16e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

En ces temps où l'embauche est difficile et où il convient de faire appel à la créativité personnelle en vue de trouver un travail, l'évangile dénonce en tout cas un certain type de métier : l'agitateur d'air. L'agitateur voire l'agitatrice d'air, demande des compétences très précises. Ils peuvent être soit agitateur d'intérieur ou d'extérieur mais l'effet sera le même. Du vent, rien que du vent.

Prenons d'abord l'agitateur intérieur, ce dernier reste à sa place, ne bouge pas si ce ne sont ses lèvres. Son esprit est agité, encombré et il produit de l'air par ses mots qui souvent sont empreints de négativité. Quant à l'autre, l'agitateur extérieur, celui-ci est plutôt quelqu'un qui fait des mouvements, accompagnés parfois de grands gestes, se déplace beaucoup, fait tourner l'air autour de lui mais n'est pas efficace. Rien ne change.

Un bon exemple pourrait être l'adolescent " esquiveur " de vaisselle. Il circule beaucoup, tourne autour de la table en parlant abondamment mais essuie très peu en réalité. L'agitateur d'air compétent agira d'ailleurs de la même manière pour toute autre tâche qu'elle soit ménagère ou non.

Très souvent, et malheureusement pour elle, ce type de personne s'enferme dans une agitation stérile. Elle s'inquiète pour tout. A force de vouloir trop se préoccuper des moindres détails dont personne ne se rendra sans doute compte, l'anxiété l'envahit, l'empressement la saisit. Son caractère devient grincheux. Esclave de sa propre agitation, elle en veut à tous ceux et celles qui, contrairement à elle, n'ont soit disant " rien à faire ". Et à ses yeux, ils sont nombreux. Oh, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit. Je ne suis pas entrain de condamner l'agitation. Celle-ci est bien évidemment nécessaire sinon rien ne se produirait. Si la sacristine (le sacristain) ne s'était pas quelque peu agité avant notre eucharistie, et bien rien ne serait prêt et nous ne pourrions pas célébrer ce mystère comme il se doit.

Il est donc important de s'agiter de temps à autre mais il y a un temps pour tout. En effet, trop accaparés par le service ou par le soucis que tout soit parfait, que les convives soient heureux, que chacune et chacun ait sa place et se sente bien, nous risquons d'oublier que l'accueil de l'autre est d'abord et avant tout une qualité de relation. Trop d'agitation, celle à devenir agitateur d'air, conduit à passer à côté d'une vraie rencontre. A ce moment-là nous n'avons plus le c½ur libre pour écouter, pour découvrir. Nous sommes trop plein de tout ce qui nous préoccupe et nous entrons dans un temps de stérilité car nous passons à côté de l'essentiel. Or Dieu semble ne pas pouvoir se rencontrer dans l'agitation. Il aime le calme. Il attend que nous nous arrêtions quelques instants, que nous reprenions du temps pour nous, pour l'autre et pour lui. Il nous invite à nous asseoir et à prendre le temps de l'écouter. Il a encore tant de choses à nous dire et il s'adresse à nous dans toutes les petites choses de la vie. L'Esprit de Dieu est là, bien là, présent en notre monde et il se laisse découvrir dans la brise légère. Il est par delà nos agitations, nos empressements, nos absences de temps.

Dieu l'Esprit a besoin de calme et de sérénité, réalités tellement absentes dans notre monde, que certains iront jusqu'à nier sa présence. Or ils sont tout simplement passés à côté de Lui. Dieu l'Esprit est là, bien là mais il attend que nous nous libérions l'esprit car c'est dans la vérité de la liberté qu'il se laisse rencontrer. Il nous suffit de nous arrêter, en fait, de prendre le temps de nous asseoir pour contempler sa divinité qui continue de s'exprimer dans la vie, notre vie. Dieu se révèle à nous par nous. Il est dans le sourire de cet enfant, dans le regard de celui qui aime et pardonne, dans tout geste de tendresse, dans la main de la solidarité, dans la compassion exprimée. Il n'est donc pas possible de nier son existence, notre monde est rempli de sa présence. Et pour nous en rendre compte, il suffit de prendre le temps de s'arrêter quelques minutes chaque jour. Nous arrêtons nos agitations pour partir à sa recherche, pour découvrir là où l'Esprit de Dieu agit aujourd'hui encore. Il est au-delà de nos inquiétudes et d'après lui, une seule chose est nécessaire. A chacune et chacun de la trouver, de nous en réjouir et surtout d'en vivre. Elle est cette part de divinité qui sommeille en chacun de nous dans cette partie de notre être où se vit la paix intérieure. Fermons alors notre cinéma intérieur et partons à sa rencontre dans le silence de notre c½ur. Rien n'est plus essentiel que Dieu en nous.

Amen.

16e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Coulée André
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Je suppose que ce n'est pas pour rien que la liturgie de ce jour met en parallèle deux textes de visite : d'un côté 3 visiteurs reçus par Abraham, de l'autre Jésus reçu par Marthe et Marie. Regardons-y de plus près.

Notez tout d'abord que les 3 visiteurs et Jésus s'invitent eux-mêmes. Pas besoin de carton d'invitation et bien au contraire de nos meurs actuelles, du moins dans un certain milieu, ils n'apportent des fleurs à la maîtresse de maison ni de bouteille de vin.. Non, ils arrivent les mains vides, mais, nous le verrons, tous avec un message non seulement à donner, mais surtout à faire vivre.

J'aime beaucoup ce premier texte de la Genèse, et peut-être, faut-il une mentalité dit-on primitive pour mieux le comprendre. Selon les Africains au milieu desquels j'ai vécu, toute personne qui vous rend visite, surtout à l'improviste, est une bénédiction. Il est un hôte et c'est Dieu qui l'envoie. Ainsi toutes les attitudes du couple visité, en l'occurrence Abraham et Sara, je les ai vécues moi-même. Je me rappelle avoir vécu plusieurs fois l'application de ce proverbe entendu dans une ethnie africaine : " Quand tu arrives dans un village et que tu n'entends ni bruits, ni chants, ni musique ou tam-tam, dépêche-toi : c'est qu'ils sont en train de manger. " D'une autre façon, en arrivant un jour dans un village, on s'est décarcassé pour aller tuer le poulet, le plumer, le cuire et envoyer un gosse chercher deux bouteilles de bière (des grandes) pour moi tout seul !

Quelle différence avec cette personne qui, quelque temps après mon retour, s'étonnant que je rende visite à des voisins sans les avoir avertis, me disait : " moi je n'oserais jamais me présenter sans avoir demandé ou si je pouvais venir ou téléphoné pour avertir ". Et pourtant n'était-ce pas aussi une tradition chez nous - que certains gardent encore - de laisser une assiette vide pour le pauvre qui se présenterait ! Et ce texte de la Genèse nous fait bien comprendre que dans toute personne qui rend visite, c'est Dieu ou au moins quelque chose de Dieu qui vient. De même nous n'avons pas invité Dieu à naître en Jésus, c'est lui qui s'est invité chez nous. Alors c'est l'hôte qui prend la première place et qui requiert toute l'attention de ceux qui sont visités. On arrête tout autre travail. Nous voyons ainsi Abraham et Sara s'affairer pour aller chercher le veau (pour moi c'était seulement un poulet), le plus gras, le dépecer, le cuire, le préparer et Sara préparer de bonnes crêpes. Pendant ce temps-là on peut parler et surtout écouter celui ou ceux qui viennent.

