27e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LA FOI CROIT À L'IMPOSSIBLE

L'évangile de ce dimanche commence ex abrupto par une curieuse demande des « Apôtres » qui tout à coup reviennent en scène après une longue absence: « Augmente en nous la foi ». Quelle est la raison de cette requête et que signifie-t-elle ? Pour la comprendre, il faut reparcourir les chapitres précédents où l'on voit que, sur la route qui le conduit à Jérusalem, Jésus multiplie les enseignements les plus durs, les plus exigeants pour ses disciples. La montée vers la capitale est une montée vers l'amour par la croix,  et elle symbolise l'itinéraire de la foi du chrétien. Notons 5 point principaux :

Chap. 14, 25 : on ne peut être disciple que si l'on renonce à tout en acceptant de porter sa croix (c.à.d. en adoptant un genre de vie qui est condamné par le milieu et le pouvoir)
Chap. 15 : la communauté doit tout faire pour retrouver les brebis égarées et célébrer des Eucharisties comme « fêtes des pécheurs pardonnés ».
Chap. 16 : Jésus dénonce l'idolâtrie de l'argent ; tout disciple doit être astucieux comme le gérant malhonnête : se faire des amis par des dons aux pauvres et ouvrir les yeux des avares crispés sur leur fortune. « Impossible de servir Dieu et l'Argent » : l'option est indispensable. Le chrétien ne dit pas « amen » à tout !
Chap. 17, 1 : sans illusion, Jésus annonce que dans sa communauté, il y aura des scandales : certaines déclarations et comportements de « chrétiens » et même de responsables risqueront de faire perdre la foi aux plus vulnérables. Tuer la foi des tout petits mérite un châtiment terrible. « Tenez-vous sur vos gardes » a conclu Jésus.
Chap. 17, 3 : dans ma communauté, déclare encore Jésus, chaque frère qui aura blessé un autre viendra lui demander pardon et, à chaque fois, même « sept fois par jour », ce dernier devra offrir son pardon.

On le voit : les Douze, choisis par Jésus pour annoncer la Bonne Nouvelle (6, 12) et diriger l'ensemble des communautés, apprennent peu à peu en quoi consiste le Peuple du Royaume de Dieu sommé de vivre des exigences aussi radicales : sa guidance sera tout sauf facile ! L'évêque en premier lieu et tout responsable d'une communauté chrétienne n'a pas de temps à perdre, il reçoit une charge accablante, qui dépasse ses forces mais qui est justement la naissance de la nouvelle humanité telle que Dieu veut la recréer. D'où l'on comprend la prière instante des Apôtres qui se sentent dépassés. Comment organiser une communauté fière de porter la croix, en recherche missionnaire permanente, refusant la passion de l'argent et dénonçant son idolâtrie qui tue les pauvres, réparant les dommages des scandales s'ils surviennent, et exhortant inlassablement tous les membres à se pardonner l'un à l'autre ?

LA FOI EN L'IMPOSSIBLE

Les Apôtres dirent au Seigneur : « Augmente en nous la foi ! »
Le Seigneur répondit : « La foi, si vous en aviez gros comme une graine de moutarde, vous diriez au grand arbre que voici : 'Déracine-toi et va te planter dans la mer', et il vous obéirait.

Jésus est nommé deux fois par son titre de Ressuscité : « Seigneur » - signe que l'épisode ne se réduit pas à un souvenir du passé mais que les responsables de l'Eglise ont à refaire sans cesse cette prière.
Demander aux chrétiens de renoncer à leur égoïsme, de chercher avec zèle les frères perdus, d'accueillir le frère qui se convertit, de déboulonner l'idole de l'argent, de surmonter les scandales, d'offrir inlassablement la miséricorde : n'y a-t-il pas là des obstacles insurmontables ?
Conscients que cette tâche les dépasse, qu'ils n'auront jamais en eux-mêmes la possibilité de tenir à cette hauteur, les Apôtres demandent « plus de foi ». Jésus ne leur donne pas ce qu'ils demandent, une force magique pour dissoudre les problèmes, mais il les appelle à un surplus de confiance précisément dans la présence du Seigneur et de son Esprit dans l'Eglise.
Qu'ils se jettent dans cette confiance : aussi minime qu'une graine de moutarde, cette foi-confiance constatera que l'obstacle le plus enraciné peut être surmonté.
Egoïsme, orgueil pharisien, avarice, rancune : rien ne devra paraître insurmontable.


DANS L'EGLISE LE SERVICE EST UNE GLOIRE

Par ailleurs les progrès des communautés, leur croissance, leur renommée donneront beaucoup de joie aux Apôtres qui seront légitimement fiers des résultats de leurs efforts. Mais le Seigneur les met en garde contre toute appropriation de réussite, contre toute vanité.

« Lequel d'entre vous, quand son serviteur vient de labourer ou de garder les bêtes, lui dira à son retour des champs : 'Viens vite à table' ?   Ne lui dira-t-il pas plutôt : 'Prépare-moi à dîner, mets-toi en tenue pour me servir, le temps que je mange et que je boive. Ensuite tu pourras manger et boire à ton tour.'  Sera-t-il reconnaissant envers ce serviteur d'avoir exécuté ses ordres ?
De même vous aussi, quand vous aurez fait tout ce que Dieu vous a commandé, dites-vous : 'Nous sommes des serviteurs quelconques : nous n'avons fait que notre devoir.' »

Le serviteur qui a accompli sa tâche tout au long de la journée trouve normal, le soir, de terminer son service en préparant le repas de son maître : après quoi il peut lui-même manger et prendre du repos.
De même, dit le Seigneur à ses Apôtres, dépensez-vous à fond au service de vos frères sans attendre de rémunération et de louange et que la fin du jour soit consacrée à la prière, « au service de votre Seigneur ». Ensuite vous pourrez vous offrir du repos dans la joie du devoir accompli, mieux : dans l'allégresse de vous être tout donnés à la mission la plus essentielle de l'histoire du monde.
L'adjectif final fait difficulté : comment qualifier ces serviteurs ? Le dictionnaire traduit le mot par « inutiles » ce qui, à la lettre, paraîtrait forcé car ces hommes ont accepté et rempli un devoir qui leur avait été confié. « Quelconques » dit la liturgie pour laisser entendre que si le service de Dieu et des communautés est une responsabilité vitale, nul apôtre  ne doit se juger indispensable.
« Soli Deo gloria - A Toi, Dieu, notre louange » : toute charge dans l'Eglise, si onéreuse soit-elle, ne peut porter son exécutant à l'autosatisfaction, à la vanité, à la gloriole. Servir Dieu et ses frères est en soi-même une récompense qui ne mérite nul coup d'encensoir.
A la dernière cène, alors que les Apôtres à nouveau se disputeront sur les questions de préséance, Jésus calmera leur vanité en leur disant : «  Que celui qui commande prenne la place de celui qui sert....Moi, je suis au milieu de vous à la place de celui qui sert » (22, 27). Jésus descend au dernier rang, celui du serviteur qui aime jusqu'à donner sa vie. C'est bien pour cela qu'il sera SEIGNEUR.

26e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LOIN DU PAUVRE ... LOIN DE DIEU

Surprenant l'enseignement de Jésus à ses disciples à propos de l'argent (texte de dimanche passé), les pharisiens « se mirent à ricaner car ils aimaient l'argent », note s. Luc. Alors Jésus fait une nouvelle tentative pour leur ouvrir les yeux avant qu'il ne soit trop tard.

« Il y avait un homme riche, qui portait des vêtements de luxe et faisait chaque jour des festins somptueux. Un pauvre, nommé Lazare, était couché devant le portail, couvert de plaies. Il aurait bien voulu se rassasier de ce qui tombait de la table du riche ; mais c'étaient plutôt les chiens qui venaient lécher ses plaies.
Comme dans une caricature, Jésus simplifie la situation et force les traits des deux personnages pour en faire mieux ressortir le contraste. Le premier n'est pas un escroc, il doit sa fortune à un héritage ou à la réussite en affaires. Toujours vêtu à la dernière mode, capable d'offrir des festins quotidiens à ses amis et relations, il se présente comme un personnage important,  objet de la considération générale des citoyens et même des autorités religieuses. Pour tous, c'est un homme béni de Dieu auquel d'ailleurs il ne manque pas de rendre grâce par sa pratique religieuse et ses prières au temple.
Vis-à-vis de lui, un misérable, le seul personnage des paraboles qui porte un nom : Lazare, ce qui signifie « Dieu aide ». Il n'est pas perdu au fond d'une ruelle obscure mais il gît juste devant le portail de la luxueuse demeure du riche si bien que celui-ci, chaque fois qu'il entre et sort, ne peut manquer de le voir. Dépenaillé, il laisse les chiens, sa seule compagnie, lécher ses plaies dues à la saleté. Il n'est pas dit un modèle de piété et de vertu : il n'appelle pas à la révolution, ne maudit pas le riche, ne revendique pas le partage des biens. Simplement il a faim et se contenterait d'un peu des restes qui surabondent et que l'on jette à la poubelle. Il s'en remet à Dieu.
Pour le riche, comme pour les voisins, les choses sont claires : Dieu  l'a comblé de bienfaits tandis que ce loqueteux est un fainéant, puni pour sa paresse ou ses méfaits passés.
Et le temps passe, conduisant à l'issue que nulle fortune ne peut éviter.

