Trop longtemps on a lu les premières pages de la Bible comme une sorte de reportage sur le début de l'histoire du monde si bien que lorsque des savants ont affirmé que leurs observations les conduisaient à une toute autre explication, il y eut conflit et même des condamnations. Ce qui accrédita l'idée - encore répandue- que l'Eglise s'opposait à la science. Il n'en est évidemment rien : le livre de la Genèse n'est pas le récit des débuts du monde mais une lecture religieuse de notre situation dans le monde. Que les savants poursuivent leurs admirables recherches : la Bible n'entend pas nous expliquer les lois de la matière mais comment l'homme peut et doit vivre, et quel est le sens de notre existence.
Poursuivons donc la lecture commencée dimanche passé. Si nous croyons que Dieu crée le monde et le confie à l'humanité qui est faite "à son image", il en découle encore, au moins, trois conséquences d'une importance essentielle et d'une portée très pratique.
DOMINER N'EST PAS DÉTRUIRE
Si Dieu crée, alors le monde n'est pas divin, il est "désenchanté", l'homme peut le "dominer", comme le dit la mission donnée par Dieu à l'homme. Mais celui-ci n'a pas le droit d'user et d'abuser, de saccager, de détruire...- ce qui, hélas, est en train de se produire ! Grâce aux machines gigantesques et entraîné par son désir de toute-puissance, l'homme épuise les matières premières, pollue et abîme son environnement, anéantit des multitudes d'espèces végétales et animales. Des scientifiques lancent des cris d'alarme : quelle planète laisserons-nous à nos enfants ? Le monde devient-il une poubelle ? Allons-nous droit dans le mur ? La Genèse nous apprenait que l'homme doit dominer à la façon de Dieu dont il est l'image, c'est-à-dire avec douceur, respect, raison, en sachant poser des limites à son délire de toute-puissance. La requête écologique est biblique.
LE RYTHME HEBDOMADAIRE - REPOS DU 7e JOUR
Le rythme "6 jours de travail - 1 jour de repos" qui s'est imposé à presque toute l'humanité nous vient des Israélites -qui l'ont sans doute emprunté aux Babyloniens - et il nous faut à nouveau le redécouvrir comme un trésor de la Révélation. En effet si le travail est notre mission première, qui ne voit les dangers immenses qui nous guettent sur ce chantier ? L'homme peut s'enivrer de ses propres productions, s'y jeter à corps perdu au point de s'y abrutir comme sous l'effet d'une drogue ; il est tenté de s'enorgueillir de ses découvertes et de ses capacités jusqu'à se juger maître du monde et Dieu en devient superflu ; il peut être fasciné par les fruits de la croissance, s'engager dans une course folle à l'argent, exploiter d'autres hommes réduits à leur force de travail...La révolution industrielle du 19ème siècle a montré les ravages et les crimes d'une société qui avait privé les travailleurs de leur jour de repos ; aujourd'hui une terrible pression est exercée pour ouvrir les grands magasins le dimanche !
Le repos hebdomadaire est un trésor parce qu'il sauve l'humanité. Affronté aux choses pendant la semaine, l'homme doit prendre un temps pour se donner à l'essentiel : les relations aux autres. Ce jour n'est pas un long défilé d'heures creuses où l'on meurt d'ennui : il est consacré au dialogue entre époux, entre parents et enfants, entre voisins. Alors l'homme reprend des forces, mais surtout se laisse transformer l'âme en priant son Créateur, en lui rendant grâce pour les merveilles dont il lui a fait cadeau.
Que faisons-nous du dimanche ? Est-il course folle sur les routes, esclavage sous le poids des "chaînes" de télévision ?...
DESTINATION UNIVERSELLE DES BIENS
Il est curieux de constater que tout le monde connaît la longue liste des interdits de l'Eglise en matière conjugale et sexuelle mais, au contraire, ignore à peu près tout de la doctrine sociale.
Proclamé sans cesse dans les premiers siècles par les Pères de l'Eglise, élaboré par les grands théologiens du Moyen-Age, répété à satiété par les documents récents du Magistère, son principe fondamental stipule que la création par Dieu entraîne la destination universelle des biens. Voici ce que disait le concile Vatican II :
"Dieu a destiné la terre et tout ce qu'elle contient à l'usage de tous les hommes et de tous les peuples, en sorte que les biens de la création doivent équitablement affluer entre les mains de tous, selon la règle de la justice inséparable de la charité...On doit toujours tenir compte de cette destination universelle des biens. C'est pourquoi l'homme, dans l'usage qu'il en fait, ne doit jamais tenir les choses qu'il possède légitimement comme n'appartenant qu'à lui, mais les regarder aussi comme communes, en ce sens qu'elles puissent profiter non seulement à lui mais aussi aux autres"" ( Gaudium et spes . § 69)
Dans son encyclique " SOUCI DES QUESTIONS SOCIALES" (déc.1987), le pape Jean-Paul II écrivait :
"Il est nécessaire encore une fois de rappeler le principe caractéristique de la doctrine sociale chrétienne : les biens de ce monde sont à l'origine destinés à tous. Le droit à la propriété privée est valable et nécessaire, mais il ne supprime pas la valeur de ce principe. Sur la propriété, en effet, pèse "une hypothèque sociale", c'est-à-dire que l'on y discerne...une fonction sociale...".
Et il soulignait avec force un élément repris avec insistance :
" Je voudrais signaler ici l'un de ces points : l'option ou l'amour préférentiel pour les pauvres. C'est là une option, ou une forme spéciale dans la pratique de la charité chrétienne dont témoigne toute la tradition de l'Eglise.....Cet amour préférentiel ne peut pas ne pas embrasser les multitudes immenses des affamés, des mendiants, des sans-abri, des personnes sans assistance médicale et par-dessus tout, sans espérance d'un avenir meilleur..." (§ 42)
Donc si la propriété est légitime, elle ne peut être un droit absolu. Tout être humain étant "une image spéciale de Dieu" a droit à la vie, aux moyens de subsistance pour lui et les siens, à un TOIT !...
C'est pourquoi l'action VIVRE ENSEMBLE promue chaque année par nos évêques va nous demander, dimanche prochain, de participer à la collecte nationale pour aider des sans-abri à obtenir un logement décent. Le vieux livre de la Genèse nous prévient : il ne s'agit pas là d'un acte de charité superfétatoire ou de générosité magnanime...mais d'un don rendu nécessaire par la foi en la création.
Comment oser fêter Noël en vérité évangélique si nous ne donnons pas un logement à ceux qui, comme jadis le couple de Bethléem, errent aujourd'hui dans la nuit ? ...