Il nous est demandé de savoir prendre le temps de recevoir, d'accueillir, c'est-à-dire de laisser entrer chez nous, dans notre intimité, celui que Dieu envoie comme lui-même. Voyez-vous : Dieu ne s'impose pas, il se présente comme un pauvre qu'on accueille ou qu'on rejette. La première attitude demandée est donc que nous ayons porte ouverte pour la visite parfois inattendue de Dieu sous quelque forme que ce soit.

Cela nous permet sans doute de mieux comprendre la parole de Jésus sur laquelle parfois on se base faussement pour opposer actifs et contemplatifs, religieux et gens mariés. Jésus ne blâme pas Marthe parce qu'elle préparer à manger : c'est en effet la moindre des choses que de bien le recevoir, mais il reproche d'en être préoccupée au point de ne plus faire attention à celui qui vient. Car recevoir quelqu'un c'est aussi l'écouter, être attentif à lui, à ce qu'il dit, à ce qu'il est, et ce que Jésus nous demande c'est de donner une priorité absolue à sa visite, d'être présent à lui. Ainsi la priorité avec Abraham était le message pour lui et Sara : " tu auras un fils ".

Cet épisode me rappelle une autre parole de Jésus prononcée dans le discours sur la montage, quand il évoquait les oiseaux du ciel ou les lys des champs qui étaient magnifiques sans se soucier d'abord de semer et de moissonner, mais prenant ce qui vient. Il disait : " Cherchez d'abord le Royaume des cieux, et le reste vous sera donné par surcroît " Telle est la priorité absolue. Une seule chose est nécessaire et le reste viendra en plus.

Certes il faut bien recevoir matériellement l'hôte qui vient, mais il est plus important d'être présent à l'écouter, comme Abraham et Marie, que d'être absent pour préparer.

Quand quelqu'un vient chez nous, ce devrait être la fête et il faut que ça se fête en mangeant et en buvant, mais d'abord en étant à côté de lui, en l'écoutant et ensuite en le rendant heureux parce que, simplement, on est là. L'apéro est une très bonne chose, mais ce qui compte n'est pas la quantité bue ou la variété des apéritifs proposés, mais il aide surtout à converser et à se confier et à prendre au sérieux ce que l'autre dit et dans lequel nous reconnaîtrons souvent un message qui vient de Dieu.

17e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Coulée André
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Quelle est votre expérience de la prière ? Moi, en tout cas, j'ai beau avoir prié pour gagner le gros lot, je ne l'ai jamais obtenu, même pas un petit lot ! Et combien de vos enfants n'ont-ils pas demandé de réussir haut la main aux examens. Qu'ont-ils pensé s'ils ont été mofflés ? Alors, demandez et vous recevrez, est-ce de la poudre aux yeux ? Vous connaissez aussi bien que moi les plaintes de chrétiens qui disent ne pas être exaucés alors que d'autres qui ne prient pas obtiennent ce qu'ils souhaitent !

Essayons de mettre les choses au point.

La prière ne peut pas être expérimentée sans la foi ; celle-ci en est une condition. ; elle exige de croire d'abord que celui qu'on sollicite nous veut du bien, qu'il est bon et que donc il ne donnera pas quelque chose s'il sait que cela ne tournera pas à notre profit, même s'il y a un profit immédiat. C'est la confiance en la bonté de celui qu'on sollicite. Abraham ose parce qu'il sait que Dieu est bon et qu'il veut la vie bien au-delà de la punition. C'est pourquoi il insiste au point de lasser. C'est pourquoi toute prière de demande présuppose que l'on dise à Dieu : si tu le juges bon pour nous, sachant qu'on ne donnera pas un serpent au lieu d'un poisson et que si ce que je demande s'apparente plutôt au poison ou au serpent, il ne me le donnera pas parce qu'il m'aime. Essayez de renverser les termes de l'évangile, et il sera dit que si le fils demande un serpent pour jouer, le père ne le donnera pas et donc ne l'exaucera pas. D'ailleurs, vous qui êtes parents pour la plupart, vous ne donnez pas une boite d'allumettes à votre petit enfant qui la réclame à cor et à cris car c'est si gai de faire du feu. Si vous la lui donniez, vous ne mériteriez pas sa confiance, même s'il ne le comprend pas de suite.

Avoir aussi confiance que Dieu respecte notre liberté et qu'il nous fait confiance, nous sachant capable d'obtenir aussi certaines choses par nos propres forces, par exemple un examen. Il sait que si nous travaillons, nous réussirons Il sait que nous pouvons aussi être en bonne santé si nous ne nous amusons pas à l'abîmer, par exemple en nous droguant. Certes ce que je dis ne solutionne pas tout, car Dieu ne peut pas guérir une santé causée par les erreurs des hommes , par exemple à cause d'un environnement pollué, tant que nous, les hommes, ne changerons pas les causes de ces maladies. Mais il est important que nous comprenions bien que la prière de demande est d'abord un acte de confiance et de foi en Dieu (regardez la foi du centurion romain, celle de la femme païenne) qui ne peut pas nous donner ce qui en nous convient pas, comme le père ne donne pas une pierre à manger au lieu de pain.

Le modèle de la prière de demande reste celle de Jésus à l'agonie qui demande que le calice de souffrance s'éloigne de lui, mais conclut sa prière " mais si cette coupe, ne peut passer sans que je la boive, que ta volonté soit faite ". La prière est un acte de filiation à Dieu, et de souhait d'avoir la démarche que lui-même souhaite. Et Jésus retrouve ainsi la prière qu'il nous a donnée " que ta volonté soit faite " Celle-la est toujours exaucée ; seuls des hommes peuvent y faire obstacle.

Mais il y a aussi autre chose : " pardonne-nous comme nous pardonnons ; remets-nous nos dettes comme nous les remettons nous-mêmes " La prière suppose que nous agissons nous-mêmes dans le même sens, que nous pratiquons nous-mêmes ce que Jésus nous demande de faire si nous voulons aimer nos frères. Attendre tout de Dieu et ne pas chercher nous-mêmes à réaliser sa volonté alors qu'on la demande n'est pas digne de l'être libre que nous sommes par volonté de Dieu. Notre foi nous aide à connaître cette volonté de Dieu et ce serait trop facile de demander à Dieu de réaliser ce que nous ne sommes pas prêts à faire nous-mêmes. Une des meilleures prières ne serait-elle pas de demander à Dieu la force de faire nous-mêmes ce que nous venons de demander ?

