies. Bartimée avait déjà compris cela: il aurait plus de chance de trouver la voie d'une nouvelle vie en quittant la ville et son agitation.
Le Jésus qui sort de Jéricho à ce moment-là est un Jésus qui a quitté Nazareth où il a grandi et cette région de Galilée où il avait prêché depuis plus de deux ans. Il a décidé de monter à Jérusalem car c'est là qu'il devra terminer sa mission comme grand-prêtre offrant l'ultime sacrifice, selon l'image rappelée par l'épître aux Hébreux. D'ailleurs, entre Nazareth et Jéricho, avaient pris place les trois annonces de la Passion. C'est donc bien un Jésus en marche dans sa mission de Sauveur que rencontre l'aveugle. En ville, dans le dédale de ruelles, il n'aurait peut-être pas croisé Jésus. En se postant sur le chemin de Jérusalem, il avait assurément plus de chances.
Notre aveugle n'avait plus l'usage de ses yeux mais il avait encore ses oreilles et sa langue. Il avait donc pu entendre parler de Jésus et de sa mission de Salut. Et lorsqu'il apprend que c'est Jésus qui passe si près de lui, il utilise sa langue, il crie son désarroi, son attente, en s'adressant à lui par deux noms différents: "Jésus" (le prénom du Jésus familier proche de nous) mais aussi "Fils de David" (titre que reprendront en choeur ceux qui accueilleront Jésus entrant à Jérusalem au terme de ce voyage). Titre qui situe également Jésus comme re-fondateur d'un nouvel Israël (comme David l'avait été du premier Israël). Notre aveugle ne manquait donc pas de clairvoyance !
Le réflexe spontané de la foule, qui devient plus aveugle que les aveugles quand elle devient foule (et qui se veut sourde aux appels des infirmes de la vie car elle croit qu'elle sait ce qu'elle veut), est de rabrouer l'aveugle (comme le boiteux d'ailleurs) qui risque de ne pas marcher au même pas des mêmes certitudes.
Mais ces cris-là, Jésus les entend malgré la foule. A ces incertitudes, à ces attentes, surtout d'un individu conscient de son infirmité, Jésus est sensible. Pour une telle personne, Jésus arrête tout et tout le monde, un moment, le temps de se pencher sur cette détresse. La foule, à ce moment, prend elle-même conscience que l'important n'est pas de marcher sur Jérusalem comme pour la conquérir (le rôle de grand-prêtre n'est pas un rôle que l'on conquiert; il ne peut être que donné par Dieu rappelait l'épître) mais en faisant déjà oeuvre de salut en chemin. Ce n'est pas la foule qui guérit l'aveugle mais c'est la foule (nous, l'Eglise) qui peut dire aux gens: "confiance, relève-toi, Il t'appelle". A Jésus qui lui demande: "Que veux-tu que je fasse pour toi ?", l'aveugle ne demande pas l'aumône comme il le faisait depuis toujours à tous les passants; il demande beaucoup plus, témoignant ainsi de sa confiance en ce Jésus. Derrière le fait de demander de recouvrer la vue, il y a, plus spirituellement, le fait de demander la clairvoyance sur son propre destin. La chose était claire désormais: "dès qu'il se mit à voir, il suivit Jésus sur la route".

30e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

ENFIN « VOIR » LA ROUTE À PRENDRE

Les extraits d'Evangile que nous écoutons chaque dimanche risquent toujours d'apparaître comme des pièces séparées, chacune commentée pour elle-même. Aujourd'hui, il serait bon d'embrasser d'un coup d'½il les scènes racontées en ces dernières semaines, de rassembler les pièces du puzzle car elles constituent un ensemble qui a un sens. Récapitulons donc.
Tout au nord de son pays, à la frontière du monde païen en construction, Jésus a décidé de monter à Jérusalem. C'est le tournant de sa vie : il sait que, dans la capitale, il sera refusé, haï et condamné à mort. Et en même temps il a prévenu que tout disciple partagera ce destin : «  Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup....Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même, prenne sa croix et me suive » (8, 31-38). A partir de ce moment et de cette déclaration qui donne « le principe directeur » de la vie du Messie et de son Eglise qui marche derrière  lui, Marc a raconté 5 scènes qui abordent les divers aspects de notre vie. Lues ces derniers dimanches, rappelons-les en bref.
1.         9, 33-50 :     LA VIE EN COMMUNAUTE CHRETIENNE
Pas de querelles de préséances, pas de lutte pour le pouvoir chez les dirigeants de communauté. Qu'ils soient comme les serviteurs de leurs frères, veillant surtout à ne pas les scandaliser et à mettre leur foi en péril. Que tout se passe dans la paix.
2.        10, 1-12 :      LE MARIAGE
Si la Loi permettait la répudiation de l'épouse, il n'y avait là qu'une concession. Le projet du Dieu unique est que l'union homme/femme représente l'alliance entre Dieu et son peuple - deux qui font UN - donc le mariage doit être un et indissoluble.
3        10, 13-16 :     LES   ENFANTS
Loin d'être seulement un petit être à dédaigner, à redresser, à éduquer, l'enfant est le modèle pour le croyant. L'adulte tenu à assumer ses responsabilités, à faire et construire le monde, doit comprendre qu'il doit accueillir le Royaume. Comme l'enfant, il doit reconnaître son ignorance, avoir envie d'apprendre, accepter de recevoir comme vrais des enseignements qui le dépassent, suivre son Maître - Jésus Messie - là où celui-ci veut le conduire...si dur que soit le chemin. «  Amen, je vous le dis : qui n'accueille pas le Royaume de Dieu comme un enfant n'y entrera pas » (10, 15) : la déclaration de Jésus est solennelle  et centrale dans l'ensemble.
4       10, 17-31 :     LA VIE ECONOMIQUE
L'argent est utile et nécessaire mais le danger est grave d'être pris par la passion d'avoir toujours plus. La cupidité, l'idolâtrie de l'argent empêche absolument l'entrée dans le Royaume. Pour mettre en garde contre cette avarice, Jésus appelle certains à opter pour une existence pauvre, toute consacrée justement à annoncer la venue du Royaume et donc à exhorter à la conversion, au changement des mentalités et des m½urs. Ces « pauvres apôtres » seront contestés, persécutés mais ils recevront la Vie éternelle.
5       10, 35-45 :     ENCORE L'AMBITION
Faut-il que la passion du pouvoir et les rivalités entre dirigeants soient grandes pour que le sujet revienne ! La communauté de Jésus doit s'organiser au contraire du monde : pas de carriérisme, pas de coups fourrés pour dépasser un autre, pas de rêves de pourpre et de places d'honneur. « Si quelqu'un veut être le premier, qu'il soit l'esclave de tous ». Il faudra boire la coupe jusqu'à la lie et plonger dans le torrent des épreuves et des souffrances. Comme le Fils de l'homme qui se fait serviteur, esclave, afin de libérer l'humanité.

RÉACTIONS SPONTANEES DES CHRÉTIENS 
A chacune de ces scènes, Marc montre les apôtres « à côté de la plaque » : ils se querellent, se jalousent; ils veulent le monopole du bien ; ils ne comprennent pas le refus de la répudiation de l'épouse ; ils chassent les mères qui présentent leurs petits ; ils voient dans la richesse une bénédiction ; ils manigancent pour devancer les confrères ; ils guignent le pouvoir ! Ils représentent bien nos réticences, nos objections en face d'enseignements qui nous semblent impossibles à pratiquer.
ILS NE VOIENT PAS. Donc il est normal qu'en conclusion, Marc raconte la guérison d'un aveugle.
LA GUÉRISON DE BAR TIMÉE.