Le pauvre mourut, et les anges l'emportèrent auprès d'Abraham. Le riche mourut aussi, et on l'enterra. Au séjour des morts, il était en proie à la torture ; il leva les yeux et vit de loin Abraham avec Lazare tout près de lui.
Alors il cria : 'Abraham, mon père, prends pitié de moi et envoie Lazare tremper dans l'eau le bout de son doigt pour me rafraîchir la langue, car je souffre terriblement dans cette fournaise '.
-- Mon enfant, répondit Abraham, rappelle-toi : Tu as reçu le bonheur pendant ta vie, et Lazare, le malheur. Maintenant il trouve ici la consolation, et toi, c'est ton tour de souffrir. De plus, un grand abîme a été mis entre vous et nous, pour que ceux qui voudraient aller vers vous ne le puissent pas, et que, de là-bas non plus, on ne vienne pas vers nous.'
On ne dit pas que Dieu punit : simplement les situations sont inversées. Lazare qui avait tant souffert est comblé par la bénédiction de vie due aux croyants dont Abraham est le prototype et le père. Le riche, lui, a tout perdu, il souffre des désirs qu'il ne peut plus assouvir car là-bas il n'y a plus besoin d'AVOIR de la prestance, de la gloire, du faste, des nourritures terrestres. Dans l'au-delà il n'y pas plus que la VIE, c.à.d. l'ETRE DANS L'AMOUR AVEC LES AUTRES.
Mais l'autre à présent est loin, tout contact est impossible : le riche gît par-delà l'ABIME qu'il a lui-même creusé. La mort scelle la situation que nous avons voulue mais désormais le retournement est total et définitif.

L'URGENCE DU CHANGEMENT

Le riche répliqua : 'Eh bien ! père, je te prie d'envoyer Lazare dans la maison de mon père. J'ai cinq frères : qu'il les avertisse pour qu'ils ne viennent pas, eux aussi, dans ce lieu de torture !"  --   Abraham lui dit : 'Ils ont Moïse et les Prophètes : qu'ils les écoutent ! 
Jésus ne prétend pas délivrer une révélation nouvelle qu'il faudrait de toute urgence apporter aux égoïstes pour qu'ils sortent de leur ignominie. La Loi et les Prophètes, c.à.d. la Bible, ont de toujours donné ce même enseignement qu'il suffit d'écouter :
DEUTERONOME 15,7 -    : « S'il y a chez toi un pauvre, l'un des tes frères, dans le pays que Dieu te donne, tu n'endurciras pas ton c½ur et tu ne fermeras pas ta main à ton frère pauvre mais tu lui ouvriras ta main toute grande »
AMOS 6, 1 (1ère lecture de ce jour) : «  Malheur à ceux qui vivent bien tranquilles dans Jérusalem et qui se croient en sécurité. Vautrés sur leurs divans, ils mangent les meilleurs agneaux, ils improvisent au son de la harpe, ils boivent le vin, se parfument avec des crème de luxe. Mais ils ne se tourmentent pas du désastre d'Israël. Ils vont être déportés, et la bande des vautrés n'existera plus ! »
AMOS 8, 4 (1ère lecture de dimanche passé): «  Ecoutez ceci, vous qui écrasez le pauvre pour anéantir les humbles du pays... Que le droit jaillisse comme les eaux et la justice comme un torrent intarissable... »(5,24)
ISAÏE (1, 15-17) : « Vous avez beau multiplier les prières, je n'écoute pas, dit le Seigneur, vos mains sont pleines de sang. Lavez-vous ! Otez de ma vue vos actions mauvaises, cessez de faire le mal, recherchez la justice, faites droit à l'orphelin, prenez la défense de la veuve !... »

MEME UN MIRACLE N' EBRANLE PAS UN C¼UR DE BETON

Le riche connaît bien ses frères : au culte ils entendent proclamer les Ecritures mais ils ne se décident pas à les mettre en pratique. Ne faudrait-il pas un miracle pour les changer ?
- Non, père Abraham, dit le riche, mais si quelqu'un de chez les morts vient les trouver, ils se convertiront.' - Abraham répondit : 'S'ils n'écoutent pas Moïse ni les Prophètes, quelqu'un pourra bien ressusciter d'entre les morts : ils ne seront pas convaincus.' »
A-t-on jamais souligné à ce point la dureté des c½urs avides, l'aveuglement de « ceux qui aiment l'argent » et ne veulent pas voir ni secourir leurs frères misérables ? Les liturgies, l'écoute des lectures les plus précises, les homélies et même une apparition miraculeuse : rien n'y fait, leur avarice est un bloc inébranlable. Et même lorsque saint Luc leur raconte l'Evangile, qu'il leur affirme que Jésus est en effet ressuscité, ils continuent à se moquer  et à ricaner. Laisser mourir l'autre plutôt que de lui donner quelques miettes !
« Vous ne pouvez servir Dieu et l'argent » : lire les extraits de discours du pape ci-dessous.


25e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Henne Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Décidément, le Christ nous étonnera toujours.  Voilà qu'il fait maintenant l'éloge du détournement d'argent.  Cela nous rappelle une première chose essentielle.  Dieu dépasse entièrement notre intelligence.  C'est déjà compliqué de comprendre son conjoint, son confrère, sa collège.  Il y a un immense danger : c'est de vouloir corriger les saintes Ecritures de façon à ce que Dieu corresponde à l'image que nous nous en faisons.  Dieu est amour et miséricorde.  Il ne peut donc condamner qui que ce soit.  C'est sur cette conviction que certains d'entre nous aimeraient bien supprimer certains passages de l'Ecriture.  Et aujourd'hui c'est le cas.  Jésus aujourd'hui semble faire l'éloge de la roublardise.  Admettons que l'explication que je donne est incomplète et en partie insatisfaisante.  L'Evangile ne s'explique pas.  Il se médite.  Il peut nous déranger, nous surprendre. 
Prenons maintenant cette perspective.  Jésus fait l'éloge de la débrouillardise, de l'inventivité, de la créativité.  Combien de fois est-ce que nous ne nous durcissons pas après une dispute.  On s'accroche et on se durcit sur ses positions.  On défend avec de plus en plus de vigueur sa propre opinion.  Et c'est la logique infernale de la destruction.  Cela commence par une dispute pour passer à une crise et aboutir à un désastre.  Jésus dit au contraire qu'il faut faire preuve de souplesse et d'inventivité.  Oui, mais - diront certains - cela risque de nous obliger à renoncer à des choses importantes et essentielles.  Jamais nous ne pouvons admettre de nous trahir nous-mêmes.  Et voilà que se pose la question de savoir quelle est la différence entre la fidélité et l'entêtement.
On en connaît des personnes qui s'accrochent à leurs idées et  leurs positions.  Ils sont parfois tellement endurcis que cela en devient une obsession.  Alors quelle est la différence entre la fidélité et l'entêtement ? Certainement pas le bonheur ou la joie.  Les apôtres et beaucoup de chrétiens - songeons aux chrétiens du Proche et du Moyen Orient - ont été et sont fidèles à la foi chrétienne au point d'être martyrisés et mis à mort.  Non ! La fidélité n'est pas toujours source de confort et de facilité.  Elle peut être source de souffrance et de renoncent qui aboutit finalement à la résurrection d'une vie toute donnée à Dieu. L'entêtement est source de conflits et de rejets.  Toute personne rencontrée devient un ennemi, un opposant à l'idée que l'on défend.  Par contre, les apôtres n'ont pas maudit leurs persécuteurs.  Jésus lui-même sur la croix a demandé à son Père de donner le pardon à ses bourreaux « parce qu'ils ne savent pas ce qu'ils font ».  Les entêtés rejettent et maudissent leurs voisins et même leurs proches.  Et c'est là sans doute l'enseignement de Jésus.  Face à une difficulté ou un conflit, Jésus nous invite à retrouver l'essentiel : construire une communauté, une fraternité nouvelle.  Dieu lui-même a renoncé à ses droits et à son confort.  Il a renoncé à son amour-propre pour venir vivre parmi nous et mourir pour nous.  C'est à nous aussi de l'imiter.  Avec le Christ, retrouvons la joie d'inventer aujourd'hui une manière nouvelle de vivre avec celui ou celle qui nous a trahi, menti, déçu afin qu'avec lui nous puissions vivre la résurrection qu'apporte le pardon.