La phrase finale du texte que nous venons d'entendre ne nous invite-t-elle pas à le croire, puisque St Luc - cela lui est spécial - dit : combien plus le Père qui est bon donnera l'Esprit Saint à ceux qui l'en prient. Car le don de Dieu le plus grand est son Esprit. Voilà toute sa générosité car que peut-il y avoir de plus puissant que l'Esprit Saint qui peut inspirer nos actes, éclairer nos pensées et animer note c½ur pour réaliser la volonté de Dieu. Oui, la prière nous invite toujours à nous mettre nous-mêmes en route : puisse l'Esprit nous y guider.

18e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Il semblerait bien que depuis qu'existent des conflits sur cette terre, les hommes n'aient jamais trouvé que deux moyens de les résoudre, soit la violence, soit l'arbitrage ou le recours à un arbitre, compétent, impartial et neutre. Nous en avons encore de nombreux exemples aujourd'hui.

Ici, deux frères voudraient prendre Jésus comme juge dans leur litige au sujet de leur héritage. Que s'est-il passé entre eux ? Nul ne le sait ! St. Luc est le seul évangéliste à rapporter cet épisode et il ne donne pas les circonstances de ce dialogue. Tout l'intérêt se porte sur la réponse de Jésus. La tradition a tenu à conserver cette réponse qui est un refus sous forme de question » Qui m'a établi chef et juge ? » (Littéralement : juge et partageur entre vous) La question posée à Jésus par ce juif laïc est révélatrice de l'autorité de Jésus vu comme maître et rabbi dont la culture est vaste. Si Jésus ne répond pas, ce n'est pas par manque de compétence ou d'esprit de service mais parce qu'il voit un danger à l'opinion que l'on peut se faire de sa mission..

Sa mission n'est pas de juger des questions temporelles. Il n'est pas juge entre des héritages humains et il a autre chose à faire qu'½uvre de notaire. Il est messager d'un seul héritage : l'amour du Père pour le salut des hommes. Ce refus contient une première leçon. Tous les pouvoirs ou les autorités ont toujours essayé de mettre Dieu de leur côté. Mais Dieu refuse de remplacer l'homme, de décider pour lui, de se substituer à sa liberté. Dieu, comme Jésus ici, juge toujours intolérable qu'on se serve de son autorité divine et morale pour appuyer des revendications profanes ou des intérêts particuliers. Dieu ne supplée pas à nos carences. Il soutient nos efforts. Il n'est pas une excuse ou une explication à nos erreurs.

Jésus nous dit qu'il n'est pas là pour exercer une autorité de juge, pour trancher nos différends, pour se laisser accaparer par nos convoitises. « Même si vous vous déclarez dans votre bon droit, vous allez vous servir de moi pour vous présenter comme juste afin de dénoncer l'autre, votre frère, comme injuste. » Jésus nous dit qu'il est venu pour que chaque homme sache se juger lui-même et qu'il découvre en soi ses injustices et sache y renoncer. » Je suis venu pour vous inviter les uns les autres à vous libérer de vos propres chaînes d'égoïsme et de possession. Pour moi, l'homme vaut davantage par ce qu'il est que par ce qu'il a. Je ne juge pas sur l'épaisseur du portefeuille mais sur la qualité d'âme et de c½ur, sur la grandeur de l'amour et de la foi. »

La deuxième leçon c'est la réponse de Jésus sous forme de parabole. Jésus va expliciter sa véritable mission. Le seul héritage dont il est le messager est l'amour du Père, la seule vraie richesse est de s'enrichir selon Dieu. Il explicitera cela par la petite parabole de l'homme qui agrandit ses greniers. Cet homme travaille. Il accumule des céréales en été, des olives et du vin en automne. Par-là Jésus montre qu'il sait que l'être humain doit se nourrir, se vêtir, se protéger, organiser son travail, le bien gérer et lui faire porter du fruit. Mais tout cela, dit Jésus, n'assure pas le bien suprême. Jésus ne condamne pas la matérialité des richesses mais la folie de la cupidité à propos des richesses. L'avidité ou l'âpre recherche des biens matériels pour eux-mêmes, la convoitise dans le danger de leur accumulation. Il ne faut pas s'asservir aux richesses et oublier de servir le Seigneur, thésauriser pour soi-même mais le faire en vue des richesses du Royaume. Il s'agit de s'enrichir aux yeux de Dieu en se laissant enrichir par Jésus des dons d'en haut parce que nous n'emporterons rien avec nous. Les linceuls n'ont pas de poche ! Jésus nous dit de ne pas confondre les richesses avec notre vraie destinée éternelle, les résidences secondaires avec notre seule et dernière résidence céleste, les paradis fiscaux avec le vrai Paradis. Placez, dit Jésus votre assurance, votre sécurité, votre espérance non pas dans vos bijoux, votre compte en banque ou vos avoirs mais placez-les aussi et définitivement en Dieu.

L'Evangile attaque le problème des biens de ce monde au niveau le plus profond. Que le souci du bien-être personnel dont nous serons un jour dépouillé, ne nous fasse pas perdre le sens de Dieu et de l'au-delà, ni celui des autres et de leurs besoins, ni le sens de nous-même. Engranger selon Dieu c'est mesurer dans la foi l'effort qui requiert notre gagne-pain et le faire ; mesurer notre liberté à juger et à décider de nos actions et le faire ; mesurer le temps qu'il nous faut consacrer à Dieu et le prendre.

Ce message nous propose une nouvelle manière de vivre. Nous le recevons dans un univers de crise. Dans les difficultés présentes, les désordres politiques et économiques, quand les dirigeants annoncent des restrictions et lancent des programmes d'austérité, nous nous rebiffons. Nous n'aimons pas ce qui touche négativement à notre niveau de vie parce que cela compromet un équilibre financier déjà si fragile et précaire et difficilement acquis.

Cependant, essayons d'entendre le message évangélique de ce jour. Il est d'une grande sagesse humaine et religieuse. Il ne nous donne pas une leçon de dés½uvrement ou de fatalisme qui nous ferait attendre tout de Dieu. Le Seigneur nous demande simplement de mesurer avec intelligence, dans la foi, l'énergie qu'exigent la bonne conduite de notre existence, la grandeur de notre liberté responsable et solidaire, enfin, l'attention constante à garder envers les valeurs d'éternité. Ce sont elles qui doivent nous aider à faire le tri entre le souci des biens terrestres, l'enjeu de la liberté et les préoccupations des richesses éternelles. Serons-nous esclave de l'argent ou ami de Dieu ? Idolâtre ou serviteur ? Si nous ne sommes riches que des biens matériels ou que de nous-même, pauvres de nous !

19e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Il y a un peu plus d'un an, à la sortie d'une célébration dominicale, une dame âgée de plus de quatre-vingts ans me posa la question suivante : " Frère, que pensez-vous de la fidélité ? ". J'ai d'abord sursauté me demandant si elle avait été rattrapée par le démon de minuit puis m'étonnant de sa question, je lui répondit également par une question : " pourquoi me demandez-vous cela Madame ? ".