Tandis que Jésus sortait de Jéricho avec ses disciples et une foule nombreuse, un mendiant aveugle, Bar Timée (le fils de Timée) était assis au bord de la route. Apprenant que c'était Jésus de Nazareth, il se mit à crier : «  Jésus, fils de David, aie pitié de moi ! ».
Beaucoup de gens l'interpellaient vivement pour le faire taire mais il criait de plus belle : «  Fils de David, aie pitié de moi ! ». Jésus s'arrête et dit : «  Appelez-le ». On appelle donc l'aveugle et on lui dit : «  Confiance, lève-toi : il t'appelle ».
L'aveugle jeta son manteau, bondit et courut vers Jésus. Jésus lui dit : «  Que veux-tu que je fasse pour toi ? - Rabbouni, que je voie ! ». Et Jésus lui dit : «  Va, ta foi t'a sauvé ».
Aussitôt l'homme se mit à voir et il suivait Jésus sur la route.
Jéricho, l'oasis luxuriante dans la vallée du Jourdain, constitue l'ultime étape du pèlerin : c'est là que commence la montée vers Jérusalem. Marc est le seul évangéliste à donner le nom de l'handicapé : Bar (en araméen : fils) - Timaïos (en grec : valeur, dignité) : l'homme porte la marque des deux mondes que Jésus vient sauver en les unissant.
C'est un pauvre de toutes les manières. : enfermé dans sa cécité, seul sans soutien familial donc obligé de mendier, un marginal en bordure du chemin, assis donc oisif, sans travail, sans destination.
Intrigué par la rumeur et l'agitation, il questionne et apprend le passage de ce prédicateur dont on raconte les miracles et qui serait peut-être le Messie, descendant lointain du grand roi David. Du coup, du fond de sa misère, il crie, sans arrêt il hurle ; personne ne parvient à le faire taire. Sa voix est sa seule arme, sa seule force : AIE PITIE DE MOI !
Au milieu de la houle des vivats, des gens qui se contentent de le regarder et de l'acclamer, Jésus perçoit les cris du pauvre, s'arrête et demande qu'on le lui amène. Il l'« appelle » (trois fois répété).
« Confiance ! LEVE-TOI » : c'est le verbe que l'on emploiera aussi pour parler de la résurrection de Jésus.
Et le pauvre, sur le champ, laisse là sa seule richesse, son manteau, sa protection, son apparence (Timée) pour bondir et courir, en chancelant, bras ouverts. Le contraire du jeune homme riche qui n'avait pas osé abandonner ses biens pour suivre Jésus !
Que veux-tu ? - QUE JE VOIE - VA,  TA FOI T'A SAUVÉ. Parce que tu as crié, que tu as exprimé ton malheur incurable, que tu as tout laissé pour courir à ma rencontre, que tu t'es dressé, que tu as fait confiance.
Et tandis que les gens regardent s'éloigner Jésus et les siens avant de retourner à leurs occupations, Bartimée, lui, SE MET A SUIVRE JESUS dans sa montée dangereuse vers Jérusalem. IL VOIT CE QU'IL FAUT FAIRE. Il devient disciple, un enfant qui accueille le Royaume.

Nous comprenons maintenant le sens de l'épisode : il ne s'agit pas seulement du récit d'un miracle inexplicable. Bartimée représente tous ces disciples et ces gens rencontrés lors des scènes précédentes et qui ne VOYAIENT PAS pourquoi Jésus parlait de mort prochaine, pourquoi il appelait au renoncement et à la croix, pourquoi il proposait des enseignements aussi exigeants. Et les disciples aujourd'hui, c'est nous.
Bartimée nous pousse à reconnaître notre incapacité de percevoir le dessein pascal de l'Evangile, à avouer « notre aveuglement », à confesser notre pauvreté. Lui, l'appelé, il nous conseille de nous laisser appeler, de faire confiance, de ne plus demeurer inactifs et résignés, en bordure du chemin de l'histoire du salut.
Il nous crie de nous lever, d'oser abandonner ce qui nous couvre et nous protège, de supplier pour voir.
Et « aussitôt » (ce petit mot tant aimé de Marc), sans attendre - parce que l'Evangile est toujours urgent - de nous mettre en route derrière Jésus et de le suivre.
CELUI QUI NOUS FAIT VOIR NOUS FERA VIVRE. Quand tu sais qui TU SUIS, TU ES.

29e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Sélis Claude
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

L'évangile de ce dimanche intervient, chez Marc, après la 3° annonce de la Passion et juste avant le récit de l'entrée messianique à Jérusalem. A l'entendre comme elle est présentée dans cet évangile, la requête des fils de Zébédée nous semble présomptueuse. Et pourtant, en un sens, elle est tout à l'honneur de ces deux disciples les plus proches de Jésus, Jacques et Jean. Au moins eux ont perçu l'enjeu -et l'issue- de la Passion du Christ. Ils ont même très justement compris que son sacrifice allait le refaire entrer dans la gloire divine et que, désormais, cette gloire serait accessible aux hommes parce que le Christ, par son Incarnation, s'était chargé des péchés de l'humanité. Ils ont très bien compris, et quand le Christ leur dit: "Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire", ils ne sont pas décontenancés; la réponse est prête: "oui, nous le pouvons" et leur vie d'apôtres en sera l'illustration. Jésus ne s'était d'ailleurs pas indigné de leur question, mais bien les dix autres disciples. Et la leçon qui suit sur "le maître et le serviteur" ne s'adresse pas à Jacques ni à Jean mais à ces dix autres qui s'étaient indignés parce que eux n'y avaient vu qu'une affaire de préséance.
Ce qu'il y a à comprendre, c'est la différence entre la "gloire" au sens biblique et la "gloire" au sens païen. La "gloire de Yahweh" est un concept-clé de l'Ancien Testament: elle désigne la manifestation, dans les oeuvres, du souci divin de sauver son peuple. Le passage de la Mer Rouge, sauvant son peuple de l'esclavage du péché ou le don de la manne, qui nourrit le peuple comme peuple de Dieu, sont, par excellence, des manifestations de la gloire de Dieu.
Jésus naissant comme un exilé dans une crèche, humilié lors de sa Passion à l'image du Serviteur Souffrant décrit par Isaïe, est une manifestation de la gloire de Dieu. Parce que le Salut de tous passera par là.
La gloire au sens païen, c'est s'approprier un pouvoir et le faire sentir. Le faire sentir en infériorisant l'autre, en l'humiliant. Cette gloire-là se manifeste dans le paraître, dans le clinquant, l'extravagant, la démesure. Elle manifeste surtout les instincts les plus bas de l'animalité de l'homme. Elle est source de mort, de morts physiques, de mort de la dignité des personnes et ne peut qu'engendrer des sentiments de vengeance, sources de nouvelles morts et de nouveaux pouvoirs, qui n'auront de nouveaux que la succession dans le temps car ils sont, ne peuvent être, que de même nature.
Comment briser ce cercle infernal engendré par la soif de gloire païenne ? Isaïe l'avait pressenti: il fallait un Serviteur qui souffre toutes les humiliations, sans se venger. L' Evangile est cette Bonne Nouvelle d'un Jésus portant le péché de toutes ces humiliations et donnant le pardon de Dieu afin que tous soient sauvés. Et nous ? Et notre Eglise ? Sommes-nous prêts à nous faire serviteurs ? Sommes-nous vraiment à même de prendre le parti d'être porteurs de la gloire de Dieu plutôt que de celle des hommes ? Puissions-nous répondre, avec la pleine assurance de Jacques et Jean: "oui, nous le pouvons !".