25e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LA LEÇON DES MALFAITEURS

Point n'est besoin de se jeter dans des films ou des romans, il suffit d'observer l'actualité pour être suffoqué par les magouilles indéfinies que les hommes inventent pour améliorer leur ordinaire. Ça va des petits choses (utiliser les transports en commun sans payer, chiper une babiole au super...) jusqu'aux arnaques les plus retordes (travail en noir, dessous de table, fraude fiscale, croche-pied au concurrent...). Des centaines de milliards d'euros  s'envolent dans les paradis fiscaux ; les drogues, par tonnes, échappent quotidiennement à tous les contrôles douaniers et, quoi que fasse la Banque nationale, dès que sort un nouveau billet réputé infalsifiable, la semaine suivante, des faux billets sont en circulation.
Ces man½uvres tordues ne datent évidemment pas d'aujourd'hui ni d'hier. Jésus, par une parabole, nous apprend à ne pas seulement nous indigner devant ces pratiques scandaleuses mais à en tirer une leçon de conversion.
Jésus disait encore à ses disciples : « Un homme riche avait un gérant qui lui fut dénoncé parce qu'il gaspillait ses biens. Il le convoqua : 'Qu'est-ce que j'entends dire de toi ? Rends-moi les comptes de ta gestion, car désormais tu ne pourras plus gérer mes affaires.'
Le gérant pensa : 'Que vais-je faire, puisque mon maître me retire la gérance ? Travailler la terre ? Je n'ai pas la force. Mendier ? J'aurais honte. Ah, je sais ce que je vais faire, pour qu'une fois renvoyé de ma gérance, je trouve des gens pour m'accueillir.'
Il fit alors venir, un par un, ceux qui avaient des dettes envers son maître. Il demanda au premier : 'Combien dois-tu à mon maître ? - Cent barils d'huile.' Le gérant lui dit : 'Voici ton reçu ; vite, assieds-toi et écris cinquante.'
Puis il demanda à un autre : 'Et toi, combien dois-tu ? - Cent sacs de blé.' Le gérant lui dit : 'Voici ton reçu, écris quatre-vingts.'
Ce gérant trompeur, le maître fit son éloge : effectivement, il s'était montré habile, car les fils de ce monde sont plus habiles entre eux que les fils de la lumière.
Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l'Argent trompeur, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.

On comprend bien : Jésus n'approuve nullement le méfait de cet homme qui, non seulement s'est montré un piètre administrateur de son maître mais, en outre, lui porte un ultime dommage avant son départ. Le maître doit admettre que cet intendant, au moment d'être mis à pied et de se retrouver déchu de son rang, a su inventer une issue et se montrer très « habile » car il est sûr que ces débiteurs de son maître à qui il vient d'octroyer un très inattendu bénéfice, se tiendront tenus de lui manifester de la reconnaissance, de le recevoir chez eux et de l'aider à retrouver une situation honorable.
Et, comme s'il était un peu désabusé, Jésus émet un regret : les païens (qui ne croient qu'à la vie mondaine) se montrent souvent bien plus habiles pour se tirer d'affaire, gagner de l'argent, garder leur rang que les disciples qui, éclairés par la Bonne Nouvelle du Royaume de Dieu, et devenus « fils de Lumière », devraient pourtant avoir les réactions adéquates et, par conséquent, inventer des initiatives.

Jésus nous presse :

Eh bien moi, je vous le dis : Faites-vous des amis avec l'Argent trompeur, afin que, le jour où il ne sera plus là, ces amis vous accueillent dans les demeures éternelles.

Prévenus de la labilité et de la fugacité du monde, les disciples ne doivent jamais oublier qu'ils sont sur des sièges éjectables qu'aucune tonne d'or ne peut fixer et qu'un jour ou l'autre, ils vont être jetés dehors. C'est pourquoi il est urgent qu'ils multiplient les dons aux pauvres car « le Royaume est à eux » (6, 20 : le grand message des Béatitudes). Lorsqu'ils perdront leur maison terrestre, ceux-ci pourront montrer leur gratitude à leurs « amis » en les accueillant dans la Grande Demeure où le règne de l'argent sera remplacé par le seul Règne de l'Amour Eternel. 

L'enseignement sur l'usage de l'argent se poursuit par un avertissement puis une mise en décision.

GERER NOS BIENS DE FACON FIABLE.

Celui qui est digne de confiance dans une toute petite affaire est digne de confiance aussi dans une grande. Celui qui est trompeur dans une petite affaire est trompeur aussi dans une grande.
Si vous n'avez pas été dignes de confiance avec l'Argent trompeur, qui vous confiera le bien véritable ? Et si vous n'avez pas été dignes de confiance pour des biens étrangers, qui vous donnera le vôtre?

Certes le disciple doit gérer ses biens terrestres avec prudence mais contrairement à ce que lui murmurent ses voisins et les médias, il n'est pas vrai que l'administration anxieuse et la fructification cupide, la volonté de croissance et l'obsession de placements juteux, constituent un enjeu essentiel pour la vie : Jésus ose parler de tout cela comme de « toutes petites affaires ».
Si Dieu voit des « croyants » à ce point englués dans les ornières du matérialisme, comment pourrait-il nous « croire » ? Nous ne sommes pas fiables, pas « dignes de confiance ». Rarement est soulignée à ce point l'incarnation de la foi : loin de se limiter à un secteur de la vie, elle doit se vivre dans l'économie équitable, la répartition des bénéfices, la gestion des biens, la volonté de justice pour tous. Pas d'examen de conscience sans réflexion sur sa propre comptabilité. Trop de chrétiens voudraient que leurs pratiques financières soient exclues de la vie religieuse, ils les excusent comme répandues, nécessitées par la concurrence. La vie spirituelle est charnelle - pas seulement soucieuse de pureté sexuelle, mais tout autant acharnée contre cette cupidité qui nous hante et qui, pour saint Paul, est une « idolâtrie » (Col    )

SE DONNER A UN MAÎTRE UNIQUE

« Aucun domestique ne peut servir deux maîtres. Ou bien il détestera le premier, et aimera le second ; ou bien il s'attachera au premier, et méprisera le second. Vous ne pouvez pas servir à la fois Dieu et l'Argent. »

Jésus a utilisé l'argent sans mauvaise conscience, il n'a jamais prôné le retour à un système de troc ni proposé l'utopie d'une société égalitaire. Mais il a constaté combien le moyen d'échanges dérape facilement en but. Puisque l'argent chasse l'inquiétude des fins de mois, permet la satisfaction de tous les besoins, protège des aléas de l'existence et promet sans cesse de nouvelles jouissances, c'est donc lui qu'il importe de chercher. Surtout dans une société qui fonctionne sur l'excitation de plaisirs toujours nouveaux.
L'argent donne une base solide : donc on peut « se fier » à lui, croire en lui. Il ouvre de nouveaux horizons paradisiaques : donc il alimente l'espoir. Et c'est ainsi que l'argent-outil devient un maître, un dieu que l'on sert et c'est pourquoi Jésus, à trois reprises (versets 9-11-13) l'appelle MAMON.

En hébreu le vocabulaire de la foi se base sur la racine « 'MN » : la foi se dit EMOUNAH ; la confession de foi se dit AMEN. Il ne s'agit en aucun cas d'une croyance intellectuelle, de la connaissance de formules. Répondre AMEN est un engagement personnel, un don de soi : « Je sais que ce qui m'est dit est absolument sûr, fiable, solide, constant, permanent : donc il y a là quelqu'un, le seul, sur lequel je peux construire mon existence ».
Or il ne peut y avoir deux fondations. Si l'argent est basique, il joue le rôle de fondement donc ce que j'appelle « ma foi » n'est que verbiage, vague croyance, crédulité consolatrice, bulles vides.
Beaucoup disent que le culte du veau d'or est revenu : on en voit les ravages. Ce que le système lénino-marxiste a voulu imposer par la violence, le système libéral déchaîné le réalise par la séduction : éradiquer la foi, supprimer tout appel à la Transcendance.
Que doit faire l'Eglise lorsque règne Mamôn, lorsque le système, de lui-même, multiplie sans efforts les revenus des plus riches et rabote les salaires des petits, lorsqu'il est capable de ressusciter des banques en ruines tout en envoyant la jeunesse au chômage ?
Je ne suis pas sûr que nos Eglises occidentales aient pris la mesure du péril encouru et des moyens à inventer pour se purifier de la contamination si séduisante. Il importe en tout cas de refuser de toutes nos forces l'idolâtrie financière, de critiquer, de torpiller ce Mamôn, de dénoncer ses mensonges meurtriers. Car adorer un faux dieu, c'est conduire l'homme à la mort.

