Sur notre minuscule planète, grain de sable voguant à travers les espaces infinis, dans une humanité perplexe devant la diversité des religions et même scandalisée par leurs crimes, au sein d'une société "post-moderne" qui nous éclabousse de merveilles technologiques et nous persuade que seul vaut le plaisir immédiat- dans ces conditions actuelles, pouvons-nous encore dresser la Croix et proclamer la résurrection du Crucifié ? Sous l'idéal tyrannique de la consommation d'objets et le tintamarre des sirènes marchandes - causes du naufrage de la foi de multitudes -, avons-nous encore l'audace de crier le message de la consumation de l'amour ?
Oui bien sûr ! Il le faut ! Et parce que nous en avons reçu mission et parce que l'homme gavé reste à sauver.
Aujourd'hui, jour de Pâques, l'Eglise répercute le refrain chanté par le peuple des baptisés depuis deux millénaires, l'hymne à la joie que murmuraient encore les bouches ensanglantées de Martin Luther King, de Mgr Romero et des sept moines de Tibhérine égorgés en Algérie :
A l l e l u i a ! A l l e l u i a ! Jésus est ressuscite
EST-CE VRAI ??? L'objection s'est posée avec force dès les premiers jours de l'Eglise. Ainsi lorsque saint Paul travaille à développer la communauté chrétienne d'Ephèse, en Asie mineure, il reçoit une correspondance de la communauté de Corinthe : on lui fait part du scepticisme de certains baptisés qui calent devant l'idée de résurrection. La réponse de Paul flamboie comme une de ses pages les plus essentielles. Voilà le premier credo de l'Eglise :
Je vous rappelle, frères, l'Evangile que je vous ai annoncé, que vous avez reçu, auquel vous restez attachés, et par lequel vous serez sauvés - si vous le retenez tel que je vous l'ai annoncé...
Autrement vous auriez cru en vain.
Je vous ai transmis en premier lieu ce que j'avais moi-même reçu :
Christ est mort pour nos péchés - selon les Ecritures ;
Il a été enseveli ;
Il est ressuscité le 3ème jour- selon les Ecritures. il est apparu à Képhas (Pierre) puis aux Douze, ensuite à plus de 500 frères ( la plupart sont encore vivants) puis à Jacques et tous les apôtres...et enfin à moi l'avorton.... ( 1 Corinthiens 15)
Il ne s'agit donc pas d'une nouvelle idée, mais d'une "tradition" que Paul a reçue et qu'il transmet intégralement. Il rappelle à ses correspondants qu'il leur avait bien enseigné tout cela dès le début lorsqu'il était venu fonder cette communauté de Corinthe - c'est-à-dire dans les années 50-52 (à peine 20 ans après la mort de Jésus en croix !). Là se trouve le c½ur de la foi.
Paul fait appel à des témoins que l'on peut encore interroger, qui ont été transformés par cette découverte et dont plusieurs mourront martyrs à cause d'elle. Rejeter cette foi c'est anéantir la Bonne Nouvelle, c'est retomber sous le règne de la conscience, des règles morales ou de la fatalité, c'est boucher l'horizon de la vie, c'est tuer l'espérance.
Paul l'affirme de la manière la plus nette :
Si le Christ n'est pas ressuscité,
notre prédication est vide, et vide aussi votre foi !....
Vous êtes encore dans vos péchés !
L'Apôtre supplie les baptisés de résister aux doutes et insinuations de certains : la foi initiale doit tenir dans la durée, s'affermir jusqu'à devenir fidélité. Réduire Jésus au statut de martyr, admirer son message et même en faire son programme de vie est bien mais nettement insuffisant. Jésus n'est pas qu'un prophète, un sage, un maître. S'il est ressuscité, il a pouvoir d'agglomérer en lui ceux qui lui font confiance, qui se donnent à lui au point de devenir son Corps.
Là-dessus pointe une nouvelle objection :
"Mais, dira-t-on, comment les morts ressuscitent-ils ?....."
En effet, presque infailliblement, nous imaginons les morts revenant à un monde et à une vie qui seraient la reprise de la situation d'antan. Il faut bien voir la différence radicale entre ré-animation et résurrection. Lazare dans l'évangile a bénéficié d'un sursis et il a recommencé à vivre comme avant...sous la menace de devoir à nouveau mourir pour toujours. Tandis que la résurrection est le passage dans une nouvelle condition que nous ne pouvons imaginer car elle fait éclater toutes nos représentations. Pour tenter de faire comprendre, Paul a recours à une comparaison agricole :
" Insensé ! Toi, ce que tu sèmes, ne prend vie qu'à condition de mourir...Ce que tu sèmes n'est pas la plante qui doit naître mais un grain nu, de blé ou d'autre chose. Puis Dieu lui donne corps et cela de façon particulière à chaque semence
Il en est ainsi pour la résurrection des corps :
Semé corruptible, le corps ressuscite incorruptible ;
Semé méprisable, il ressuscite éclatant de gloire ;
Semé dans la faiblesse, il ressuscite plein de force ;
Semé corps animé, il y a aussi un corps spirituel ..."
De même que le gland ne pourrait deviner le chêne qu'il deviendra, ainsi nous sommes incapables d'imaginer quelle sera notre condition future. Mais Paul affirme bien que c'est la même personne qui sera passée dans un état glorieux, spiritualisé.
Appuyés sur la foi au Christ qui a donné sa vie pour leur offrir le pardon, marchant dans l'espérance d'être un jour transfigurés dans sa Gloire, les baptisés vivent déjà dans un état nouveau. Le baptême les a configurés, assimilés au Christ : déjà ils sont enfants de Dieu. Ils ne sont plus soumis à un code de lois mais ils vivent dans une Demeure spirituelle où ils peuvent parler à Dieu comme à leur PERE. Certes ils restent marqués par leur condition humaine, ils connaissent des faiblesses mais ils partagent la certitude de saint Paul :
" Ni la mort ni la vie, ni les anges ni les démons, ni aucune créature...rien ne pourra nous séparer de l'amour de Dieu manifesté en Jésus Christ notre Seigneur " (Romains 8, 38)
Nos ancêtres ont eu assez de foi pour créer ce chef-d'½uvre unique des Fonts baptismaux et édifier cette collégiale qui traverse les siècles : image de l'Eglise constituée de personnes vivantes qui toutes, renaissent dans le baptême pour se rassembler en communauté fraternelle et annoncer à la ville que
Christ est vivant
il est vraiment ressuscite
alleluia ... alleluia...allleluia