 

29e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

LES « FILS-POUR-EUX » et LE « FILS-POUR-LES-HOMMES »

Nul besoin d'un don de clairvoyance : au fur et à mesure qu'il approche de Jérusalem et toujours aussi décidé d'y proclamer son message, Jésus sait ce qui l'attend : la colère, le refus, la mort. Pour la 3ème fois (mais la scène n'est pas ici dans la liturgie), il avertit les disciples et notamment, en privé, il dit aux Douze apôtres : «  Nous montons à Jérusalem et le Fils de l'homme sera livré...condamné à mort... » (Marc 10, 32-34). Et à nouveau, on constate combien ce message demeure opaque à ses destinataires.
Jacques et Jean, les fils de Zébédée, s'approchent de Jésus :
-    Maître, nous voudrions que tu exauces notre demande. 
-    Que voudriez-vous que je fasse pour vous ?
-    Accorde-nous de siéger l'un à ta droite, l'autre à ta gauche, dans ta gloire »
La perspective de la croix n'est absolument pas passée, même chez les 12 apôtres : ils demeurent persuadés que Jésus va faire advenir le Royaume de Dieu dont il parle depuis le début et qu'ils imaginent sur le modèle de la Gloire terrestre. C'est le moment d'intervenir, se disent les deux fils de Zébédée, afin d'obtenir les meilleures places dans le futur gouvernement. Par cette démarche, ils ne veulent rien moins que supplanter Simon Pierre que Jésus a placé en tête, en lui donnant un nouveau nom, dès la constitution du groupe (3, 16). Les Zébédée se considéraient sans doute d'un statut social plus élevé que Simon : au lac de Galilée, leur père dirigeait une entreprise de pêche avec plusieurs ouvriers (1, 20) tandis que Pierre et André étaient des pauvres qui peinaient seuls. Les plus riches auraient-ils droit aux places d'honneur ?
Jésus annonce leur destin à ces « fils à papa »ambitieux : 
-    Vous ne savez pas ce que vous demandez ! Pouvez-vous boire à la coupe que je vais boire, recevoir le baptême dans lequel je vais être plongé ?
-    Nous le pouvons.
-    La coupe que je vais boire, vous y boirez ; et le baptême dans lequel je vais être plongé, vous le recevrez. Quant à siéger à ma droite ou à ma gauche, il ne m'appartient pas de l'accorder : il y a ceux pour qui ces places sont préparées ».
Dès le départ du voyage, Jésus avait uni le sort de tout disciple au sien: «  Il faut que le Fils de l'homme souffre beaucoup, qu'il soit mis à mort... » ; et il enchaînait aussitôt: «  Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même, et prenne sa croix » (8, 31-38). Qui confesse Jésus Christ connaîtra son sort : la même coupe, le même baptême.
A l'époque, le vin est mal décanté et le récipient garde un fond de lie amère : aussi « boire la coupe » signifie « aller jusqu'au bout, ne pas s'arrêter aux heures de bonheur, affronter le pire ». Comme on dit aujourd'hui : « boire le calice jusqu'à la lie ». L'étape ultime est très dure, elle fait peur : Jésus lui-même, lorsque l'heure s'approchera, connaîtra une terrible agonie à Gethsémani et il sera tenté de hurler vers son Père pour qu'il lui épargne « cette coupe », mais finalement il l'acceptera. (14, 36).
Naguère il avait demandé avec joie de recevoir le baptême donné par Jean-Baptiste dans les eaux du Jourdain  mais à présent il perçoit qu'il va être « plongé » dans l'abîme de l'horreur : c'est le ruisseau de feu de la crucifixion et de la mort qu'il va lui falloir franchir ! Et la certitude de voir son Père qui l'attend au-delà n'adoucit pas sa détresse et son épouvante.
Vraiment les Zébédée ne savent pas ce qu'ils demandent ! Si Jésus leur promet de partager plus tard la souffrance de la Passion, il ne peut toutefois leur accorder les deux premières places car, en effet, elles seront données aux deux larrons anonymes qui partageront l'horreur du Golgotha (15, 27)

AMBITIONS GENERALISEES

Les Zébédée n'étaient pas les seuls à avoir le goût du pouvoir : tous les apôtres convoitaient eux aussi les meilleures places, d'où leur colère lorsqu'ils s'aperçoivent de la man½uvre des deux frères.
-    Les dix autres avaient entendu (la demande des Zébédée) et ils s'indignaient contre Jacques et Jean. Jésus les appelle: « Vous le savez : ceux que l'on regarde comme chefs dans les nations païennes commandent en maîtres et les grands font sentir leur pouvoir. Parmi vous, il ne doit pas en être ainsi.
Celui qui veut devenir grand sera votre serviteur. Celui qui veut être le premier sera l'esclave de tous ».
Dans le monde des entreprises, des armées et des gouvernements, à tous les degrés de la hiérarchie, les chefs commandent : organisation tout à fait normale, indispensable même pour l'efficacité, et Jésus n'y fait aucune objection. Mais dans le Royaume qu'il va inaugurer, il doit en aller de façon toute contraire, comme il le disait déjà lors de la halte à Capharnaüm : « Si quelqu'un veut être le 1er, qu'il soit le dernier de tous » (9, 35). Ici il ajoute une phrase importante où il révèle jusqu'où doit aller « le service » et où il montre aux disciples la source où puiser le courage de donner sa vie.

JESUS « LE REDEMPTEUR »

-    « Car le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi mais pour servir
et donner sa vie en rançon pour la multitude »
Dans l'antique droit tribal, lorsqu'un homme endetté devenait esclave de son créancier, un membre de sa famille devait tout faire pour le « racheter » ; et de même ce parent devait « racheter » la propriété qu'il avait fallu vendre. Ce justicier s'appelait le GOËL (du verbe ga'al= racheter, libérer). (Lévitique 25, 47)
Puisque YHWH avait fait alliance avec Israël, lorsque celui-ci fut esclave en Egypte, Dieu lui déclara : « Moi YHWH je vous ferai sortir, je vous délivrerai de leurs servitudes. Je vous « rachèterai » avec puissance et autorité, je vous prendrai comme mon peuple à moi » (Exode 6, 6).
De la même façon, lors de la déportation à Babylone, YHWH réaffirma son statut de go'ël : «  Ne crains pas, Israël, c'est moi qui t'aide : celui qui te rachète, c'est le Saint d'Israël » (Isaïe 41, 14).
Le prophète anonyme, appelé « 2ème Isaïe » (auteur des chapitres 40-55 que l'on joignit à l'½uvre du grand Isaïe) se plait à répéter cette Bonne Nouvelle qui fait jubiler les exilés : YHWH va nous « racheter »c.à.d. il va nous faire sortir de la misère de l'exil et nous reconduire sur notre terre. Et très curieusement, au sein de ses oracles, le prophète introduit un personnage mystérieux qu'il appelle LE SERVITEUR DE YHWH et dont il a un jour une stupéfiante vision:

« ...Il est méprisé, homme de douleurs, familier de la souffrance. Méprisé, nous ne l'estimions nullement.  En fait ce sont nos souffrances qu'il a portées, nos douleurs qu'il a supportées...
La sanction, gage de paix pour nous, était sur lui ; dans ses plaies se trouve notre guérison....
Brutalisé, il n'ouvre pas la bouche, comme un agneau traîné à l'abattoir...
Seigneur Dieu, fais que, broyé par la souffrance, il te plaise.
Daigne faire de sa personne un sacrifice d'expiation. Ayant payé de sa personne, il verra une descendance. Juste, il dispensera la justice, lui mon Serviteur, au profit des foules...
puisqu'il s'est dépouillé jusqu'à la mort, puisqu'il a porté les fautes des multitudes et qu'il vient s'interposer pour les pécheurs »        (Le 2ème Isaïe   52, 13 à 53, 12).
Jésus s'identifie donc à ce « Serviteur souffrant » : la croix du Golgotha ne sera pas l'exécution d'un héros populaire, la mort d'un martyr mais le don total de Jésus pour les hommes. Là sera le point culminant de « son service ». Merveille : Jésus révèle qu'il est le go'el non plus seulement d'un peuple mais de la « multitude » c.à.d. de l'humanité entière. En assumant sa mort en croix, en donnant sa vie, il va « racheter » c.à.d. libérer l'humanité prisonnière du péché, du non sens, de l'absurde, de la mort.
Puisque Jésus est go'el, c.à.d. parce que, avec lui, Dieu a un lien « familial » avec l'humanité, on peut dire que non seulement il peut mais il doit exercer son droit de rachat, sa puissance de libération. Cette libération est au-delà de nos capacités, nous ne pourrons jamais la réaliser nous-mêmes : elle est don gratuit. Cette « rédemption » ne peut s'effectuer que par une puissance plus forte que le péché et la mort : par l'amour absolu du Fils de Dieu qui meurt en pardonnant à ses disciples ambitieux, jaloux, cupides.

Les apôtres voulaient une vie à leur profit : Jésus a une « pro-existence » (qui se « pro-jette » au profit d'autrui). Ainsi il nous sort de l'esclavage du mal et nous introduit dans le Royaume de la communion. « Je passe ma vie présente dans la foi au Fils de Dieu qui m'a aimé et s'est livré pour moi » (Galates 2, 20) : la foi est d'abord confiance, certitude d'être libéré.

28e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Sélis Claude
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

"Bon maître, que dois-je faire pour avoir en héritage la vie éternelle?"
D'emblée, la question est mal posée mais elle est très représentative de la mentalité de ce genre de personnes. La vie éternelle ( on pourrait traduire "la vie en Dieu") n'est pas quelque chose qui se capitalise et qui se transmet par héritage comme des titres bancaires ! Ensuite, la vie en Dieu ne se gagne pas, ni au Lotto, ni par une course aux mérites, ni par le respect scrupuleux d'une liste de prescriptions. Enfin, il ne sert à rien d'entamer la négociation à ce propos par de la flatterie.
Dans sa réponse, Jésus annihile d'abord l'effet de la flatterie. Ensuite, Jésus renvoie son auditeur à quelque chose qu'il "possède" déjà, la Loi. De cette Loi, Jésus ne rappelle à son auditeur que les préceptes de morale sociale horizontale (et non les devoirs envers Dieu !). Peut-être se dit-il que son auditeur (dont on va apprendre qu'il avait de grands biens) ne devait pas être très sensible à la dimension verticale (et, en effet, c'est souvent le cas quand on a trop à s'occuper de choses matérielles). Mais Jésus change tout d'un coup de regard. Il abandonne son regard de docteur de la Loi (dans lequel son interlocuteur l'avait installé) et il reprend le regard du coeur. Celui-là lui dit: aucun humain n'est jamais perdu; à Dieu tout est possible.
Jésus lui propose alors un traitement de cheval: "Va, vends tout ce que tu possèdes...". Pour le sauver, il fallait lui réapprendre le détachement par rapport aux choses, par rapport au fait de "posséder", par rapport à l'instinct d'accumulation sans fin et sans limite (puisqu'il voulait aussi "avoir" la vie éternelle). La pointe du message ne porte pas sur le fait de "donner aux pauvres": on ne voit pas en quoi ce serait une solution structurelle au problème de la pauvreté (au contraire !). De toute façon, ce n'est pas l'objet de cet enseignement mais bien la nécessité du détachement comme attitude personnelle. Et, en effet, le détachement est difficile quand on est attaché à de grands biens (ne sont-ce pas eux qui, finalement, nous attachent...?).
De grands biens ? De grands maux, puisqu'ils font de nous des esclaves ! Voilà comment le matérialisme ambiant arrive à infléchir le sens des mots et à faire croire, comme par évidence linguistique, que des choses matérielles acquises (ktèmata en grec) sont des biens avec, donc, une connotation morale positive. Là où ce mot du Français peut être utilisé adéquatement, c'est à propos de la Sagesse. Et celle-là, précisément, ne s'acquiert pas comme une chose (pierre précieuse, or ou argent). Elle ne se possède pas quelque part dans un coffre. Elle ne se monnaie pas pour acheter autre chose. "J'ai prié et elle m'a été donnée; j'ai supplié et son esprit est venu sur moi": elle est affaire de prière, de supplication, de préférence, d'amour, ... et de don. Et sous sa conduite, quand c'est elle qu'on a préféré plus que toute chose, alors, même les choses de la terre peuvent devenir des "biens" (des agatha comme dit le grec, et non plus des ktèmata).
Seigneur, tu nous as permis d'avoir part aux biens les plus précieux, ceux que tu nous donnes. Change notre regard sur les biens de ce monde afin d'être libéré de tout esclavage et de pouvoir te suivre dans l'allégresse.

 

28e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

FAIRE POUR HÉRITER  ou  DONNER POUR SUIVRE

La montée de Jésus à Jérusalem, scandée par les annonces réitérées de la passion, comporte 5 rencontres où Jésus donne un enseignement sur les divers secteurs de la vie. Nous avons vu : l'autorité dans les communautés chrétiennes, le mariage, les enfants. Aujourd'hui voici la 4ème sur la vie économique.

Jésus se met en route quand un homme accourt vers lui, se met à genoux et lui demande : «  Bon Maître, que dois-je faire pour hériter la vie éternelle ? ». Jésus répond : «  Pourquoi m'appelles-tu bon ? Personne n'est bon sinon Dieu seul. Tu connais les commandements : « Ne commets pas de meurtre, pas d'adultère, pas de vol, pas de faux témoignages, ne fais de tort à personne, honore ton père et ta mère ». L'homme répond : «  Maître, j'ai observé tous ces commandements depuis ma jeunesse ». Posant alors sur lui son regard, Jésus se met à l'aimer. Il lui dit : «  Une seule chose te manque : va, vends tout ce que tu as, donne-le aux pauvres et tu auras un trésor dans le ciel ; puis viens et suis-moi ». Lui, à ces mots, devint sombre et s'en alla tout triste car il avait de grands biens !
En l'appelant « bon maître », l'homme aurait-il cherché à amadouer Jésus pour obtenir une « recette facile » ? En tout cas Jésus décline le titre : inutile de lui adresser des compliments, seule importe la vérité, si tranchante soit-elle.
« Faire pour hériter » : on reconnaît la mentalité légaliste, pharisienne : mériter le ciel, se mettre en règle. Jésus renvoie au c½ur de la Loi, les 10 commandements : toutefois il omet les devoirs envers Dieu et ne rappelle que les devoirs vis-à-vis du prochain et notamment, en finale, les devoirs envers les parents auxquels il ajoute une prescription du Deutéronome (24, 14) : «  Tu n'exploiteras pas un salarié malheureux et pauvre ; le jour même, tu lui donneras son salaire ». Donc cet inconnu est encore jeune (Matthieu parle d'un jeune homme : 20, 22), célibataire, fils d'un propriétaire avec journaliers.