24e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

« Il était une fois un vieil homme assis à l'entrée d'une ville du Moyen-Orient.  Un jeune homme s'approcha et lui dit : ?Je ne suis jamais venu ici ; comment sont les gens qui vivent dans cette ville ? Le vieil homme lui répondit par une question:?Comment étaient les gens dans la ville d'où tu viens ?  Égoïstes et méchants. C'est d'ailleurs la raison pour laquelle j'étais bien content de partir, dit le jeune homme. ? Le vieillard répondit : Tu trouveras les mêmes gens ici. ??Un peu plus tard, un autre jeune homme s'approcha et lui posa exactement la même question. ?Je viens d'arriver dans la région ; comment sont les gens qui vivent dans cette ville ?  Le vieil homme répondit de même : Dis-moi, mon garçon, comment étaient les gens dans la ville d'où tu viens ?  Ils étaient bons et accueillants, honnêtes ; j'y avais de bons amis ; j'ai eu beaucoup de mal à la quitter, répondit le jeune homme. ?Tu trouveras les mêmes ici, répondit le vieil homme. Un marchand qui faisait boire ses chameaux non loin de là avait entendu les deux conversations. Dès que le deuxième jeune homme se fut éloigné, il s'adressa au vieillard sur un ton de reproche : Comment peux-tu donner deux réponses complètement différentes à la même question posée par deux personnes? ??Celui qui ouvre son c½ur change aussi son regard sur les autres, répondit le vieillard. Chacun porte son univers dans son c½ur ».

Ce conte venu d'Orient me semble bien illustrer la dynamique de l'évangile que nous venons d'entendre.  Si le premier jeune homme appartiendrait plutôt à la catégorie des pharisiens et des scribes, voire du fils aîné de la parabole, le second quant à lui, serait de ceux qui répondent à l'appel de l'évangile.  Un appel bien spécifique : apprendre à vivre sa vie avec les yeux de son c½ur.  C'est aussi simple que cela.  Nous voyons ce que nous voyons à partir des êtres que nous sommes.  Par delà certaines réalités de la vie qui sont complexes et parfois très douloureuses, il y a celles et ceux dont la vie est une plainte lancinante puis il y a celles et ceux qui la traverse avec une certaine douceur.  Nous sommes toutes et tous marqués par nos histoires respectives.  L'essentiel est de trouver sur nos routes des personnes qui nous prennent la main et nous relèvent lorsque nous trébuchons.  Elles sont le signe visible de la présence de Dieu au c½ur de notre humanité.  Elles nous convient à voir et surtout à vivre la vie autrement.  En fait, par notre c½ur.  La vision du monde se transforme complètement puisque la foi, l'espérance et l'amour sont les yeux avec lesquels nous avançons sur notre chemin de croyantes et croyants.  Dès lors, vivre avec les yeux de Dieu, c'est regarder le monde avec foi, c'est-à-dire avoir toujours confiance en l'autre, reconnaître que même s'il peut lui arriver de se perdre, il peut se reprendre et se retrouver pour marcher à nouveau debout sur le chemin de sa vie.  Il y a donc cette confiance en l'être humain malgré ses faiblesses.  Ensuite, vivre avec les yeux de Dieu, c'est regarder le monde avec espérance.   L'espérance quitterait notre c½ur à jamais s'il n'y avait des signes qui nous disent que le temps est parfois cette période nécessaire à un être humain pour qu'il puisse faire ses propres découvertes et mûrir de ses échecs.  L'espérance nous invite à garder un regard de tendresse vis-à-vis de tout un chacun.  Elle est une force intérieure qui nous pousse à aller à la rencontre de celles et ceux de qui nous nous faisons proches.  Elle s'entretient quotidiennement par notre capacité à nous réjouir de ce que chacune et chacun nous puissions trouver l'ajustement de nos destinées au projet de Dieu.  Et enfin, vivre avec les yeux de Dieu, c'est regarder le monde avec amour, c'est-à-dire être habité de ce sentiment noble qui donne du baume au c½ur, de la lumière dans le regard, de la douceur dans les mots.  L'amour nous permet de respecter le chemin personnel de tout être humain, de l'accompagner même s'il se trompe et surtout, de se réjouir lorsqu'il revient vers lui-même.  L'amour est toujours teinté de compassion et permet ainsi d'être capable de vivre le pardon ou mieux encore, la réconciliation.  Avoir la foi, l'espérance et l'amour, nous permet ainsi de porter un autre regard sur le monde puisque chacun nous portons l'univers dans notre c½ur.
Amen

24e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LA PARABOLE DU VRAI DIEU

Que dire qui n'ait été dit mille fois au sujet de cette célèbre parabole dite « de l'enfant prodigue » ? Mais d'abord rectifier son titre car il y a deux fils et c'est au premier, l'aîné, que l'histoire s'adresse. Et surtout il y a l'immense, la pathétique, la douloureuse figure du père qui souffre d'être méconnu et de ne pouvoir réunir ses deux enfants. Et au fait,  pourquoi n'y a-t-il pas de mère ? On verra qu'elle est bien là, cachée.

LA SITUATION : JESUS CRITIQUÉ

Les publicains et les pécheurs venaient tous à Jésus pour l'écouter.
Les pharisiens et les scribes récriminaient contre lui : «  Cet homme fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux !? ». Alors Jésus leur dit cette parabole :...
Jésus n'est pas en train, comme un maître pharisien, de rappeler les listes des prescriptions de la loi. Si les pécheurs s'approchent de lui pour l'écouter avec intérêt, c'est donc qu'il tient un autre discours : il ne fait pas la morale, il présente un Dieu de pardon. Toutefois il n'offre pas une religion laxiste, édulcorée, un laisser-aller facile. Pas simple pour l'Eglise d'imiter son Seigneur. Trop souvent on l'entend prendre un ton sévère, dogmatique, moralisant et les pécheurs la fuient. Mais par ailleurs, si les chrétiens et les prêtres mangent et rient avec les pécheurs, ils donnent l'impression sinon de les approuver, en tout cas de minimiser leurs fautes et de laisser penser qu' « au fond Dieu n'en demande pas tant ».  Or il faut souligner que si Jésus « parle aux pécheurs et mange avec eux », il ne les approuve nullement et il n'agit de la sorte que pour les amener au changement. Il  est empoigné par le devoir de tout faire afin de retrouver « le perdu ». Sa joie n'est folle que parce que le perdu est « retrouvé ». Le repas chez Lévi était joyeux parce que l'ancien publicain s'était converti (5, 29) ; le festin chez Zachée sera réussi parce que le voleur décidera sur le champ de changer de vie (19, 10). La mission se doit de conjuguer vérité et charité, enseignement et commensalité. Dans le partage de nourriture, la parole ne peut être dure et exclusive. Le banquet est appel à la communion.

LE PARCOURS DU CADET

« Père, donne-moi ma part »...Et il partit pour un pays lointain...Il gaspilla sa fortune dans une vie perdue...Or une famine survint. Il se trouva dans la misère. Il dut aller s'embaucher pour garder les cochons...Il aurait voulu manger les gousses mais personne ne lui donnait rien... »
« Si Dieu est, je ne suis pas libre ». Tentation permanente de ne croire devenir un vrai homme, enfin libre, que si l'on « tue le père ». Or, si l'on rejette l'être, il n'y a plus de fondement à l'existence que dans l'AVOIR. « Donne-moi », crie le garçon: avoir la fortune pour être heureux dans la satisfaction de ses envies. Mais sans l'ETRE, l'AVOIR se révèle une chimère : si puissant paraisse-t-il, il fond, se dissout, disparaît. Car dans ce « pays lointain » (loin de Dieu), il n'y a pas d'amour vrai : le cadet n'a pas trouvé d'épouse aimante et son patron l'exploite. On peut faire une société sans Dieu mais sera-t-elle vraiment humaine ?
Il réfléchit: «  Les ouvriers chez mon père ont du pain, moi ici je meurs : je vais retourner, je lui dirai : « Père, j'ai péché ; je ne mérite plus d'être appelé ton fils ; traite-moi comme un ouvrier ». Et il partit...
Il ne ressent nul remords d'avoir peiné son père dont il garde toujours la même fausse idée : « quelqu'un qui donne, quelqu'un qui châtie ». S'il revient, c'est par intérêt encore, pour survivre. Sans doute en chemin cherche-t-il à rencontrer quelqu'un qui le nourrirait et lui épargnerait l'humiliation du retour : mais personne ne lui donne rien. Car seul Dieu peut donner la Vie, la vraie Vie, aux hommes qui sont ses enfants.

LA PLUS BELLE IMAGE DE DIEU

La scène suivante devrait à tout jamais anéantir toutes les caricatures de Dieu que nous inventons.

Comme il était encore loin, son père l'aperçut et fut bouleversé aux entrailles : il courut se jeter à son cou et le couvrit de baisers. « Père, j'ai péché.... ». Mais son père dit : «  Vite, apportez son plus beau vêtement, une bague, des sandales. Tuez le veau gras : mangeons et festoyons car mon fils que voilà était mort et il est revenu à la Vie ; il était perdu et il est retrouvé ». Ils commencèrent la fête.