Sa réponse fut cinglante : " voyez-vous, Père, depuis bientôt un peu plus de cinq ans mon mari est atteint de la maladie d'Alzheimer. Nous avons eu six enfants ensemble et il ne se rappelle plus de rien. Il vit toujours à la maison et je vous assure que ce n'est pas évident. Ce matin encore lorsque je suis descendue, il m'a regardé et m'a dit : " que faites-vous dans ma maison Madame, je vous prie de sortir ? ". C'est dur d'entendre de tels mots de la bouche de l'homme que j'ai aimé. Son corps est toujours là mais son esprit n'est plus présent. Je suis à bout de force. Alors Frère, je vous repose ma question : dans ma situation, qu'est-ce que cela veut encore dire d'être fidèle ? " Je suis resté, sur ce parvis d'église, sans voix, sans réponse. Et je lui ai demandé de me laisser quelque temps pour réfléchir. Quinze jours après cette conversation, elle est tombée chez elle et un mois plus tard, elle s'est endormie dans la mort sans que j'ai pu lui répondre. Et je ne suis pas sûr à ce jour que j'aurais pu lui proposer une réponse satisfaisante.

En effet, la fidélité est un concept qu'il n'est plus aisé de définir dans une société comme la nôtre où le temps a été griffé à l'instar d'un vieux disque vinyle, vous savez : l'ancêtre de nos CDs d'aujourd'hui. Un peu comme si le temps devait tourner sur lui-même, ne plus avancer car seul l'éphémère a encore droit de citer. La fidélité vit des heures difficiles là où il est important que le temps ne dure jamais trop longtemps tellement nous risquons de nous lasser de l'instant présent. Voici un exemple illustrant cette affirmation. Toutes et tous, lors de certains d'achats, nous faisons l'expérience de découvrir qu'avant même avoir payé le bien acquis, celui-ci est déjà techniquement dépassé. Nous volons alors de désirs en désirs, d'immédiateté en immédiateté sans plus laisser du temps au temps. Or la fidélité ne peut exister que dans l'espace temps. Sans ce dernier, elle s'estompe, elle se meurt. Dans cette partie du monde, celle où nous vivons, tout est fait pour que nous puissions nous anesthésier de la vie, c'est-à-dire ne plus prendre conscience du temps qui s'écoule grâce à tous ces faux-semblants qui prétendent nous conduire à des bonheurs plus grands mais toujours éphémères.

Vivre de la sorte, c'est d'une certaine manière se croire immortels. Nous allons de cycles de vie en cycles de vie. Or Dieu, par la venue de son Fils ne nous convie pas à l'immortalité mais plutôt à l'éternité. Le temps du Dieu de Jésus-Christ n'est pas cyclique mais linéaire. Pour chacune et chacun de nous, nous sommes entrés dans le temps de Dieu par notre conception. Nous vivons nos vies en les inscrivant dans le temps de l'histoire de l'humanité et la mort est pour nous l'entrée dans une vie éternelle. Ainsi la fidélité conduit bien à l'éternité, don divin par excellence. Dieu attend de nous que nous soyons des êtres fidèles à cette foi qui nous habite et nous anime.

D'ailleurs, foi et fidélité ne sont-ils pas synonymes dans leurs racines ? Comme si la foi ne pouvait exister sans fidélité. Une fidélité qui pourra être traversée de doute, de questionnements. Une fidélité qui ne se nourrit pas seulement de bons sentiments. Elle exige un bonne dose de courage, quelques pincées de ténacité, le tout assaisonné de confiance et de volonté. Et elle se réalise dans l'amour. La fidélité n'est pas une attitude statique, la fidélité est une aventure. Celle de la vie, celle de Dieu. C'est pourquoi, Jésus nous dit en ce jour : " restez en tenue de service, gardez vos lampes allumées, soyez en train de veiller, tenez vous prêts ". De cette fidélité à vivre, nous avons la promesse du don de l'éternité où Dieu nous servira chacun à notre tour. Alors, il nous laisse avec ces question : immédiateté ou fidélité ? immortalité ou éternité ? C'est en répondant correctement à cette question, que nous pourrons-nous dire les uns aux autres : heureux sommes-nous car nous sommes devenus des aventuriers de la vie, des aventuriers de Dieu.

Amen.

1er dimanche de Carême, année C

Auteur: Coulée André
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Pourquoi donc chaque année la liturgie nous remet-elle en mémoire, au début du Carême, ce récit dit de la tentation ou des tentations du Christ au début de sa vie active ? Certes j'aurais pu faire remarquer que Jésus, fils d'homme, est sensible comme nous aux divers attraits de la vie courante, que nous pouvons donc y reconnaître notre propre réalité où tous nous sommes aussi attirés par la satisfaction immédiate et égoïste, par l'accumulation de biens, des avoirs en quantité, et par le désir de nous ériger en maîtres de notre propre vie. Mais il m'apparaît évident que cet événement décrit par les évangiles - et dont personne en fait n'a été témoin - (récit symbolique) va plus en profondeur : il nous invite à opérer, comme l'a fait le Christ, un choix, une orientation de vie et ainsi de réaffirmer notre foi : bref de choisir et re-choisir Dieu.

Ce n'est pas pour rien que l'Esprit conduit Jésus au moment de ces tentations, ou plutôt de ces épreuves de sa foi. Elles sont en fait une provocation au doute. Ce doute est salutaire parce qu'il oblige à répondre et à prendre position, et à le faire librement et personnellement. L'Esprit et la Parole de Dieu éclairent Jésus et le soutiennent dans cette confrontation. Qui d'entre nous pourrait affirmer qu'il n'a jamais douté, qu'il ne doute jamais. Le Christ lui-même a exprimé ce doute : pourquoi m'as-tu abandonné ?

Si on ne doute pas, on ne peut pas croire, on constate. Heureusement nous avons aussi, des moments de doute. Ces moments de doute interviennent quand nous ne sommes pas bien, quand nous nous sentons très seuls, comme Jésus dans ce désert de Judée. Combien de fois ne nous sentons-nous pas abandonnés par certains amis ou amies, ou pas écoutés de Dieu, notamment dans la solitude face à sa souffrance, à l'incompréhension et que apparemment personne n'est là pour soulager ou répondre ; même Dieu est absent. De même quand on se sent super-mal : qui est là pour répondre, pour accompagner : je n'ai plus que moi-même sur qui m'appuyer et je me sens désorienté. Je suis alors vraiment éprouvé, mis à l'épreuve.

Alors vient la question : pourquoi Dieu ? Où est-il ? Y a-t-il un Dieu ? Quand je me retrouve tout seul, face à moi-même, vient l'épreuve de la confiance : Dieu est-il là ? Pourquoi n'intervient-il pas directement pour donner un sens à ma vie, ou par des amis qui m'apporteraient une lueur d'espoir ? Beaucoup d'autre événements dans le monde : violences, crimes, guerres, abandons dans la rue, peuples affamés ou assoiffés : autant de situations qui mettent à l'épreuve notre confiance en un Dieu bon et miséricordieux, père de tous.

