Aujourd'hui, la liturgie nous invite à tourner notre regard vers le visage du Christ, à la manière des disciples Pierre, Jacques et Jean. Les trois disciples vivent en compagnie de Jésus, ils l'accompagnent sur la route, à travers les villes et villages où Jésus répand la Bonne Nouvelle. Autrement dit, ils connaissent son visage d'homme, son sourire, le son de sa voix ou encore la couleur de ses yeux.
Jésus marche vers Jérusalem, lieu de sa mise à mort et de sa résurrection. En chemin, il fait une halte sur la montagne. Il invite ses trois amis à venir un peu à l'écart pour se reposer et prier. C'est à se moment que quelque chose d'inattendu se passe. Jésus est transfiguré sous les yeux des disciples. Le texte évangélique nous dit que son visage devient « brillant comme le soleil » et ses vêtements « blancs comme la lumière ». Pierre, Jacques et Jean n'en croient pas leurs yeux. Ils découvrent un autre visage de leur Christ. C'est toujours le même Jésus mais quelque chose de nouveau se donne à voir. Une lumière intérieure rayonne sur le visage du Christ. D'où vient-elle ? On l'apprend de la voix mystérieuse qui dit : « Celui-ci est mon fils bien-aimé, en qui j'ai mis tout mon amour ; écoutez-le ». La lumière vient du Père avec lequel Jésus a une relation unique. La proximité entre Jésus et son Père se manifeste comme un rayonnement de clarté, comme le soleil qui brille sur la terre. L'éblouissement du regard bouleverse les disciples. Ils tombent sur le sol, saisis de peur. En faisant cette expérience exceptionnelle, il y a de quoi être paniqué. Qui est vraiment ce Jésus ? Tout le monde peut voir que c'est un homme, mais ici il faut bien admettre qu'il porte en lui un don unique. Que s'est-il donc passé sur la montagne ? Nous sommes bien obligés de reconnaître que cela nous dépasse.
Une manière de comprendre la scène de la Transfiguration est de dire que le regard des disciples s'est ouvert à une réalité qu'ils ne percevaient pas encore jusque-là. Ils étaient familiers du visage de Jésus en tant qu'homme. Mais ils n'avaient pas encore perçu la vie divine en Jésus. Comme bien souvent, nous aussi, nos yeux sont habitués à voir les choses de la vie, tellement habitués que nous perdons la capacité de nous émerveiller devant la beauté des choses, des petites choses surtout. Le carême peut-être un temps privilégié pour évangéliser notre regard, et retrouver ainsi notre capacité d'émerveillement. Si nous prenons de la distance par rapport aux images qui nous arrivent quotidiennement, en particulier via la télévision, nous pouvons décider de voir les choses autrement. Dans le monde, nous pourrions être plus attentifs aux signes d'espérance et de renouveau qu'aux images catastrophiques qui nous alourdissent le c½ur. Ce n'est pas de l'indifférence. Au contraire, c'est retrouver la différence. Tout n'est pas négatif et des signes d'un monde différent existent. Même autour de nous, nous sommes invités à renouveler notre regard sur les autres.
N'ai-je pas trop oublié que mon frère, ma s½ur, mon voisin, mon compagnon, porte en lui des richesses à découvrir ? Ne suis-je pas trop sûr de moi quand je crois connaître les gens ? Est-ce qu'il n'y a pas de facettes de l'autre que j'ignore à force de voir l'autre toujours sous le même angle ? Voilà autant de questions qui se posent à nous. Les apôtres eux-mêmes se sont posés de telles questions. Ils pensaient connaître Jésus, son visage, son projet de vie. Et pourtant, ils vont de découverte en découverte. Aujourd'hui, ils sont émerveillés de la lumière divine présente en Jésus. Demain, ils assisteront à la crucifixion de leur ami. Ensuite, ils verront le Ressuscité de leurs yeux chagrinés et stupéfaits.
Nous sommes en marche vers Pâques. Notre bonheur vient de ce que nous sommes proches du Seigneur. En évangélisant notre regard, en le modifiant, nous découvrirons Dieu à l'½uvre dans notre vie de chaque jour. En ouvrant nos yeux, nous verrons la lumière qui brille sur le visage de l'autre. Le visage d'une personne peut dire quelque chose de sa vie intérieure, en être comme le reflet. Une personne qui souffre aura souvent les traits tirés. Une personne qui n'espère plus rien dans la vie aura un air hagard. Quelqu'un qui est heureux de vivre sera souriant et aura un regard vif. J'ai souvent été frappé par le visage de certaines personnes, notamment de celles qui aiment et vont jusqu'à tout donner. Ces personnes sont pour nous des icônes de la bonté divine, mystérieuse et proche. Dieu est discret mais il n'est pas loin de nous.
Comme Jésus qui encourage ses disciples, Dieu nous dit à chacun et chacune d'entre nous : « Relèves-toi et n'aies pas peur ». On ne peut jamais s'arrêter trop longtemps en chemin. Chacun doit continuer sa route, à son rythme. En effet, la foi n'est pas une halte mais un chemin parsemé de découvertes. A la suite de Abraham, modèle des croyants, nous marchons vers l'inconnu dans la confiance. Si nous laissons nos yeux sans vigilance, nous risquons de passer à côté des signes d'espérance que Dieu nous donne. Pour retrouver la force de voir les choses sous la lumière de Dieu, il est parfois nécessaire de faire un peu silence. Il faut aussi de la patience et du courage devant les difficultés. Mais nous croyons qu'en Jésus, comme dit Paul, Dieu « s'est manifesté en détruisant la mort et en faisant resplendir la vie ». Alors, bonne marche vers Pâques !