Accueil stupéfiant, inimaginable. Loin de fermer sa porte, de déchainer sa colère, d'exiger « la contrition parfaite » et une dure pénitence, Dieu est non pas « pris de pitié » mais « ému aux entrailles » : le verbe vient du mot « matrice ». Voici donc la mère qui manquait. Le fils fuyait un maître écrasant : il découvre un amour de miséricorde. Dieu est comme le bon Samaritain : il s'approche, il voit, il est « matricié »(Chouraqui), il court, il soigne par les baisers, il couvre de cadeaux, il conduit à l'auberge, à la maison. C'est ainsi que Jésus justifie sa conduite. Voilà pourquoi je vais vers les pécheurs et pourquoi je mange avec eux : c'est parce que je suis bouleversé par la détresse de l'homme sans Dieu. Si vous avez une autre image de Dieu (une Loi !), elle est fausse ! Or précisément les pharisiens sont enfermés dans cette conception : le fils aîné va les représenter.

L'AINÉ : LE FIDÈLE OBSERVANT IRRÉPROCHABLE.

L'aîné était aux champs. Arrivé près de la maison, il entend de la musique. Un domestique lui explique : «  C'est ton frère qui est revenu : ton père a tué le veau gras... ». Alors il se mit en colère et refusa d'entrer. Son père sortit et le suppliait. Il éclate : « Voilà tant d'années que je te sers : jamais tu ne m'as donné un chevreau. Et quand ton fils arrive, après avoir dépensé ton bien avec des filles, tu as fait tuer le veau gras !!?? ».Le père répondit : « Toi, mon enfant, tu es toujours avec moi, et tout ce qui est à moi est à toi ! Mais il fallait festoyer et se réjouir car ton frère était mort et il est revenu à la vie ; perdu, il est retrouvé ». 
Les pharisiens étaient des hommes très pieux, ulcérés de voir tant de leurs frères désobéir à la Loi divine ; en réaction, ils se voulaient des observants minutieux, pratiquant à la lettre tous les préceptes, en en rajoutant même pour montrer leur foi. Pour eux, le pécheur était abominable devant Dieu : il devait se convertir, s'infliger toutes les pénitences prévues par la Loi. Aussi voir Jésus offrir le pardon avec  une telle facilité ne pouvait leur apparaître que comme un scandale. L'aîné refuse d'entrer dans cette maison où l'on fête le retour d'un pécheur - fût-ce son frère ! Dieu pour moi mais pas pour l'autre.

TOUS PECHEURS : TOUS INVITES GRATUITEMENT

Les deux frères ont une fausse idée de Dieu : l'un veut se justifier par ses actes et l'autre veut s'épanouir dans ses passions. Pour les deux, Dieu est quelqu'un qui étouffe, qui doit donner ou qui réprime.
Et Jésus tente de leur révéler QUI EST-CE PERE : il est heureux de voir ses fils demeurer dans sa maison et vivre comme il le demande. Mais il est encore plus heureux lorsqu'il voit revenir un de ses fils qui s'était éloigné de lui et qui lui revient. Dieu donne une Loi mais il n'est pas un Dieu de règlements. Sa joie est d'offrir sa miséricorde à tous. De libérer le pécheur du désespoir. Et de persuader le fidèle qu'il ne peut rester fils du Père qu'en acceptant le pardon donné à son frère déchu.
La Joie de Dieu est de réunir dans la même demeure le bon pratiquant et l'impie. Seul il peut créer une communauté chrétienne où personne ne se targue de ses mérites, où nul ne ferme la porte à l'autre, où chacun se reconnaît pécheur pardonné.
Les deux fils représentent également la déchirure qui est en nous. Chacun est en même temps juste et pécheur : nous faisons le bien et nous tombons aussi dans le mal. Nous sommes déchirés. Seul Dieu le Père, Dieu l'Amour nous réconcilie avec nous-même.
L'Eglise, publicaine et pharisienne, pratiquante et pécheresse, est invitée au banquet offert gratuitement à tous ceux qui acceptent le pardon de Dieu et célèbrent dans une allégresse infinie ce Père tellement différent de nos conceptions mesquines. Et le banquet ouvert est celui où Jésus, l'Agneau innocent immolé, est partagé pour qu'ensemble nous chantions la Miséricorde de Notre Père.

23e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Croonenberghs Didier
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Ce vendredi, à l'hôpital, un malade me confiait ceci : « Face à la souffrance, disait-il, il m'est facile d'être croyant, mais il m'est bien difficile d'être chrétien.» Un peu surpris par cette distinction, je me suis permis de le questionner afin qu'il me précise sa pensée. Pour lui, croire en un Dieu d'amour est une démarche aisée. Par contre, dans l'adversité, mettre sa confiance dans les paroles de Jésus et se dire chrétien est presque impossible. Et pour argumenter son propos, il m'a cité justement l'évangile que nous venons d'entendre et cette phrase qui peut sembler si dure à première vue : « Si quelqu'un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère et même sa propre vie, il ne peut être mon disciple... » Le texte grec parle même de haïr son père et sa mère. ?Alors, quel crédit accorder à de telles phrases si dures et qui sont toujours susceptibles d'alimenter une forme de dépréciation de soi, ?si loin d'un Dieu d'amour ?

Je crois profondément que derrière cet évangile se cache une vraie sagesse, une invitation à mieux vivre. Pour la découvrir, permettez-moi de relever trois expressions, comme trois invitations en ce temps de rentrée, et peut-être pour certains, ce temps de bonnes résolutions...?
o Commencer par s'asseoir... Dans notre monde où le but est d'aller plus vite, plus loin, plus haut, et rarement plus bas, s'asseoir apparaît souvent comme l'étape finale, la récompense et non le début du travail. Comme le disait une humoriste, nous essayons d'abord d'apprendre à nos enfants à marcher et parler et puis à s'asseoir et se taire... « Travaille et puis tu pourras ensuite t'asseoir pour te reposer » pourrions-nous penser dans une société de rentabilité. Or, l'évangile --par les deux petites paraboles que nous avons entendues-- nous invite bien par deux fois à « commencer par nous asseoir » et non par finir par nous asseoir. ?S'asseoir, c'est découvrir l'assise sur laquelle nous pouvons construire nos jours.  S'asseoir, c'est bien souvent entamer un dialogue, écouter, entrer dans la confiance, permettre la confidence... C'est réfléchir à des projets, à des paroles qui durent et qui construisent. C'est prendre le temps, plutôt qu'être pris par le temps. Commencer par s'asseoir, c'est donc faire précéder la réflexion à l'action. Bien sur, il y a toujours un danger à rester assis, à faire des grands discours qui restent des théories, c'est pourquoi l'évangile nous invite à une deuxième dimension, plus difficile, pour mieux vivre cette vie qui nous est offerte... car s'asseoir a but ?o L'évangile nous invite deuxièmement à « voir si nous avons de quoi aller jusqu'au bout». Le critère est bien au bout du chemin. S'il nous faut nous asseoir pour prendre du recul, c'est finalement pour intégrer nos limites. Notre société oublie souvent sa direction, elle oublie de voir si elle a de quoi aller jusqu'au bout. Prendre du recul, c'est donc quitter l'urgence du quotidien pour faire un peu de place à l'importance, à l'essentiel dans sa vie. ?Nous ne sommes pas immortels et nous oublions souvent que le bout du chemin donne sens à nos vies. Prendre du recul nous permet de voir la fin, ?notre fin, notre mortalité. Dis-moi quelle attention tu accordes à la mort, je te dirai celle que tu accordes à la vie, nous dit le poète. Réfléchir à ce qu'il y a au bout, c'est bien se poser la question de ce qui restera lorsque nous passerons la porte de la mort. Quel que soit notre chemin de vie, c'est bien la mort, cette ultime démaîtrise et dépossession de soi, qui donne de la densité à notre existence. En ce sens, porter sa croix consiste à découvrir que la mort fait partie de notre vie, et lui donne paradoxalement du sens. Porter sa croix, c'est accepter les conséquences d'une vie authentiquement vécue. ?
o Enfin, troisièmement, l'évangile nous invite à « marcher derrière Jésus ». ?« Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi, ne peut être mon disciple». Marcher derrière Jésus, c'est prendre le chemin de la démaîtrise, ?le chemin qui s'en remet à un autre, à la confiance. Marcher à la suite du Christ, c'est découvrir que notre vie a plus de densité ?lorsque nous ne nous mettons plus au centre ?mais que nous mettons l'ouverture et le service au centre de notre vie. ?Etre dans la confiance, « marcher derrière » signifie donc qu'il y aura toujours un chemin, une voie possible, puisque quelqu'un nous précède... ??Commencer par s'asseoir, pour prendre le temps?Voir jusqu'au bout, pour apprivoiser ses limites  
Marcher derrière enfin, pour entrer dans la dépossession de soi ?et la confiance en l'Autre.

Trois invitations aussi exigeantes que libérantes ?que je nous adresse en ce temps de rentrée. Amen.