Jésus ne le dément pas lorsqu'il professe sa bonne observance du décalogue, sa justice et sa piété filiale : regardant avec affection ce brave garçon pieux et honnête, il lui propose, comme il l'avait fait à Pierre, André, Jean, Jacques et Matthieu, de faire partie du groupe des apôtres itinérants : « Va, vends, donne, viens, suis-moi ». Et le jeune homme tout à coup se rend compte que, possédant beaucoup de biens, il est possédé par sa fortune. Ce qu'il A est tellement puissant que cela l'empêche d'ÊTRE libre. Impossible de renoncer, de laisser tout là, de se détacher. La propriété est devenue une prison.  Sans un mot, sans oser répliquer que Jésus exagère, conscient que la vérité vient de lui être dite et qu'il va rater sa vie, le jeune se détourne « tout triste ». Il n'a pas eu le courage de sortir de la cage dont Jésus lui ouvrait la porte.

Alors Jésus regarde tout autour de lui et dit aux disciples : «  Comme il sera difficile à ceux qui possèdent des richesses d'entrer dans le Royaume de Dieu ! ». Les disciples étaient frappés de stupeur devant ces paroles. Jésus reprend : «  Mes enfants, comme il est difficile d'entrer dans le Royaume de Dieu ! Il est plus facile à un chameau de passer par le trou d'une aiguille qu'à un riche d'entrer dans le Royaume de Dieu ». De plus en plus effrayés et déconcertés, les disciples se demandaient entre eux : «  Mais alors, qui peut être sauvé ? ». Jésus les regarde et répond : «  Pour les hommes, cela est impossible, mais pas pour Dieu ; car tout est possible à Dieu ».
Nulle part dans les évangiles, Jésus n'appelle des gens mariés et parents à tout laisser pour partir avec lui : cet appel est réservé à certains, à des jeunes disponibles pour foncer dans cette aventure.
Mais toute personne est appelée à entrer tout de suite dans le Royaume de Dieu dont Jésus ne cache pas les exigences telles qu'elles nous sont peu à peu dévoilées en ces dimanches : être le dernier et serviteur de tous,  être comme un enfant et à présent se libérer de la dictature de l'argent.
Chaque fois, ces exigences buttent contre le scepticisme, l'incrédulité des disciples ; et ici leur stupéfaction, leur effroi est à son comble (les verbes de Marc sont très forts) : «  Comment ? On nous a toujours appris que Dieu bénissait les gens pieux en faisant réussir leurs entreprises et que la fortune était comme une récompense de Dieu pour ses fidèles ! » !!?....
Détrompez-vous, enseigne maintenant Jésus : l'attachement aux biens de ce monde empêche de participer au Royaume de l'amour de Dieu - donc de la liberté, du détachement, du partage, de la solidarité.
Mais ce que l'homme n'a pas la force de faire, Dieu le peut. S'il continue à le chercher, s'il va à la  vérité de toute son âme, s'il laisse mûrir en lui la leçon que Jésus lui a donnée, un jour peut-être, ce jeune demandera à Dieu la capacité de se détacher et il sera sauvé. Ce sera l'½uvre de la grâce de Dieu.

Pierre dit à Jésus : «  Voilà que nous avons tout quitté pour te suivre ».
Jésus déclare : «  Amen, je vous le dis : personne n'aura quitté, à cause de moi et de l'Evangile, une maison, des frères, des s½urs, une mère, un père, des enfants ou une terre, sans qu'il reçoive - en ce temps déjà - le centuple : maisons, frères, s½urs, mères, enfants et terres...avec des persécutions !  et, dans le monde à venir, la Vie éternelle ».
« Qui perd gagne » car l'idéal évangélique n'est pas nudité, dépouillement, pénitence mais enrichissement. Le Royaume de Dieu se déploie, dès aujourd'hui, comme une grande famille où les croyants qui ont renoncé à l'attachement exclusif aux liens familiaux et financiers retrouvent une amitié sans frontières, participent à une communauté où, toutes barrières abolies, on accepte de se venir en aide, de s'entraider, de partager ensemble la joie. Les possessions cessent d'être des enclos pour devenir ouvertes aux « frères et s½urs » dans la foi. Saint François, tournant le dos à son père et sa fortune a reçu des petits frères et des petites s½urs par milliers. Et chantant les merveilles de la nature, il s'en allait disant : « Pourquoi serais-je propriétaire alors que tout m'appartient ? »

Mais « avec des persécutions !! ». Cette réussite n'ira évidemment pas sans opposition farouche : non seulement on se moquera de cette utopie des imbéciles chrétiens mais on fera tout pour la faire échouer. Au nom du réalisme, des lois économiques, de la crainte du communisme, on préférera la jungle des affaires, la compétition mortifère, la réussite scandaleuse de certains au détriment de la misère des multitudes. Et par peur, des communautés dites chrétiennes, prétextant la prudence, n'oseront pas se risquer dans cette folie du don.
Remarquez bien : le disciple, dit Jésus, doit se détacher de sept réalités (maison, frères,...) et il les retrouvera au centuple...sauf « son père ». Car dans le Royaume, il n'y a plus de lignées nobles héréditaires et des pauvres manants, sans grade, issus de la plèbe sans nom. Tous et toutes alors n'ont plus qu'UN SEUL PERE UNIQUE et ils unissent leurs voix pour dire ou chanter : NOTRE PERE QUI ES AUX CIEUX ......

Le jeune homme pieux, gentil et honnête, demandait : «  Que faire pour hériter de la Vie ? ».
Et Jésus lui a appris à « DONNER POUR SUIVRE », à « ACCUEILLIR POUR VIVRE ».

Dans notre société de consommation qui sait si bien nous engluer dans la fascination des objets, nous séduire par le pouvoir de l'Argent, nous, chrétiens, saurons-nous écouter l'appel de Jésus, nous libérer des prisons ? Alors nous ne serons plus  moroses et « tout tristes » comme ce jeune qui n'a pas osé croire mais nos Eucharisties témoigneront de l'union joyeuse des c½urs libérés et d'une espérance qui n'est plus celle du cumul des choses mais de la communion des Etres vivants.
L'ANNEE DE LA FOI sera-t-elle riche en décisions de foi ?