Et quand on voit comme le disait l'une d'entre nous qu'il y a beaucoup de religions, et qu'elles se bagarrent entre elles pour être championne de la vérité, cela n'arrange pas les choses : qui a raison ? Où est la vérité ? Sur quoi s'appuyer. Car nous avons besoin de nous appuyer sur autre que nous-mêmes, mais sur quoi, sur qui ? C'est bien ce que nous expérimentons, ce que notre c½ur appelle.

Aussi j'interprète cet évangile comme celui qui nous invite, en ce début de Carême, à prendre une option ferme, à faire un choix clair de notre Dieu, père compatissant et sauveur, et qui donne sens à ma vie.

C'est un acte de confiance qui nous est proposé. C'est à une réaffirmation de notre foi chrétienne que nous sommes appelés en ce début de Carême. Où je vais, vers quoi je me tourne ou vers qui, invitation à réaffirmer notre choix fondamental et à l'approfondir chaque jour notamment de ce Carême. Le Christ n'a pas fait autrement.

A chaque tentation ici exprimée, il répond par une déclaration de l'Ecriture, parole, expression de Dieu. Il se fie à cette parole ; elle le soutient et il prend position. Par ce choix libre, il prend sa vie en mains ; il oriente son avenir. Nous aussi invités à une option claire de laquelle dépendront nos gestes et actes futurs Finalement ce récit des épreuves auxquelles l'Esprit - comme dit St Luc - conduit le Christ, est une invite à la liberté d'orienter sa vie, de ne pas être indifférent ni aux choses, ni aux personnes, ni à Dieu ; à ne pas se laisser accabler ni aveugler, mais à conduire sa vie.

En vue de cela, l'Ecriture et l'Esprit nous inspirent ; l'épreuve devient alors l'occasion de redire librement notre confiance choisie en Dieu par Jésus-Christ, d'ériger notre foi en guide de nos actes et prises de position. J'ajouterai que ce récit dévoile aussi la dignité de l'homme, notre dignité à nous tous : Dieu ne doute pas de nous, il sait que nous sommes capables, en fidélité à l'Ecriture qu'il nous faut connaître davantage et sous l'inspiration de l'Esprit, de dire nous-mêmes qui nous sommes en réaffirmant notre confiance en Dieu par un choix libre et continuellement répété. Si jamais Dieu avait douté de l'homme, ce doute lui est enlevé à partir du moment où nous nous décidons à faire librement ce choix de vie avec lui. La première lecture renforce cette invitation. Elle nous rappelle l'acte de foi de base du peuple hébreu. Récit de l'expérience fondatrice de l'Exode où les Hébreux avaient aussi douté de Dieu, voulant même retrouver les oignons d'Egypte ; d'où leurs épreuves et tentations. Mais c'est dans ce désert qu'ils ont chaque fois rencontré Dieu et renouvelé leur confiance en lui. En cette profession de foi ils reconnaissent Dieu comme leur Sauveur et libérateur. A notre tour de rentrer en nous-mêmes, de faire parfois le vide en nous pour y retrouver dans l'Esprit la parole de Dieu qui sauve, nous rend confiance et permet un futur librement choisi.

1er dimanche de l'Avent, année C

Auteur: Rudinskas Paulius
Temps liturgique: Avent
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Nous sommes le premier dimanche de l'avent - le début de l'avent. Pendant des années, l'avent était insignifiant pour moi. J'ai entendu un bon nombre d'homélies sur la naissance de Jésus, sur une invitation à être vigilant et attentif pendant ces quelques semaines qui précèdent Noël, aussi sur la pénitence, la préparation spirituelle, mais toutes ces homélies n'étaient pas efficaces.

Mais alors, où etait le problème ? Je crois que le problème se trouve dans le fait que je n'ai jamais intériorisé ou personnalisé l'Avent. Ce que je veux dire par le mot « personnaliser », ce n'est pas nécessairement accepter les idées d'autre personne ou, dans notre cas, accepter la définition qui est donné par le catéchisme. Non. Pour moi, personnaliser l'avent c'est trouver mes propres réponses aux questions directement ou indirectement liées à la naissance de Jésus et à ma vie. Personnaliser l'avent c'est trouver dans le phénomène de Jésus quelque chose qui est signifiant spécifiquement pour moi.

Je pourrais prêcher pendant des heures sur l'histoire et la tradition de l'avent, la signification de Noël, qu'est ce que ça va changer dans notre vie ? Mon homélie ne répondra jamais à la question - pourquoi la commémoration de la naissance de Jésus est importante pour vous personnellement ? Qu'est ce que la naissance de Jésus vous apporte personnellement ? Autrement dit, comment est-elle une bonne nouvelle pour vous ? Aucune homélie ne peut répondre à votre place- c'est trop personnel. La doctrine est une chose, la connaissance et l'expérience intérieure est autre chose.

Parfois, ce qui constitue ma foi est différent de ce qui constitue la foi de mon voisin. Parfois, quelque chose qui est signifiant pour vous n'a pas le même sens pour moi, même au niveau religieux. Cela ne veut pas dire qu'un de nous est hérétique, mais que les valeurs qui nous guident même au niveau religieux - au niveau de la foi dépendent de ce que nous sommes et de la manière dont nous percevons la personnalité de Jésus. C'est pour cette raison que prêcher ne pourra jamais exprimer objectivement la signification de l'avent ou du Noël. C'est vous qui donnez le sens à l'avent et à Noël, en analysant votre foi et votre relation avec Jésus, et pas moi.

La vraie question pour chacun - suis-je chrétien à cause de ma culture, ou parce que dans la naissance de Jésus, dans sa vie et dans son enseignement je trouve quelque chose qui est essentiel pour moi et sans quoi je ne pourrais pas vivre ?

C'est seulement après avoir répondu à cette question que je peux dire si la seconde venue du Christ, qu'on attend dans l'Eglise, a de l'importance pour moi. Il ne faut pas oublier que l'Eglise, en célébrant l'Avent, exprime l'attente du Messie et aussi le « désir ardent de sa deuxième venue. » Mais si je ne sais pas pourquoi la naissance de Jésus est importante pour moi, son deuxième avènement n'a pas de sens.

Quelques prêtres peuvent vous dire que l'Avent est aussi le temps pour faire les actes de charité. Oui, je suis tout à fait d'accord avec cela, mais ce n'est pas le but premier de l'avent, car les actes de charité n'expliqueront jamais pourquoi le Christ est important dans ma vie. C'est à vous et à moi le dire.

Ce temps d'Avent nous est donné pour réfléchir et Saint Paul nous invite à le faire dans la prière. Alors, je vous souhaite le désir de le faire.