 

23e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LE DEVOIR DE S'ASSEOIR

Un jour, en Galilée, Jésus a pris une grave décision : « Comme arrivait le temps où il allait être enlevé du monde, Jésus serra les dents et prit la route de Jérusalem » (9, 51) car il allait s'y heurter au refus des autorités du temple avec risque de mort (9, 21). Et il enchaîna en prévenant ses disciples : « Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même et prenne sa croix quotidienne » (9, 23).
« En route » - grand thème de Luc -, Jésus répéta cet avertissement à plusieurs reprises, mais sans résultats: « Ils ne comprenaient pas cette parole, ils n'en saisissaient pas le sens...ils craignaient même de le questionner à ce sujet » (9, 45). Pour eux, puisque Jésus annonçait la venue du Règne de Dieu et opérait des guérisons inexplicables, il était probable qu'il était le Messie annoncé par les Ecritures, qu'il allait non pas mourir mais chasser Pilate et son armée et rendre à Israël son indépendance. C'est pourquoi, au fil des semaines, une foule d'exaltés le suivait en chantant, racontant ses exploits, partageant de folles espérances.
Voulons-nous  sur notre route  une foi « sucre d'orge », une Eglise qui triomphe ?......
Aujourd'hui Jésus va tenter à nouveau de nous détromper et de nous ouvrir les yeux.

De grandes foules faisaient route avec Jésus ; il se retourna et leur dit :
« Si quelqu'un vient à moi sans me préférer à son père, sa mère, sa femme, ses enfants, ses frères et s½urs, et même à sa propre vie, il ne peut pas être mon disciple.
Celui qui ne porte pas sa croix pour marcher derrière moi ne peut pas être mon disciple ».

Les anciens prophètes ont eu des disciples mais nul d'entre eux n'a osé valoriser sa propre personne à ce point. Jésus ne proclame pas un code de lois à observer : il appelle à un attachement exclusif à sa personne. La foi chrétienne, au-delà de la morale, est relation à quelqu'un. Elle n'est pas statique au sens où il faudrait apprendre et mettre en pratique les préceptes d'un législateur. Elle est dynamique: il s'agit de découvrir un Jésus en marche, de mettre ses pas derrière lui sans trop savoir ce qui va arriver mais en sachant que ce sera très dur, très exigeant.
Jésus ne mobilise pas une troupe qu'il ferait marcher au pas, en rang par deux : l'Eglise n'est pas une armée mais un désordre parfois indéfinissable (dont on ne peut tracer les frontières nettes).
Jésus sollicite les libertés personnelles. « Si quelqu'un vient... » : à chacun de se décider. Un malfaiteur peut tout à coup prendre conscience de ses errements et rejoindre Jésus. Un pécheur peut venir et cheminer à sa suite sans guérir de ses fautes. Par contre quelqu'un qui se croit disciple, « chrétien », ne peut renoncer devant les perspectives crucifiantes qui se profilent à l'horizon.

Parvenus à cette étape de « la route de Jésus », ceux qui veulent aller jusqu'au bout en tant que disciples doivent accepter des déchirures au sein même des liens les plus forts, ceux de la famille. « La route » que Jésus va escalader est tellement rude, le danger de mort y est tellement précis, que le disciple ne peut y entraîner les siens. Il ne cessera pas de les chérir mais « il préférera » Jésus. A un certain moment, l'option sera nécessairement crucifiante: avec, pour et comme Jésus, il se sentira tenu de donner sa vie. Le supplice, la souffrance et la mort garderont leur horreur mais, à travers leur épouvante, la foi les verra comme une suite de Jésus. En Syrie, en Inde, au Nigéria, nos frères sont acculés à cette réalité.
Devant cette option, il importe de réfléchir longuement : 2 paraboles expliquent ce moment du carrefour. 
---Quel est celui d'entre vous qui veut bâtir une tour, et qui ne commence pas par s'asseoir pour calculer la dépense et voir s'il a de quoi aller jusqu'au bout ? Car, s'il pose les fondations et ne peut pas achever, tous ceux qui le verront se moqueront de lui : 'Voilà un homme qui commence à bâtir et qui ne peut pas achever !'
---Et quel est le roi qui part en guerre contre un autre roi, et qui ne commence pas par s'asseoir pour voir s'il peut, avec dix mille hommes, affronter l'autre qui vient l'attaquer avec vingt mille ? S'il ne le peut pas, il envoie, pendant que l'autre est encore loin, une délégation pour demander la paix.
De même, celui d'entre vous qui ne renonce pas à tout ce qui lui appartient ne peut pas être mon disciple. 
Une grande construction à bâtir, une guerre à entreprendre : ces projets sont lourds, accablants, dangereux et on ne s'y lance pas sur un coup de tête. Il importe de réfléchir très sérieusement pour savoir si l'on ne va pas à l'échec, si l'on a les possibilités, les moyens, le courage, la ténacité pour aller jusqu'au terme. De même, affirme Jésus à ce moment de la marche, chacun de vous doit « s'asseoir », méditer pour lui-même, mûrir sa décision. Ne pas s'imaginer que peut-être cela n'ira pas trop mal, que les choses s'arrangeront au mieux, que « Dieu n'en demande pas tant »...
Pour « bâtir » son existence en Dieu, pour « faire la guerre selon l'Evangile », il est nécessaire non d'accumuler des ressources mais au contraire de s'alléger, de renoncer à tout. De même que David a dû se dépouiller de  sa lourde armure pour affronter et vaincre le géant Goliath, ainsi le disciple cesse de se fier à ses biens. Sa pauvreté sera sa force. « C'est lorsque je suis faible que je suis fort » (S. Paul)

POUR UNE EGLISE MORDANTE

La lecture de ce dimanche, sans doute devant la difficulté du texte, omet la phrase finale de Jésus : il est bien de la rétablir puisqu'elle donne le sens du renoncement exigé par Jésus.

C'est une bonne chose que le sel ; mais si le sel lui-même se dénature, avec quoi lui rendra-t-on sa force ? Il ne peut servir ni pour la terre, ni pour le fumier : on le jette dehors !
Celui qui a des oreilles pour entendre, qu'il entende !
Nous apprenons ici les trois caractéristiques du groupe des disciples qui, prévenus, acceptent librement de « suivre Jésus » jusqu'au bout.
Ils ne forment pas une communauté à l'écart du monde, ils ne fuient pas dans le désert : au contraire, comme le sel jeté dans les aliments, ils doivent se plonger en plein monde.
Ensuite il n'est pas requis qu'ils soient très nombreux : comme le sel, quelques grains suffisent. Il est certainement anormal que l'Eglise soit majoritaire.
Enfin le danger ne réside pas dans la puissance de leurs adversaires ni dans les foules qui refusent l'Évangile mais dans leur propre affadissement. Leur tentation sera de se taire devant les menaces, d'édulcorer leur message, de subir la contagion de leur milieu. Saupoudrant une existence conforme au modèle social, « à la mode », par quelques liturgies inoffensives, ils seront fades, insipides, inutiles.
-----  Et Jésus conclut, comme pour la parabole du semeur (8, 8), en appelant à une « écoute » sérieuse. Devant nos peurs, nos tentations de faire une religion à notre mesure, il est essentiel de nous adonner à une « écoute » permanente, approfondie, confiante, de la Parole de Jésus. L'inscription à un registre paroissial, le chant des cantiques et les bonnes manières ne se confondront jamais avec la « foi ».
Notre petite homélie n'a d'autre but que de nous aider à assimiler la Parole incisive comme une épée.

22e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

LA FAÇON CHRÉTIENNE DE FESTOYER

Pour la 3ème fois, Luc nous montre Jésus invité à la table d'un Pharisien. La 1re fois, une pécheresse était survenue et Jésus lui avait donné le pardon ; les convives, scandalisés, se demandaient « qui était ce Jésus » qui osait agir de la sorte (7, 36-50 = 11ème dimanche). La 2ème fois, Jésus s'était emporté contre ces hommes si scrupuleux dans les observances extérieures mais oublieux de l'amour et de la justice : « Malheureux vous... ! ». Furieux, ils s'étaient acharnés contre Jésus, lui posant des tas de questions pour le piéger (11, 37-54 - pas passé en liturgie). Aujourd'hui, 3ème fois, il est curieux que la liturgie omette de dire le mobile identique de l'invitation.

Un jour de shabbat, Jésus était entré chez un des chefs des pharisiens pour y prendre son repas et ils l'observaient (l'espionnaient)
Les confréries pharisiennes avaient coutume, le vendredi soir, de partager un petit banquet pour fêter l'entrée en shabbat, resserrer les liens entre les membres et discuter sur certains points de la Loi. Ici on n'a pas invité Jésus pour un entretien cordial mais pour le questionner sur sa pratique des traditions, constater qu'il a un comportement inadmissible afin de pouvoir le dénoncer comme menteur devant le peuple assez naïf pour l'admirer et même le prendre pour le Messie.
Devant cet auditoire hostile, Jésus, comme toujours, sera vrai. Que ce soit chez des amis (Marthe et Marie) ou des adversaires (pharisiens), il ne louvoie jamais : ni on ne l'achète par un bon repas ni on ne lui fait peur par l'agressivité.
De même le chrétien invité apporte la miséricorde et un écho de la Parole qui nourrit, il ne se laisse pas intimider ni n'édulcore sa foi.
--------  Quatre petites scènes vont se succéder dont la liturgie ne retient que la 2ème et la 3ème.