28e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

Marie Balmary dans son livre Le sacrifice interdit, raconte l'histoire suivante : « Lacan, à la fin d'un congrès, où ceux de ses disciples qui avaient pris la parole s'étaient efforcés de soutenir et de continuer la pensée du maître, eut ces mots : '... à entendre les divers orateurs, j'ai eu le sentiment d'être comblé.  L'ennuyeux, c'est que comblé par tous ceux qui ont parlé, ça ne m'a pas satisfait ; ça m'a même perturbé quant à l'utilité de ce que je fais.  Le manque me manque.  Quand le manque manque à quelqu'un, il ne se sent pas bien' ». 
N'est-ce pas finalement un peu l'histoire de ce jeune homme riche ?  Il est tellement comblé de tout qu'il ne peut se séparer de rien.  Il n'ose pas créer du manque en lui.  Cela lui donne le vertige.  Il n'y a donc rien de plus terrible pour nous lorsque le manque nous manque.  Cela signifie que nous sommes devenus pleins de tout.  Pire, il n'y a plus aucun espace en nous.  Nous nous confrontons alors au comble du manque, c'est-à-dire le manque du manque tellement celui-ci est comblé.  Il est vrai que cette situation peut nous rassurer.  En effet, il n'est pas toujours facile de marcher au milieu de son propre désert marqué par du vide ou par des expériences douloureuses conduisant immanquablement au manque. En effet, l'épreuve de la maladie, la douleur de la perte d'un être cher, l'échec professionnel ou sentimental peuvent laisser un grand vide en vide en nous et parfois autour de nous. Certains manques pourront même ne plus jamais être comblés et une forme de béance s'installe en nous.  Dans la foi, osons alors croire et espérer qu'au plus profond du fond de nos manques, nous ne sommes jamais seuls : le Christ s'invite au c½ur de nous-même.  Il est cette présence discrète, respectueuse, un souffle fragile qui vient susurrer au creux de notre ombre : « non, tu n'es pas seul, je suis avec toi car je suis descendu au creux de tous tes manques.  Je reconnais cette béance qui t'habite et je m'autorise à venir m'y reposer pour qu'un jour, à ton rythme, lorsque tu le sentiras, tu pourras toi aussi vivre de ma présence au c½ur de ton c½ur ».  En agissant de la sorte, le Christ nous ouvre une voie nouvelle pour vivre autrement nos relations.

Il nous invite à remettre, dans nos vies, du large, de la distance pour que nous puissions à nouveau vivre.  L'amour n'est-il pas l'expérience ultime du manque ?  En d'autres termes, l'amour n'est-il pas par excellence la plénitude du manque.  En effet, nous ne pourrons jamais, dans une relation amoureuse ou d'amitié, nous combler totalement l'un l'autre au risque d'entrer dans un lien fusionnel où l'amour se meurt faute de respiration.  Il est heureux qu'il y ait toujours un peu de manque entre les êtres humains car cet espace indicible permet de laisser l'autre aller à sa liberté.  Qu'est-ce à dire ?  Lorsque je ne suis plus plein de ma personne, lorsque je ne suis plus plein de l'autre, je lui permet d'advenir, c'est-à-dire je l'autorise à partir à la rencontre du meilleur de lui-même.  A cet instant précis, nos relations deviennent fécondent car elles nous permettent de grandir l'un par l'autre.  Toutes et tous, nous sommes nés de la rencontre d'un homme et d'une femme.  La relation s'inscrit au c½ur de nos vies.  Elle nous précède et nous nourrit.  Nous ne pouvons nous en passer.  Une relation harmonieuse, contrairement au jeune homme riche, n'est jamais pleine, comblée à l'infini.  Le manque s'exprime en elle car il est le fondement de toute liberté nécessaire à toute forme de fécondité.  Nous chérissons ces relations privilégiées teintées d'amour et d'amitié car elles sont le lieu même où peut s'exprimer notre fragilité, notre vulnérabilité.  Ces partages en vérité nous ouvrent la voie vers l'altérisation de l'autre.  Telle est notre destinée : nous altériser les uns les autres.  Selon le théologien Xavier Thévenot, l'altérisation est synonyme de cette chasteté à laquelle nous sommes toutes et tous appelés.  En ce sens, la chasteté est cette expérience privilégiée du manque entre nous mais un manque tout habité d'une intention merveilleuse : celle de permettre à l'autre de devenir lui-même.  Chaque fois que nous permettons à un être humain de grandir, de se réaliser sur le chemin de sa propre vie, notre relation devient chaste car nous participons à l'altérisation de celle ou celui de qui nous nous sommes faits proches.  S'il en est ainsi, ne craignons plus nos manques. Vivons-les.  Chérissons-les car ils sont nécessaires à cette liberté intérieure qui nous permet d'aimer mais cette fois pour toujours en vérité.

Amen

27e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

TERRIBLES EXIGENCES !

Jésus a accepté le titre de Messie confessé par ses apôtres : oui, il  vient en effet ouvrir le royaume de Dieu sur terre. Mais rejetant toute perspective de violence, il montre peu à peu par quelles exigences (par quelles morts !) ce salut messianique va se réaliser. D'emblée il a prédit que lui-même serait contredit et supprimé par les autorités de la capitale et il a prévenu ses disciples que le suivre, c'était se renoncer et donner sa vie pour la trouver (Marc 8, 31-38). Cette annonce commande toute la suite.
A la 1ère étape de sa montée vers Jérusalem (symbole de la dureté de la marche chrétienne), il a obligé ses disciples à renoncer à leurs rêves de grandeur et à leurs rivalités mesquines (dimanche passé).
Aujourd'hui (2ème étape) il énonce une exigence aussi radicale à l'endroit des gens mariés.

Des pharisiens abordent Jésus et, pour le mettre dans l'embarras, ils lui demandent : «  Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? ». Jésus dit : « Que vous a prescrit Moïse ? ». Ils répondent :    «  Moïse a permis de renvoyer sa femme à condition d'établir un acte de répudiation ». Jésus réplique : «  C'est en raison de votre endurcissement qu'il a formulé cette loi. Mais au commencement du monde, quand Dieu créa l'humanité, il les fit homme et femme. A cause de cela, l'homme quittera son père et sa mère, il s'attachera à sa femme et tous deux ne feront plus qu'un. Ainsi ils ne sont plus deux mais ils ne font qu'un. Donc ce que Dieu a uni, que l'homme ne le sépare pas ».
Le livre du Deutéronome (attribué à Moïse) disait qu'un mari « qui trouvait en sa femme quelque chose qui lui fait honte et qui cesse de la regarder avec faveur » devait « rédiger un acte de répudiation et le lui remettre en la renvoyant de chez lui » (Deut. 24, 1). Le divorce était donc une pratique autorisée mais il n'était le fait que du mari (société patriarcale). Toutefois les rabbins débattaient sur le sens de « honteux » : l'école de Shammaï enseignait qu'il fallait une raison très grave pour répudier tandis que l'école de Hillel estimait que tout motif était bon (mauvaise cuisinière, rencontre d'une femme plus jolie,... !!??).
On questionne donc Jésus mais « pour le piéger » : qu'il donne une réponse laxiste ou rigoriste, de toute façon, il aura des gens contre lui. Il refuse d'entrer dans cette casuistique.  Le divorce n'est pas une loi mais une concession due à l' « endurcissement du c½ur humain », expression qui ne vise pas l'affectivité mais l'aveuglement de l'esprit, le refus de comprendre et d'accepter le dessein de Dieu.
Et Jésus remonte « au commencement », au fondement du mariage : dans le récit de la création, Dieu est présenté comme l'auteur d'une humanité à deux sexes. Donc lorsque Adam et Eve (figures prototypiques de tout couple) s'aiment et s'unissent, les deux deviennent un et c'est Dieu lui-même qui a créé la sexualité bonne et qui scelle leur alliance. L'amour des c½urs et des corps est une « alliance » qui réalise l' « image de Dieu », qui devient l'épiphanie, la réalisation visible de l' « alliance » entre Dieu et l'humanité.
Il n'y a qu'un Dieu : ce n'est pas une Force, une Transcendance, une Loi mais Quelqu'un qui est capable d'amour, qui n'est qu'amour. Et il n'y a qu'une humanité dont tout membre est revêtu d'une égale dignité. Déclarer que le mariage n'est pas polygamique, c'est défendre la femme dans sa dignité d'être humain égal à l'homme et c'est confesser l'unité de Dieu. Déclarer que le mariage est indissoluble n'est pas une loi disciplinaire, une contrainte imposée par une autorité cléricale mais une façon de dire que Dieu veut, lui aussi, s'unir à l'humanité non comme un créateur, un maître, un seigneur, mais en l'aimant jusqu'à ne plus jamais vouloir se séparer d'elle. Dieu s'allie, épouse et ne divorce jamais. Il ne dira jamais ce que l'être humain peut lui dire : «  Je ne t'aime plus, tu n'existes plus pour moi ». Le mariage fidèle est signe du monothéisme aimant.