22e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Certains historiens prétendent qu'au moins deux ordres religieux ont été créés pour combattre certaines hérésies. En fait, il s'agit d'un ordre et d'une société. Ou pour être encore plus précis, ces spécialistes parlent de l'Ordre des Prêcheurs et de la Société de Jésus. D'après ces intellectuels, les frères dominicains auraient été fondés pour combattre l'hérésie cathare sévissant au sud de la France au début du XIIe siècle tandis que les jésuites auraient été fondés pour combattre l'hérésie protestante au XVIe siècle. Si l'hypothèse de la fondation est correcte, la question qui peut nous venir à l'esprit est la suivante : quel est le plus grand ordre ? Quel est celui qui a réussi sa mission confiée par notre sainte mère l'Eglise ? En tant que dominicain, il me revient de vous poser cette question : honnêtement, dans votre vie, avez-vous déjà rencontré beaucoup de cathares ? Cette hérésie a-t-elle encore cours aujourd'hui ou bien les frères prêcheurs ont-ils réussi leur mission ?

Pour ce qui est de l'autre hérésie, celle du XVIe siècle, connaissez-vous des protestants ? Fort de ce constat face à cette réalité criante, nous devons reconnaître que nous, les dominicains, sommes et resterons pour de longs siècles encore les meilleurs. Même si ½cuméniquement cette blague est de mauvais goût et inacceptable d'un point de vue théologique, elle explique les raisons pour lesquelles nous sommes si fiers de notre appartenance. Certains se diront : mais quelle prétention ! Quel manque d'humilité. En bref, quelle absence totale de savoir-vivre. Erreur, je crois.

L'humilité n'est pas un savoir-vivre, cette qualité est plutôt un art de vivre. Arrêtons-nous alors quelques instants sur cette notion puisque les textes de ce jour nous y invitent. D'un point de vue littéraire, selon le dictionnaire, l'humilité signifie l'état d'infériorité. Par contre d'un point de vue religieux, il s'agit plutôt d'une vertu. La racine de ce mot viendrait " humus " qui évoque la terre de laquelle nous sommes issus. Comme s'il y avait quelque chose de très " terre à terre " lorsque nous abordons la vertu d'humilité. Il ne s'agit donc pas de grands discours philosophiques, d'idéologies bien construites, l'humilité est un art de vivre qui s'inscrit dans un chemin de vérité par rapport à soi. En d'autres termes, l'humilité convie à la lucidité d'abord sur soi puis sur les autres.

Nous sommes invités à être lucides sur le tout que nous formons c'est-à-dire avec nos fragilités et nos forces, nos zones de lumière et d'ombre sans jamais oublier que l'ombre ne peut pas exister sans lumière alors que l'inverse n'est pas vrai. La lumière se passe volontiers de l'ombre. Nos grandeurs et nos faiblesses nous construisent et nous façonnent. Elles disent le tout que je suis. Un tout que la vie m'apprend à apprivoiser au fil des années. Petit à petit, j'accepte cette inconnaissance, cette partie immaîtrisable de mon être. Je vis avec celle-ci et je m'en réjouis. Il fait de moi la personne que je suis. Cette clairvoyance me permet alors de m'apprécier, de me connaître dans les limites de ma propre réalité. Ayant fait ce chemin d'intériorité, mon regard porté sur les autres se modifie. Je ne les juge plus et j'apprends à les comprendre et les apprécier dans le tout de leur personnalité, vivant cette fois avec l'intime conviction que par delà leur propre ombre, il y a également une lumière à recevoir.

Tout être humain de par le simple fait de son humanité a toujours quelque chose à offrir à l'autre. L'humilité nous permet ainsi de porter un regard bienveillant à son égard. En fait, elle nous dégage de nous-mêmes pour mieux partir à la rencontre de l'autre. Elle nous fait prendre conscience de certains de nos manques que nous cherchons à assouvir dans la relation avec autrui, toujours différent de moi. Mieux encore, ayant conscience de mes limites et de mes richesses, je suis constamment invité à ne pas m'imposer, à ne pas entrer dans une spirale d'écrasement de l'autre car la relation véritable existe lorsque je suis là pour aider l'autre à s'élever vers lui-même, vers elle-même. L'humilité est donc bien un art de vivre, voire une passion de vie. Alors si nous souhaitons devenir des artistes de la vie, il nous suffit de traverser cette dernière en étant humbles. Tel est le chemin proposé par l'évangile. Dans la foi, vivons de cet art qui donne à l'autre tout l'espace pour exister. Amen.

24e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Collin Dominique
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Quand des amis veulent se retrouver ensemble pour fêter un événement ou tout simplement pour échanger, un repas partagé est souvent la manière la plus conviviale de le faire. Partager un repas ensemble est le signe d'un partage plus profond encore : celui des c½urs et des esprits. Surtout si on reçoit dans sa propre maison : la joie de recevoir est comme redoublée par la préparation du repas : le c½ur se prépare en même temps qu'il dispose toutes choses afin de recevoir l'hôte le mieux possible. Depuis toujours, le repas partagé est comme la marque la plus significative de l'humanité : les êtres humains partagent entre eux des repas, non pas pour combler d'abord un besoin naturel élémentaire - celui de manger pour vivre -, mais pour célébrer la fraternité, l'amour et l'amitié. Bien sûr, aujourd'hui, on peut manger seul dans un restaurant et même à la va vite dans des fast-food, mais il n'en était pas ainsi avant : partager un repas avec ses hôtes prenait du temps, le temps de recevoir l'autre. Belle expression de la langue française : " recevoir ses invités ". Laisser entrer quelqu'un chez soi, l'accueillir dans sa maison, c'est refuser de voir en lui un ennemi, mais au moins potentiellement un ami, un frère, un homme digne de confiance, digne d'être reçu. Laisser entrer quelqu'un dans ma maison et l'asseoir à ma propre table, c'est l'accueillir dans mon c½ur, lui faire une place parmi les êtres qui me sont chers.

Quand Dieu veut nous dire dans la Bible qu'il nous considère avec tendresse, comme ses propres amis, il utilise la même image du repas, car elle est compréhensible à tout être humain. Dans l'ancien comme dans le nouveau testament, dire que Dieu nous aime est parfaitement synonyme de " Dieu nous invite dans sa demeure, à sa propre table ". Ainsi le prophète Isaïe peut s'écrier : " Le Seigneur Dieu prépare pour tous les peuples, sur cette montagne, un festin de viandes grasses, un festin de bons vins, de viandes moelleuses, de vins dépouillés ". Ou encore dans l'Apocalypse, un des plus beaux appels de Dieu à l'homme : " Voici, je me tiens à la porte et je frappe ; si quelqu'un entend ma voix et ouvre la porte, j'entrerai chez lui pour souper, moi près de lui et lui près de moi ".