L'HUMILITE INDISPENSABLE

Remarquant que les invités choisissaient les premières places, il leur dit cette parabole :
« Quand tu es invité à des noces, ne va pas te mettre à la première place, car on peut avoir invité quelqu'un de plus important que toi. Alors, celui qui vous a invités, toi et lui, viendrait te dire : 'Cède-lui ta place', et tu irais, plein de honte, prendre la dernière place. Au contraire, quand tu es invité, va te mettre à la dernière place. Alors, quand viendra celui qui t'a invité, il te dira : 'Mon ami, avance plus haut', et ce sera pour toi un honneur aux yeux de tous ceux qui sont à table avec toi...... »

Jésus, subtil, a tout de suite remarqué le manège de certains : chez le chef du groupe, il importe de jouer des coudes, de se pousser au plus près pour capter les confidences du maître et se valoriser en exhibant son propre savoir. Se hisser au-dessus des autres : quelle gaminerie, quelle vanité ! Jésus prévient sur la déconvenue qui guette le prétentieux obligé de céder sa place à plus noble que lui.
La leçon, au fond assez banale, paraît ne viser que les convenances sociales et la politesse à table mais Luc a bien précisé d'emblée qu'il s'agissait d'une « parabole » c.à.d. d'une histoire qui vise beaucoup plus loin : ce que révèle l'adage final :
Qui s'élève sera abaissé ; qui s'abaisse sera élevé. »
Les rivalités entre les invités sont révélatrices de la mentalité pharisienne : en inventant sans cesse de nouvelles pratiques et en s'appliquant à observer minutieusement les moindres points de la Loi, ils croyaient se hausser au-dessus du commun, et ils rivalisaient entre eux pour tenter d'être le meilleur. La piété tournait à la vanité et à la concurrence. Paradoxe du « bon croyant » : il cherche à bien faire, à être en règle...et il déraille dans le mal sans s'en rendre compte. Même le chemin de la piété est farci de pièges !
Il n'est donc pas seulement question ici de bonnes manières mais de comportements devant Dieu. On sait que l'emploi du passif sert à évoquer l'action divine : « Quiconque s'élève, Dieu l'abaissera ; quiconque s'abaisse, Dieu l'élèvera ». Sentence tellement importante que Luc la répètera en 18, 14. Lorsque le Messie apporte le Royaume, les apparences s'effritent et la vérité apparaît. Luc souligne souvent ce renversement des situations : «  Heureux vous qui avez faim, vous serez rassasiés...Malheureux vous qui êtes repus maintenant, vous aurez faim... » (6, 20-26) ; « Des derniers seront premiers... » (13, 30) ; « Dieu cache cela aux sages et le révèle aux petits ... » (10, 21). Le Magnificat de Marie le proclamait d'emblée : « Il renverse les puissants de leurs trônes ; il élève les humbles...... » (1, 52)
L'humilité ne consiste pas à se mépriser, à se juger bon à rien, à rester inactif, à ne pas vouloir faire mieux. Elle peut être là quand on est heureux de manifester ses talents, elle est certainement absente là où on la professe : « Moi j'ai beaucoup de défauts, mais au moins je suis humble » ! Elle est dans l'acceptation de soi, dans le refus des comparaisons et des jalousies.

DE L'ECHANGE AU DON

Jésus s'était adressé à tous les convives : maintenant il parle au chef.
Jésus disait aussi à celui qui l'avait invité : « Quand tu donnes un déjeuner ou un dîner, n'invite pas tes amis, ni tes frères, ni tes parents, ni de riches voisins ; sinon, eux aussi t'inviteraient en retour, et la politesse te serait rendue. Au contraire, quand tu donnes un festin, invite des pauvres, des estropiés, des boiteux, des aveugles ; et tu seras heureux, parce qu'ils n'ont rien à te rendre : cela te sera rendu à la résurrection des justes. »
Ces « Messieurs bien » aimaient se retrouver chez l'un puis chez l'autre, entre gens de bonne compagnie. Appréciant les bons plats, experts en bons vins, le petit doigt en l'air, sans faire de rot. C'est facile, leur lance Jésus, d'organiser une belle réception en sachant que la prochaine fois politesse vous sera rendue par un confrère. Donner pour recevoir, un prêté pour un rendu : on demeure dans la société marchande, dans l'équilibre des échanges, dans le monde païen. Essayez, dit Jésus, d'entrer dans le Royaume, la communauté du don, où l'on offre sans espoir de retour, où l'on goûte le bonheur de la gratuité (« Heureux seras-tu... »). Où l'on cesse de se retrouver « entre soi » pour offrir une hospitalité désintéressée à ces « manants » que vous, Pharisiens, considérez de haut et excluez de vos assemblées.
« Cela te sera rendu » : c.à.d. Dieu te le rendra. Un jour, il t'invitera, gracieusement, au Banquet de la Vie éternelle où il n'y a plus des degrés de dignité, des hautes classes et des dalits, l'aristocratie des vertueux et la crasse des pouilleux, mais rien que « des pauvres types », des humbles qui n'en reviennent pas d'avoir été invités.
Dans notre société marchande où tout s'évalue, s'achète et se vend, où ne se fréquentent que les gens « du même monde », quel beau témoignage chrétien que de construire des passerelles, de piétiner les convenances, de vivre la communion avec « l'autre »différent.
Ah si l'Eucharistie commençait par un joyeux brouhaha, l'accueil réciproque, sans présentations mondaines, quand la seule dignité de chacun serait celle d'être chrétien. La messe est la manifestation d'une société sans classes.

22e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Van Aerde Michel
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

Les premiers seront les derniers, les derniers seront premiers. Ce refrain fait penser à une ronde, à une danse enfantine, où l'on forme un cercle et où l'on tourne en chantant. Qui s'élève sera abaissé ; qui s'abaisse sera élevé !  Cela fait penser aussi à une roue où ce qui est au dessus se retrouve au dessous. Les élevés seront abaissés, les humiliés seront exaltés. On retrouve le Magnificat et son contenu révolutionnaire, subversif, disent certains.
Une ronde, une roue, une révolution, tout cela tourne et tourne et cela recommence à tourner. Les arroseurs sont arrosés, les bombardeurs sont bombardés. Voyez en Syrie, voyez en Lybie, voyez au Mali.
C'est réjouissant d'une certaine manière : ce ne sont pas toujours les mêmes qui tiennent le haut du pavé. Les opprimés d'hier deviennent oppresseurs aujourd'hui.  Mais comme ce cycle d'injustices pourrait-il être satisfaisant ?

Il y a des rondes qu'il faut savoir couper, des cercles vicieux qu'il faut briser, des mécanismes qu'il faut humaniser, des fatalités dont il faut se libérer.
Il ne suffit pas de faire tourner la roue des oppressions pour que ce soit une vraie révolution. Il faut convertir les c½urs, il faut changer les mentalités. Il faut insuffler un Esprit nouveau et transformer des c½urs de pierre en c½urs de chair.
« Il ne suffit pas de changer les tenants du pouvoir, il faut changer la nature même du pouvoir ». Et c'est cela que Jésus vient proposer, c'est cette révolution là qu'il vient inaugurer, c'est cette danse là qu'il vient nous proposer. J'ai joué de la flute, dit-il, et vous n'avez pas dansé. Un jour où l'autre tout bouge et les places sont redistribuées, mieux vaut anticiper, être prophétique et vivre au rythme et au pas de l'envoyé de Dieu.

Soyons un peu plus concret encore. Quand un pape prend l'autobus, il ne se met pas en avant mais tout le monde le sait. Et tout le monde rit, car c'est drôle et c'est libérateur de changer d'habitude et de relativiser préséances, privilèges et honneurs. Quand un pape paie lui-même son hôtel, cela devient très amusant. Il connaît le prix des choses, des baguettes et des croissants ! Il est comme nous finalement ! Quand il se perd dans les embouteillages à Rio, c'est presque inquiétant. Mais cela reste de l'ordre du symbole, me direz-vous. Certes, mais les symboles sont importants. Ils en disent long, ils structurent l'imaginaire. Ils disent l'essentiel que nous pouvons espérer, ils disent un monde que l'on peut commencer à créer.