Tout de suite évidemment cette exigence paraît trop énorme, invivable, inobservable, ne tenant pas compte des aléas de l'existence, des variations du c½ur, des difficultés caractérielles. Les apôtres eux-mêmes réagissent - en quoi sans doute ils anticipent les réticences et les objections des premières communautés de Rome (où Marc écrit et où le divorce par la femme était possible)
De retour à la maison, les disciples l'interrogent sur cette question ; il leur répond : «  Celui qui renvoie sa femme pour en épouser une autre est coupable d'adultère envers elle. Si une femme a renvoyé son mari et en épouse un autre, elle est coupable d'adultère ».
Ainsi Jésus ose contredire la Loi pour édicter un enseignement qui ne cessera jamais de susciter stupéfaction, dénégation, refus catégorique. Les débats sur le sujet cesseront-ils jamais ? On sait que les évêques sont submergés de demandes, que des théologiens creusent le texte et la tradition des Eglises. Une interprétation nouvelle se fera-t-elle jour ?  L'Eglise catholique continuera-t-elle à opposer un refus à toute demande de « remariage » ? Le dialogue ½cuménique permettra-t-il des ouvertures ?... Grand sujet de prière en tout cas pour nous aujourd'hui. Il y a tant de souffrances.

ETRE COMME UN ENFANT QUI ACCUEILLE

On présentait à Jésus des enfants pour les faire toucher mais les disciples les écartaient vivement. Voyant cela, Jésus se fâcha et leur dit : «  Laissez les enfants venir à moi. Ne les empêchez pas car le Royaume de Dieu est à ceux qui leur ressemblent. Amen, je vous le dis : celui qui n'accueille pas le Royaume de Dieu à la manière d'un enfant n'y entrera pas ».
Il les embrassait et les bénissait en leur imposant les mains.
Jésus a près du peuple renom de grande personnalité spirituelle : aussi les mères se pressent-elles à sa rencontre, lui demandant de toucher leurs petits afin de leur obtenir la bénédiction de Dieu. Mais en ce temps, on n'a pas le culte de « l'enfant-roi » et les apôtres, énervés, s'interposent : « Rentrez avec votre marmaille ! Nous, les hommes,  sommes occupés à une affaire essentielle ! ». Alors qu'ils croient empêcher Jésus de perdre son temps à des futilités, au contraire celui-ci se fâche - ce qui est très rare, donc preuve de l'importance du sujet - car précisément c'est ressembler à un enfant qui est essentiel. 
Attention, il ne s'agit pas d'infantilisme, de babillage, d'airs niais, de goût des contes de fées, de fausse innocence. L'enfant, à cause de sa faiblesse, est obligé de faire confiance : il écoute, il suit ses parents, il se fie à eux parce qu'il est lui-même en tension vers l'avenir. Ainsi le vrai disciple ne décrète pas qu'il sait : il fait confiance à Jésus qui tient des propos jugés exorbitants par « les grandes personnes », qui a des comportements qui scandalisent les « adultes ».
Car le Royaume n'est pas une réalité que l'on construit avec héroïsme, un chemin dont on trace l'itinéraire avec bonne volonté, une morale bien-pensante, un vernis religieux pour consoler des ennuis de l'existence.
Nous ressemblons à ces braves apôtres : pleins d'idées et d'initiatives, nous nous imaginons en train de bien faire, sûrs de nos mérites. Mais nos discours, sont-ils ceux que Jésus tenait ? Nos attitudes correspondent-elles à l'Evangile ? Ne sélectionnons-nous pas les enseignements qui nous agréent, prétextant que « Dieu n'en demande pas tant » ?
Par son élan vers les enfants, Jésus apprend aux disciples que le Royaume s'accueille, qu'ils n'ont pas, et n'auront jamais, les connaissances et les forces suffisantes pour le faire advenir.
Aussi le disciple peut être plein de joie : il ne désespère plus de n'être jamais à la hauteur, il ne s'étonne plus de ses chutes et de ses craintes, il rit de ses balourdises, il abandonne sa « dureté de c½ur », il reste ouvert à la nouveauté, il court vers l'avenir de Dieu sans demander de garanties.
Comme les mamans priaient Jésus de « toucher » leurs petits, le disciple demande à l'Eglise de lui permettre un contact avec Jésus afin de recevoir sa bénédiction et ainsi être rendu capable d'accueillir ses paroles et de le suivre sur des chemins réputés inaccessibles.
De sorte que la confiance de l'enfant le fait, paradoxalement, devenir adulte dans la foi.

27e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

Lorsque j'étais adolescent, au cours de religion, le professeur nous invitait à débattre sur des questions éthiques telles que la peine de mort, l'avortement, la pauvreté, la sexualité, la fécondation in vitro etc.  Au terme de chaque débat, il nous demandait de nous classifier en deux groupes : ceux qui étaient « pour » et ceux qui étaient « contre ».  Nous vivions des débats passionnés où les nuances n'étaient pas de mise.  En quête d'authenticité, nous entrevoyions la vie comme étant partagée entre ceux « en faveur » et ceux « en défaveur ».  Il n'y avait pas de voie moyenne possible.  Il est vrai que le fait de conclure toujours les débats de cette manière nous conduisait immanquablement à une mauvaise vision de la vie.  Nous étions un peu comme les pharisiens de l'évangile de ce jour.
En se limitant à la dynamique du « pour » et du « contre », nous en arrivions à soutenir une morale du permis et du défendu.  « Est-il permis à un mari de renvoyer sa femme ? », cette question des pharisiens conduit à une impasse si nous choisissons de ne pas élever le débat et de la replacer là où il doit être.  C'est ce que le Christ fait d'ailleurs en refusant d'y répondre abruptement si ce n'est par une question fondamentale.  Vu les progrès des sciences, nous sommes aujourd'hui confrontés tous les jours à des questions d'éthique.  Ces dernières sont devenues de plus en plus complexes et l'absence de nuances conduit bien souvent à des débats passionnés et tellement peu passionnant car nous manquons de rigueur dans notre argumentation.  Certains programmes de télévision nous enferment souvent dans ce type d'analyse quelque peu caricaturale.  Le Christ nous indique la voie à suivre.  Par ce dialogue avec les pharisiens, il nous rappelle que tout débat éthique doit contenir trois dimensions à articuler toujours ensemble : l'universelle, la particulière et la singulière.  La dimension universelle est fondamentale car elle nous invite à réfléchir au projet de Dieu sur notre humanité : « au commencement de la création, il les fit homme et femme ».  Revenons donc toujours à la compréhension que nous pouvons avoir de la finalité du projet divin.  Cherchons à découvrir ce que signifie le Royaume de Dieu et voyons comment y participer chacune et chacun là où nous sommes.  Il est vrai que nous pourrions tomber dans un faux prophétisme en nous limitant à cette conception d'un idéal utopique de notre humanité.  Ce n'est pas par des simples déclarations aussi belles puissent-elles être que nous pouvons changer le monde et ses mentalités.  Aujourd'hui encore, nous devons reconnaître que nous ne sommes pas à même de vivre en permanence à la hauteur des exigences évangéliques nécessaires à la construction du Royaume de Dieu.  C'est pourquoi, à cette dimension universelle, il faut y adjoindre une dimension particulière.  Cette fois nous ne recherchons plus l'idéal, nous ne nous enfermons plus dans le rêve de notre perception de ce royaume mais nous essayons de voir ce qui est effectivement possible dans notre société d'aujourd'hui et nous nous donnons des lois qui veilleront à apporter le plus de paix, d'amour et d'épanouissement.  « C'est en raison de votre endurcissement que Moïse a formulé cette loi », souligne Jésus. Ces lois ne tombent donc pas du ciel même si elles le concernent.  Elles sont élaborées au fil des siècles par des êtres humains et elles sont là pour nous aider à éclairer notre conscience.  Toutes les lois tant civiles que religieuses cherchent à donner chair au précepte premier  de l'amour.  Et c'est parce que l'amour brille encore trop souvent par son absence que des lois sont nécessaires pour régir les rapports entre les humains.  En effet, lorsque l'amour est présent, nous n'avons plus besoin de lois.  Toutefois, n'énoncer que les lois risque de nous enfermer dans un légalisme desséchant car une loi ne peut pas toujours prendre toutes les situations en considération et de plus, nous assistons parfois à des conflits de normes qui ne peuvent être toutes exercées en même temps.  C'est pourquoi, il nous faut une troisième et dernière dimension : la singulière.  « Ainsi, ils ne sont plus deux, mais ils ne font qu'un », nous dit le Christ.  Cette dernière dimension tient compte de l'unicité de chaque situation et de chaque personne.  Nous cherchons cette fois à voir ce qui est effectivement possible dans ce cas précis. Nous accompagnons les personnes sur leur chemin de vie sans pour autant chercher à acquiescer à leurs conclusions.  Nous veillons à ce que leur conscience ait été éclairée par les deux autres dimensions afin que leur décision soit la plus vraie et la plus libre possible.  Nous ne sommes plus, comme les pharisiens, dans la dynamique du « permis » et du « défendu ».  Nous sommes entrés dans la force de l'évangile qui cherche toujours la solution qui apportera le plus d'amour.