Mais le plus beau est paradoxalement dit par les pharisiens et les scribes dans l'évangile que nous venons d'entendre : " Cet homme - Jésus - fait bon accueil aux pécheurs et il mange avec eux ! " Pour un pharisien, cette attitude d'accueil est inadmissible : Jésus s'assied à la même table que les pécheurs et mange avec eux. Les pécheurs, ce ne sont pas les " petits " pécheurs que nous sommes la plupart du temps, mais les catégories sociales exclues par les notables juifs, les prêtres et les pharisiens : les pécheurs publics, les publicains, c'est-à-dire les collecteurs d'impôts et toute la masse des infirmes dont on pensait que leur maladie s'expliquait par leurs péchés. Jésus, lui, refuse d'entrer dans cette ségrégation sociale et religieuse au nom de Dieu.

Car, comme Dieu son Père, il ne fait aucune acception de personnes : chacun est invité à sa table pour partager le repas de la communion et de l'amitié. Aucun laissez-passer n'est exigé, le smoking n'est pas obligatoire : il suffit seulement d'entendre l'invitation et d'y répondre. Encore une fois, nous nous mettons facilement du côté des pharisiens : nous aimerions tant que Dieu choisisse mieux ses amis et ses invités ! Il pourrait quand même faire un peu le tri et n'accepter que des gens biens comme moi, comme nous. Mais Dieu sait bien qu'à ce compte-la, même moi je ne serais peut-être pas retenu dans la bonne liste. Où commencent dans notre monde d'aujourd'hui le refus d'aimer en vérité, le refus de pardonner, où commencent la violence et le ressentiment, la jalousie et la colère, si ce n'est - bien souvent - dans mon propre c½ur ? Mais cela n'a pas d'importance au regard de l'invitation que Dieu adresse à chacun de nous : elle n'exige rien, sinon une réponse libre et la joie de se savoir aimé sans condition. Aujourd'hui, la joie de Dieu cherche à être contagieuse : ne l'enfermons pas dans nos catégories de morale ou de justice qui reflètent trop souvent nos envies égoïstes de pouvoir et de gloire. Accueillons dans un c½ur et un esprit renouvelés la folie de l'amour de Dieu.

Réjouissons-nous avec Dieu puisqu'il part sans cesse à notre recherche et trouve davantage sa joie avec les pécheurs qu'avec les bien portants et les bien pensants.

25e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Cette parabole dite de l'Intendant malhonnête ou mieux du gérant habile et avisé surprend toujours. Certains chercheurs, déconcertés par l'éloge de cet étrange comportement évangélique : un maître trompé qui fait le panégyrique de son fripon d'intendant, ont fait remarquer que les intendants de l'époque étaient mal payés et qu'ils se constituaient donc leur salaire sur le dos des débiteurs de leur maître. Ils majoraient ces dettes à leur propre profit et en gardaient l'excédent. Autrement dit l'homme de la parabole serait, lui, tout simplement honnête puisqu'il aurait ramené les dettes à ce qu'elles étaient en réalité !

Laissons ces considérations car l'histoire fait aussi écho si l'intendant est vraiment malhonnête et, comme le dira Jésus, tout autant avisé et débrouillard. Jésus, comme souvent, est parti d'un fait divers connu. Il raconte l'histoire d'un homme aux abois et qui sait que demain il va tout perdre. Il ne lui reste que quelques heures pour éviter la catastrophe. Il aurait pu, une dernière fois, essayer de pressurer les débiteurs de son maître mais il préfère tenter le "tout pour le tout". Il place son joker dans un autre choix avec l'espoir de lendemains plus cléments. Et, ce que Jésus admire ici c'est le risque que cet homme a pris et la lucidité dont il a fait preuve pour assurer son avenir. Un risque dont Jésus et St. Luc aimeraient que les chrétiens sachent le prendre quand l'enjeu n'est pas moins que le ciel, l'issue ultime de la vie et l'accueil dans les demeures éternelles.

Avant son aspect moral, la question est ici religieuse. Il s'agit de l'homme face à Dieu. Soyez de vrais enfants de lumière dit Jésus. Prenez-en de la graine, enseigne St. Luc. Tout au long de votre vie vous êtes dans la même situation que cet intendant. La crise qui vous menace est même incomparablement plus redoutable. Le danger est là ! Il faut vous tenir prêt ! Prêt à quoi ? Etes-vous prêt à me choisir, à marcher à ma suite, voilà pour les auditeurs. Etes-vous prêt à jouer votre destinée sur votre foi au Christ, voilà pour les croyants de tous les temps. Si cet intendant, peut-être malhonnête, est surtout avisé et loué comme tel, c'est parce qu'il a compris l'aspect critique de l'homme face à son destin. C'est parce qu'il a agi avec intelligence et audace pour se faire une vie nouvelle. Pour nous la vie nouvelle, c'est opter pour Dieu et dans la foi pour Jésus. La parabole est un appel à agir avec détermination dans une situation pleine de menaces. Il ne faut pas laisser courir les choses en face de l'exigence qu'est l'enjeu d'une vie. Il n'est pas de faux-fuyant. Il s'agit de tout risquer quand il s'agit de son salut éternel. Que les fils de lumière se comportent avec la même lucidité et la même habileté dans l'arrangement de leurs affaires spirituelles et vis-à-vis des valeurs du Royaume que cet intendant rusé dans ses affaires terrestres !

Ah ! Nous dit la Parabole, si nous pouvions montrer autant d'audace, d'intelligence et de sagacité pour chercher le salut de Dieu que les possédants pour augmenter leur chiffre d'affaires !

Ah ! Si nous étions aussi malins pour attirer des frères à l'Evangile que l'Intendant astucieux pour s'assurer les bonnes grâces de ses débiteurs complices. Nous pouvons découvrir dans cet homme riche Dieu lui-même qui nous laisse la régence du monde et dans l'intendant, toute l'humanité, les fils de ce siècle, mais aussi, Jésus lui-même qui nous remet nos dettes. Dans les débiteurs, nous reconnaissons l'humanité pécheresse. Ainsi dans cette parabole, Dieu nous dit : devant l'enjeu d'une vie si courte, l'imminence toujours possible de la mort, sortez de votre état habituel de distraction, restez attentif aux choses de Dieu, prêt à vous convertir, prêt à changer de vie ! C'est la première leçon de cette parabole.

Mais, dans cette parabole, il y a une seconde leçon. En appliquant la parabole à la communauté chrétienne primitive, St. Luc déplace apparemment l'accent de son aspect théologique de l'homme face à Dieu, à son application morale de l'homme face à l'argent. Pour Luc, le rapport de l'homme à l'argent va devenir un test révélateur de l'accueil du Royaume. Et cela tout au long de l'évangile.

Pas question pour Luc d'innocenter l'argent et le gérant, tous les deux sont trompeurs. Même l'usage honnête de l'argent est risqué car à s'enfoncer dans les biens matériels on peut s'éloigner de l'écoute de la parole de Dieu. De même que ce régisseur avisé a su se faire des amis dans le monde, sachez vous faire des amis dans l'autre monde, non en trafiquant l'argent malhonnête, mais en vous en dépouillant au profit des pauvres.

