Elle coucha son fils dans une mangeoire.
Il m'aura fallu près de 60 ans d vie religieuse avant de découvrir le sens premier de ce mot, loin de la traduction une crèche. Car, qu'est-ce qu'on met dans une mangeoire sinon ce qui se donne pour être mangé ?
Ainsi, dès le début, le don de Dieu se confirme : il nous est donné pour que nous en fassions l'usage le plus noble qui soit : être nourriture pour faire vivre l'homme, pour faire vivre Dieu dans la vie des hommes et des femmes ! Extraordinaire, oui, vraiment.
Et dans notre foi nous pouvons ainsi comprendre que Dieu est don, que la dernière Cène et l'Eucharistie sont déjà présentes dans cette nativité, et que nous sommes invités à en vivre, et par notre don personnel à en faire vivre notre monde. Toute une histoire d'amour. Noël et Pâques sont inséparables. L'histoire de Jésus commence à Bethléem, la « maison du pain » et se termine avec le partage du pain qui ne fait qu'un avec son don total à la Croix, don de vie confirmé par la résurrection.
Dieu s'est fait chair : tel est le mystère proposé à notre foi ; il se donne en nourriture et pour alimenter la vie des hommes, celle du monde. Plus que jamais alors, si nous sommes prêts à nous laisser pénétrer- comme toute nourriture nous pénètre -, il se fait homme en pénétrant toutes les fibres de l'humain qu'il rend plus vivantes, plus fermes, et qu'il imprègne de ses qualités divines.
Dieu en Jésus enfant manifeste son amour en se montrant bien vulnérable : signe de l'amour profond de quelqu'un qui se met à la disposition des autres. Et c'est hélas vrai que certains jettent la nourriture alors que d'autres pleurent après elle et parfois ne trouvent personne pour la leur donner. C'est précisément cette vulnérabilité de Dieu, qui se laisse prendre en nos mains comme toute nourriture, qui nous provoque, car une fois en nos mains l'usage de cette nourriture dépend de nous : qui va donc la proposer aux hommes et femmes qui l'entourent ?
Croire Noël c'est entrer à notre tour dans un mystère et accepter la responsabilité de garder saine et vivante cette nourriture et de la présenter aux autres.
Si, comme le dit Isaïe dans la première lecture, d'un bout du monde à l'autre les nations verront le salut de Dieu, c'est parce que des messagers parcourent le monde pour présenter celui qui peut transformer nos vies précisément parce qu'il est faible et petit, ne fait donc pas peur, et qu'il est nourriture.
En acceptant dans notre foi ce mystère, ce don de Dieu, nous acceptons aussi que, comme toute nourriture, il nous transforme de l'intérieur et nous fasse devenir chair pour les autres. Ne dit-on pas de quelqu'un excessivement gentil qu'il est bon comme du pain, de quelqu'un qui se donne qu'il se laisse manger par les autres ? Nous ne pouvons pas vraiment croire sans en accepter toutes les conséquences qui nous font vivre au diapason de Dieu. Oui, Dieu s'est fait homme pour que nous devenions divins, et donc pour avoir en nous, comme dit Saint Paul, les mêmes sentiments que ceux du Seigneur Jésus et en vivre. Dieu s'est fait pain pour que nous devenions pain, en commençant par le partager, et donc en nous partageant nous-mêmes.
Invitation à l'ouverture aux autres qui n'est possible qu'avec les sentiments de tendresse de notre Dieu, cette tendresse qui rend vulnérable mais qui ouvre des horizons d'amour et d'épanouissement. Avec Noël, la relation à Dieu est changée ; il doit en être de même de nos relations, de la façon dont nous regardons les autres, les acceptons, les encourageons ; de la façon dont nous nous laissons atteindre par les souffrances de l'autre. Le danger de nos communautés serait d'être une forteresse, blindée contre toute atteinte ou souffrance des autres ou dans le monde. Alors nous serions des menteurs en annonçant Noël.
Annoncer Noël : c'est ce que font les bergers ! Mais en fait qu'ont-ils vu ? Qu'ont-ils entendu ? Rien d'autre qu'un couple avec leur bébé, sur la paille, sans doute aussi des animaux, dans l'odeur fétide d'une étable et de son fumier ? Entendu ? Les vagissements d'un nouveau-né ? Peut-être quelques demandes d'aide de la maman, du papa ?
Qu'est-ce qu'on peut bien annoncer avec çà, si ce n'est un fait divers étrange, malheureux ; bref radio-trottoir. Mais il y a eu ce phénomène étrange attribué aux anges, une révélation étonnante qui donne sens et à laquelle ils adhèrent. Et cela change tout, parce que cela leur permet de voir autrement.
La proclamation des bergers contraste singulièrement avec celle d'Hérode lorsque les sages en écritures lui dévoilent que c'est à Bethléem que doit naître le nouveau roi !
Voir et entendre des choses ordinaires et en accepter le sens révélé, dans la foi, et alors proclamer cette découverte : telle a été la première prédication de l'histoire au sujet de Jésus.
Noël nous donne aussi une clé de lecture de ces histoires d'aujourd'hui, qui sont souvent grosses de Dieu, que notre prédication devra révéler au grand jour et donner en nourriture.
Les gens ont faim de ce qui fait vivre : qui va les nourrir ?
Oui, Dieu a parlé par nos pères, s'est révélé à travers eux : puissions-nous à notre tour être des révélateurs de sa présence dans nos vies, dans la terre des humains.