Amen

26e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2011-2012

Permettez-moi de commencer par une petite histoire,
que racontaient déjà ceux qu'on appelle les pères du désert,
les premiers ermites de l'ère chrétienne. 

C'est l'histoire de deux moines qui, se rendant à un monastère voisin, arrivent au bord d'une rivière en crue. Et sur la berge, une jeune femme hésitante s'adresse au plus jeune des deux moines et lui demande de l'aide pour traverser la rivière. Ce dernier s'écrie: « Ne voyez vous pas que je suis moine et que j'ai fait v½u de chasteté. Désolé, je ne peux pas vous prendre dans mes bras et vous porter. » Peu importe, rétorque le moine plus âgé : « Montez sur mon dos et nous traverserons ensemble. » Il s'exécute et de l'autre coté de la rivière,
le sage moine dépose la jeune femme, qui le remercie d'un large sourire.
Leurs routes se séparent et les deux moines poursuivent ensemble leur chemin en silence. A l'approche du monastère, le jeune moine --toujours tracassé par cette aventure-- dit au moine plus âgé :«Tu n'aurais pas du prendre cette femme sur ton dos, cela va à l'encontre de toutes nos règles. »  Et le vieux moine lui répond: « Pourquoi me dis-tu cela ? Elle avait simplement besoin d'aide et je l'ai déposée sur l'autre rive. Moi, cela fait longtemps que je ne la porte plus. 
Toi, par contre, tu ne l'as pas portée, mais elle t'encombre toujours l'esprit »

Vous connaissez peut-être cette vieille histoire. Elle nous invite, comme l'évangile de ce jour, à nous désencombrer.
En effet, qui d'entre nous n'a pas des projets, des idéaux, des activités, des personnes toxiques qui lui encombrent l'esprit et dont il faut se défaire pour aller à l'essentiel.

L'évangile que nous venons d'entendre est particulièrement énigmatique, mais il ne doit pas être pris dans un simple sens moralisateur car il nous invite au bonheur, tout simplement. Cependant, pour y arriver, il nous pose cette question existentielle et si difficile: «Quels sont les deuils que tu n'as pas encore faits?»
En d'autres termes :
«Que faut-il tailler dans ta vie pour qu'elle y gagne en fécondité ? »
«Que dois-tu arracher dans ta vie, non par renoncement ou par fausse morale,
mais par désir de vie ! »

Si ta main -- c'est à dire ta manière d'agir--,
Si ton pied -- ces lieux qui t'attirent--,
Si ton ½il  --tes envies, tes projets--
risquent de t'entraîner loin de la vie, à la périphérie de ton être,
alors ne joue pas avec le feu, ne te fie pas à ta force.

De quoi devons-nous nous séparer ? A chacun d'y répondre.
Peut-être de ces yeux dont le regard ne conduit pas à la relation,
mais à la suspicion?
Peut-être de ces pieds, de ces portes que nous voulons ouvrir,
mais qui ne nous font pas avancer?
Peut-être même de ces rêves, qui nous tirent vers le bas
alors que nous croyions qu'ils nous poussent en avant ? 

Oui, quels sont donc les deuils féconds qui nous restent à faire ;
les deuils de tout ce qui nous empêche de nous réaliser, de grandir, de créer.
Que faut-il émonder dans notre vie ?

Vous le savez, dans notre culture qui a si peur de la mort, nous sommes plutôt habitués à garder, conserver, amasser, collectionner qu'à mettre de côté et faire des deuils. Bien plus, c'est  l'inutile est mis de côté !
Or cet évangile ne nous invite pas à retirer l'inutile et l'improductif. Il ne dit pas : 'si ta main ne sert à rien coupe là', mais si ta main 'est une occasion de chute'.

Le texte parle de scandale.
Pas le scandale qui choque, comme dans la presse, (clin d'½il à la journée des médias catholiques)  
Mais le scandale comme occasion de chute.
Celui qui amène une personne à verser
dans la suspicion plutôt que la confiance,
dans la peur plutôt que dans l'espérance,
dans le devoir, plutôt dans le don.

Ce à quoi nous sommes convoqués, c'est à la vie, la vie en abondance, la vie sans déclin; et chaque deuil peut nous aider à faire grandir cette vie en plénitude.

La taille prépare les fruits. C'est comme cela que nous pouvons devenir
des créateurs d'humanité. Les créateurs d'humanité sont ces hommes et ces femmes qui ont apprivoisé le manque, en se séparant de ce qui en eux les empêche d'avancer et qui, au même moment, bâtissent des relations fécondes, plus pleines de vies, dans l'espace ainsi laissé !
Oui, grandir en humanité, implique de faire certains « deuils féconds », de prononcer des «nons» que nous devons  avoir l'audace d'affirmer pour nous-mêmes, afin que nos «ouis» gagnent de l'épaisseur. Et l'évangile utilise un symbole très fort pour ce double mouvement.

Celui du sel. Le sel, vous le savez, permet de conserver. Mais le sel est ce qui ronge et attaque. Se séparer de ce qui nous entraîne vers le bas, c'est aussi et surtout conserver l'essentiel, ce qui nous tire vers le haut.

Conserver l'essentiel : car nous sommes avant tout des hommes et des femmes d'éternité ayant une autre finalité que nous-mêmes, une destinée infinie, inscrite dans la simplicité de Dieu. 

Peut-être que la vraie mutilation de l'humanité,
consiste à lui enlever cette destinée infinie. Amen.