Après la série de dimanches consacrés au chapitre 6 de saint Jean, la liturgie revient aujourd'hui à l'évangéliste de l'année, saint Marc, avec une grande scène de controverse entre Jésus et les Pharisiens.
Au préalable, il faudrait sans doute réhabiliter ceux-ci qui (à cause des évangiles d'ailleurs) ont très mauvaise réputation au point que leur nom est devenu synonyme d'hypocrite, de faux dévot. Or le projet de ces laïcs pieux et zélés était très honorable puisqu'ils voulaient sauver la foi d'Israël menacée par la civilisation hellénistique. Eblouis par les prestiges de la culture grecque, avec ses grandes écoles de philosophie, ses théâtres, ses gymnases, ses merveilles artistiques, de nombreux Juifs abandonnaient la foi et les pratiques de leurs ancêtres. Aussi les Pharisiens luttaient-ils avec vigueur pour arrêter ce processus d'"assimilation" (et beaucoup l'avaient payé de leur vie, préférant le martyre à l'abjuration). Non seulement ils s'appliquaient à connaître toutes les lois de la Torah et à pratiquer minutieusement toutes les observances (circoncision, sabbat, régime alimentaire, ablutions, prières, ...) mais ils en rajoutaient sans cesse afin d'être sûrs d'éviter toute contagion. Refusant tout contact avec les païens, ils se distinguaient des autres -d'où leur nom "pharisien" (du verbe parash = séparer) . Ils se voulaient "les purs" pour la Gloire de Dieu. Ce qui peut être dangereux.
Les pharisiens et quelques scribes venus de Jérusalem se réunissent autour de Jésus : " Pourquoi tes disciples ne suivent-ils pas la tradition des anciens ? Ils prennent leur repas sans s'être lavé les mains ?" Et saint Marc d'expliquer longuement que les pharisiens multiplient les ablutions : on lave et relave les aliments achetés au marché ainsi que la vaisselle -au cas où ces objets auraient été touchés par des mains païennes- et on se lave rituellement les mains. Pourquoi donc Jésus ne fait-il pas observer ces pratiques à ses disciples ?
Jésus leur répondit : " Isaïe a fait une bonne prophétie sur vous, hypocrites, dans ce passage de l'Ecriture : "Ce peuple m'honore des lèvres mais son c½ur est loin de moi. Il est inutile, le culte qu'ils me rendent : les doctrines qu'ils enseignent ne sont que des préceptes humains. Vous laissez de côté le commandement de Dieu pour vous attacher à la tradition des hommes"
Les prophètes s'étaient fréquemment élevés non contre le culte en soi mais contre des pratiques religieuses superficielles, des liturgies formalistes c'est-à-dire conformes au rituel mais sans engager le don du c½ur, c'est-à-dire de la personne. Or prière et culte n'ont de valeur que s'ils provoquent la conversion : à quoi bon processions, cantiques et jeûnes si les "pratiquants" pieux ne veulent pas "pratiquer" leur foi dans la vie ? Jésus dénonce cette hypocrisie en s'appuyant sur un fait qu'il a sans doute observé (et qui, hélas, est omis par la liturgie) :
" Moïse a dit : "Honore ton père et ta mère"...mais vous, vous dites : " Si quelqu'un dit à son père ou à sa mère : " Le secours que tu devais recevoir de moi est "corban" (= offrande sacrée)", vous lui permettez de ne plus rien faire pour son père ou sa mère !!! Vous annulez ainsi la Parole de Dieu par la tradition que vous transmettez ! ...Et vous faites beaucoup de choses du même genre".
En ce temps, pas de pension de vieillesse : ce sont les enfants qui doivent entretenir leurs vieux parents. Or les casuistes pharisiens avaient trouvé le moyen d'esquiver cette charge : il suffisait de dire à ses parents : "J'ai voué mes biens pour le trésor du temple donc je ne puis vous aider" !!!... Colère de Jésus : ainsi on effectue des ablutions, on est fier d'observer un rituel compliqué...et on bafoue un commandement essentiel de Dieu. On manque d'amour au nom de la piété ?! On protège son argent en se camouflant derrière des apparences pieuses ! On promet à Dieu ce qu'on vole aux pauvres. Honte ! Goujaterie ! Blasphème !
Là-dessus Jésus convoque la foule pour un enseignement plus fondamental :
Ecoutez-moi et comprenez : Il n'y a rien d'extérieur à l'homme qui puisse le rendre impur, mais ce qui sort de l'homme, voilà ce qui le rend impur".
De retour à la maison, ses disciples, intrigués, le prient de leur expliquer cette dernière déclaration.
Jésus leur répond : Vous aussi, vous êtes sans intelligence ? Rien de ce qui pénètre de l'extérieur dans l'homme ne peut le rendre impur puisque cela pénètre dans son ventre puis est éliminé dans la fosse".
A quoi Marc ajoute une conclusion fondamentale :
Il déclarait ainsi que tous les aliments sont purs !!!
Le système de la "casherout"(notamment l'interdit du porc) strictement appliqué par les pharisiens préservait leur identité juive...mais les séparait absolument des autres. D'où l'énorme problème des premières communautés chrétiennes : comment mettre ensemble, à la même table, des chrétiens d'origines diverses : juive ou païenne ? Sans craindre de contredire les antiques interdits de la Torah sur les aliments purs ou impurs (cf. Lévitique 11), Jésus abolit les tabous alimentaires : il n'y a plus de nourriture interdite donc nous pouvons manger (et communier) ensemble..... Progrès révolutionnaire ! Quelle libération ! Ensuite Jésus explique ce qu'il vient de dire :
Ce qui sort de l'homme, c'est cela qui rend l'homme impur. Car c'est de l'intérieur, c'est du c½ur des hommes que sortent les intentions mauvaises, inconduites, vols, meurtres, adultères, cupidités, perversités, ruse, débauche, envie, injures, vanité, déraison... Tout ce mal sort de l'intérieur et rend l'homme impur.
La seule et véritable souillure réside à l'intérieur, dans le c½ur humain, lorsqu'il entretient de la méchanceté à l'égard d'autrui, rumine de mauvais desseins, fomente rancune et jalousie, crache colère et haine. Et ce mal, le péché, aucune ablution ne peut l'enlever ! Il était vraiment trop facile pour les chrétiens d'accuser ces "maudits pharisiens" hypocrites et ennemis de Jésus. Le pharisaïsme est un péché qui guette toute religion. Sous le couvert de la piété et de toutes sortes de pratiques, on dissimule la dureté d'un c½ur qui ne veut pas se convertir à l'amour. La perversité est là : on est capable de se croire bon croyant, bon pratiquant... tout en manquant aux devoirs élémentaires de la justice vis-à-vis de ses proches. On invente des tabous, des prescriptions afin de s'estimer "autre" que les autres. La vraie souillure, c'est le péché, le mal que l'on cause au prochain. Mais alors qui nous lavera ?...sinon "le Pain de Vie", cette nourriture qui porte le don du Corps et du Sang du Christ afin qu'il n'y ait plus de culte mensonger, ni de séparation entre les croyants et qu'ils ne se glorifient plus de leurs pratiques. Chantons notre reconnaissance envers le Sauveur qui nous a libérés des tabous et nous offre la véritable pureté du c½ur : par sa miséricorde.