Serions-nous capable, de temps en temps d'inventer un pas de danse différent ? De changer les rôles, de bousculer le protocole, à commencer par les petits rites familiaux, chercher le pain le matin, débarrasser la table, fait la vaisselle, sortir la poubelle ? Serions-nous capables de créer la surprise, des moments de rire et d'étonnement ? Annoncer l'Evangile, ce n'est pas réciter un catéchisme mais donner à goûter quelque chose d'incroyablement nouveau, qui fait question, qui invite à creuser. Dans ce monde de béton, les chrétiens doivent faire des bulles, rendre la vie plus respirable, plus humaine, plus légère, plus drôle. Il faut du rythme, du mouvement. Si le pape François montre l'exemple, peut-être les évêques suivront-ils ? Et si les évêques suivent, peut-être les prêtres danseront-ils aussi ? Et peut-être à leur tour les paroissiens, pas seulement ici, une fois par semaine tout au plus, mais aussi dans leurs maisons, dans leur famille, dans leur travail, dans leurs fonctions. Alors le monde va changer pour de vrai. Alors un air d'évangile va souffler. Alors les sourires et les même les fou-rires vont fuser. On va s'amuser ! On va danser, on va respirer, on va guérir de nos vieux rhumatismes et se muscler un peu. On va ressusciter !

Le maître de la danse, nous invite tous, il a besoin de nous.
Mis sous terre est monté aux cieux. Qui s'élève sera abaissé ; qui s'abaisse sera élevé !

 

21e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Devillers Raphaël
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2012-2013

JAMAIS TROP TARD POUR «SE RETOURNER »

L'évangile de ce dimanche concerne un sujet qui revêt déjà une importance capitale sous la Première Alliance : « la conversion ». Le mot hébreu qui la désigne se dit TECHOUVA, du verbe SHOUB qui signifie « revenir, retourner ». En effet l'être humain n'est pas automatiquement dirigé vers son Dieu : il a toujours la possibilité de se tromper, de dévier de sa route, d'adopter une conduite qui mène à la mort. Mais la capacité lui est toujours offerte de prendre conscience de son erreur, d'écouter un prophète qui l'alerte sur le gouffre où il se dirige, qui le supplie d'arrêter et de faire marche arrière.
Ce changement de cap est une merveille car il veut dire que rien n'est inéluctable, que quels que soient la durée de nos aveuglements, l'ignominie et le nombre de nos chutes, nous gardons pouvoir de « revenir ». Notre passé n'est jamais une prison définitive, nous ne pouvons jamais dire : « c'est trop tard, je suis fichu, c'était mon destin».
L'Evangile est la Bonne Nouvelle parce qu'il est le contraire du pharisaïsme, parce que Lévi, Madeleine, Zachée, le bon larron, le fils prodigue et tant d'autres se sont laissés rattraper par la grâce et, du fond du gouffre, se sont jetés dans les bras du Père dont le c½ur aimant ne pouvait que les accueillir dans la joie. La conversion n'est pas une question de mérites ou d'héroïsme mais d'espérance.

Dans sa marche vers Jérusalem, Jésus passait par les villes et les villages en enseignant.

Un jour, Jésus « a durci son visage et a pris résolument la route de Jérusalem » (9, 51) où il sera mis à mort. Luc n'oublie pas de nous rappeler cette longue montée qui était alors géographique et qui aujourd'hui doit être spirituelle : nous ne pouvons nous laisser aller « à notre pente », il faut continuer à « monter ». Jésus suit les chemins qui relient les lieux d'habitation, il passe d'un endroit à l'autre, il demeure  au c½ur du peuple, il ne lance pas l'appel au désert comme s'il fallait fuir dans la solitude. Il ne faut pas changer de lieu, grimper à Katmandou : c'est là où nous vivons que nous sommes sollicités à nous « retourner ».

Et c'est dans ce but que Jésus INSTRUIT. Inlassablement, depuis le début de sa mission, Jésus parle aux hommes, il n'a pas d'autre arme que la Parole qui respecte souverainement notre liberté. La conversion ne sera jamais due à la coercition : c'est pourquoi elle est difficile puisqu'elle dépend de l'écoute d'une faible voix alors que nous aimons tant obéir aux hurlements de la puissance.
La paroisse est le lieu où cette douce parole doit retentir, être répétée, expliquée : c'est elle que tout pécheur doit enfin percevoir pour s'arrêter et comprendre enfin comment vivre en homme.

LE NOMBRE DES SAUVÉS

Donc se convertir n'est pas d'abord passer de l'incroyance à la foi, ni changer de religion, mais lutter afin de « retourner » notre vie et mieux obéir aux appels du Seigneur. Combien donc en seront capables ?

Quelqu'un lui demanda : « Seigneur, n'y aura-t-il que peu de gens à être sauvés ? ».
Jésus leur dit : « Efforcez-vous d'entrer par la porte étroite, car, je vous le déclare, beaucoup chercheront à entrer et ne le pourront pas ».

« La grande masse sera damnée » disait un Saint ; « Nous irons tous au paradis » dit la chanson. Qui a raison ? Combien y a-t-il de fauteuils au ciel ? Jésus se dérobe à la question : le problème n'est pas de supputer le nombre futur mais de donner toute sa valeur au présent, de multiplier dès aujourd'hui, pour soi, les efforts de conversion. « Efforcez-vous ». Lors de la décision de partir à Jérusalem, Jésus avait dit : «  Si quelqu'un veut venir à ma suite, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix chaque jour et qu'il me suive » (9, 23). Maintenant il n'a  pas adouci cette exigence radicale: « La porte est étroite ».

Quand le maître de la maison se sera levé et aura fermé la porte, si vous, du dehors, vous vous mettez à frapper à la porte, en disant : 'Seigneur, ouvre-nous', il vous répondra : 'Je ne sais pas d'où vous êtes.' Alors vous direz : 'Nous avons mangé et bu en ta présence, et tu as enseigné sur nos places.'
Il vous répondra : 'Je ne sais pas d'où vous êtes. Éloignez-vous de moi, vous tous qui faites le mal.'

Quel mystère ! Il y aura « un dedans et un dehors » !?
Tout au cours de l'histoire, l'entrée dans la demeure de Dieu est possible, certains peuvent même s'y glisser à l'ultime minute (le bon larron). Mais à un moment, « le maître fermera la porte » et ceux qui se sont endurcis dans le mal s'y heurteront. Le désir de Dieu, qui les habitait et qu'ils auront toujours refusé d'écouter, les projettera vers un accomplissement qui sera désormais impossible.
Il ne suffit pas de connaître Jésus, d'avoir suivi un catéchisme, d'avoir une tante carmélite...et même d'avoir souvent participé à l'Eucharistie (« manger et boire avec lui »).Vagues connaissances et rites superficiels ne donneront jamais de tickets d'entrée. Seuls les actes comptent : « faire le bien ».

Il y aura des pleurs et des grincements de dents quand vous verrez Abraham, Isaac et Jacob et tous les prophètes dans le royaume de Dieu, et que vous serez jetés dehors. Alors on viendra de l'orient et de l'occident, du nord et du midi, prendre place au festin dans le royaume de Dieu ».
Comment expliquer ce que sera « le ciel » ? Les prophètes avaient proposé l'image du festin : ce sera comme un grand banquet où l'on mange à satiété (vie en surabondance), ensemble (la communion des Saints), en buvant du bon vin (allégresse, joie inaltérable)
« Le Seigneur va donner sur cette montagne un festin pour tous les peuples, viandes succulentes et grands crus...Il fera disparaître la mort pour toujours » (Is 25, 6)
Jésus reprend l'image mais il gomme « cette montagne » (= Jérusalem) : le Royaume n'est plus réservé aux fils d'Israël mais ouvert à l'humanité universelle, « pour tous les peuples ». Jean-Baptiste avait déjà prévenu ses compatriotes qui se reposaient sur l'élection d'Abraham : « N'allez pas dire : Nous avons pour père Abraham car avec les pierres que voici, Dieu peut susciter des enfants à Abraham » (3, 8). On ne naît pas « fils de Dieu » : on le devient par option. On n'hérite pas de la maison du ciel comme du chalet de ses parents ; on peut vénérer ses grands ancêtres mais en fin de compte il s'agit de les suivre en marchant sur leurs traces, en observant la même fidélité.

Oui, il y a des derniers qui seront premiers, et des premiers qui seront derniers »
Jésus ne dit pas que tous les premiers appelés (Israël) seront rejetés et tous les derniers (païens convertis) admis : mais « des... des... ». Il n'y a pas de monopole de race, de nation, de culture : les convives au Banquet céleste seront de toutes les origines. L'Eucharistie où les croyants de toutes classes, de tous pays se nourrissent de la Parole de Vérité et du Pain de la Vie est une anticipation réelle de cette finalité.
Intercèdent-ils afin que « ceux du dehors » puissent enfin, et quand même, entrer ???
Laissons l'avenir à Dieu et ne nous lassons pas, chaque jour, de travailler à cette immense tâche : RETOURNER ...NOUS CONVERTIR ....La foi est notre boussole infaillible.