L'unique moyen d'utiliser cette richesse-là, c'est de vous en défaire, c'est-à-dire de l'utiliser au bien de tous. L'unique moyen de vous sanctifier de son contact impur, c'est de le partager, de l'envoyer, ce faisant, vous attendre au Paradis, dans les tentes éternelles. Ainsi, notre jugement prudent à l'égard de l'argent, c'est-à-dire notre bonté à l'égard des autres nous garantira la clémence de Dieu et sa louange au ciel. Ce qui est en cause, ce n'est pas seulement le rapport des hommes à l'argent, mais le rapport des gens entre eux en raison de l'argent.

Luc semble dire que nous vivons dans un monde où l'argent est trompeur et sert, trop souvent, à tromper. Par son mauvais emploi, les uns sont criblés de dettes ou grevés d'hypothèques, tandis que d'autres accumulent les richesses et les dilapident. Dans ce monde, trop souvent, l'argent et la férocité vont de paire : débiteurs contre créditeurs, créanciers contre banqueroutiers. Ainsi se tissent des relations d'inimitié dans un monde de requins. Jésus nous dit : soyez aussi habiles dans ce monde que ceux qui visent à tromper avec l'argent en cherchant le maximum de profit, habiles pour faire de l'argent une source d'amour. Soyez aussi rusés que les fils de ce monde, ceux-là sont astucieux pour se tirer d'affaire quand les choses tournent mal. Vous, trompez l'argent trompeur, c'est-à-dire : Exercez votre habilité à construire avec l'argent un monde qui favorise la responsabilité, l'échange et la solidarité, qui évite l'endettement, développe la paix et l'harmonie, édifie la solidarité. Construisez avec l'argent trompeur, le trésor de l'affection et de la gratitude mutuelle. Ce trésor restera votre bénéfice pour toujours, votre meilleure garantie auprès de Dieu.

Bien sûr l'argent règne en maître. Il a ses royaumes et ses coffres-forts, de la Suisse aux Bahamas. Il a ses autels et ses victimes, de Harlem à Calcutta, du Soudan aux Philippines. Il a ses prêtres ou ses bourreaux qui achètent et vendent : armes, drogues, travailleurs, sportifs et même des enfants. Il a ses méthodes, de la fraude à la magouille et au meurtre. Mais à l'encontre de cette logique d'enfer, à nous de la renverser et de nous dire : l'argent que je gagne est une reconnaissance de mon travail et de mes services. L'argent que je dépense doit être un exercice de ma liberté éclairée et de ma responsabilité solidaire. L'argent que je reçois est une confiance que l'on me fait. L'argent que je partage est une relation que je crée. Savoir choisir entre Dieu et l'argent, c'est mettre l'argent au service de l'homme. Et si d'aventure, semble dire St. Luc, vous n'avez pas d'argent à partager parce qu'il vous est chichement compté, il vous reste une grande chose à partager, c'est votre pardon. Vous remettre mutuellement vos offenses rétablit la concorde, et par là, crée des liens. L'important, ce n'est pas la question de l'argent en soi. L'important, c'est la relation que l'argent peut créer ou briser. Le pardon peut, lui, toujours recréer.

26e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

Pour découvrir le sens d'une parabole, il est nécessaire d'en connaître les auditeurs. A qui s'adresse Jésus, lorsque par elle plutôt que par discours, le Maître veut révéler les richesses du Royaume ?

Plus haut dans le texte de St. Luc, au chapitre 16, on lit : « Or, ils écoutaient tout cela, les pharisiens qui aimaient l'argent. ». Du moins un certain nombre d'entre eux car la plupart était pauvres et généreux. Pourquoi d'ailleurs la richesse serait-elle incompatible avec la piété ? C'était sûrement ce que devaient penser certains d'entre-eux. Cette parabole est la contrepartie de celle du gérant avisé qui, lui, se sert de l'argent pour se faire des amis au ciel. Mais allons à l'essentiel. Tout le chap. 16 constitue une mise en garde, claire et forte, au sujet de l'argent et de la possession. Attention à la mentalité de possédant, qu'il s'agisse d'argent ou de vertus religieuses. Jésus s'attaque ici non à la richesse mais à l'orgueil des pharisiens quant à leur vie spirituelle, à la suffisance religieuse. Par ailleurs, il faut savoir discerner le lien entre la Loi et l'Evangile de Jésus. Dans son enseignement, la loi demeure, il n'y a pas péremption de la Thora. Ici, en effet, Abraham renvoie le riche à l'écoute de la Parole. Or, dans la loi juive, comme chez les prophètes, la solidarité entre les hommes était exigée.

Dans la parabole, nous voyons deux tableaux contrastés, antithétiques : le riche et Lazare sur la terre, puis ceux-ci au séjour des morts. Là se tiennent aussi deux dialogues : le riche demande à Abraham d'envoyer Lazare lui donner un peu d'eau, puis le riche demande à Abraham d'envoyer Lazare avertir ses frères.

Dans le premier tableau, le riche est caractérisé par deux notes auxquelles Luc, en bon Grec, est sensible : l'habit et la table. L'habit est constitué de ce lin de qualité, ou byssus, que porte les riches. Ce riche est présentement dans le lin du linceul de sa sépulture. Mais l'habit est aussi cette tunique de pourpre, inventée par les Phéniciens, teintée à partir de petits coquillages pilés et que seuls les hauts personnages pouvaient s'offrir. Mais rappelle la Bible, c'est aussi dans la pourpre et le byssus qu'on drapait les statues des faux dieux. Ce riche est donc une idole comme le Mammon d'iniquité. Remarquons d'ailleurs qu'il n'a pas de prénom. C'est donc chacun d'entre nous. Et comme le nom en Israël donnait une mission, signifiait un destin, ce riche sans nom veut peut-être nous dire qu'en tant que riche on n'a pas de rôle ou de mission particuliers, que la richesse ne donne par elle-même aucun statut spécial, aucun avantage, aucune priorité. D'autre part, Lazare, lui, est nommé. Il est l'unique personnage de toutes les paraboles à porter un nom. El Azar est celui qui aide ou « Dieu a secouru », ce Lazare qui ne peut manger que des miettes, comme la petite chienne syro-phénicienne ! Notons qu'il n'y a pas de jugement moral sur ces deux personnages. Comment le riche est-il devenu riche ? Pourquoi Lazare est-il pauvre ? Non ! rien à ce sujet. Mais le riche voyait chaque jour le pauvre à sa porte et il ne faisait rien. A ce stade du commentaire on peut déjà faire une application du texte à nous-même. Il se peut que nous n'ayons rien fait de mal, mais a-t-on fait le bien ? Et cette omission, dit la parabole, fait déjà scandale. Or, en cette conjecture, arrive celle qui arrive toujours un jour : la mort. Il n'y a pas ici de description d'outre-tombe. Jésus emploie les éléments habituels de la littérature apocalyptique de son temps afin de nous alerter sur les conséquences de nos comportements. Et c'est le second tableau. Le riche est dans l'Hadès, le nom grec du royaume de la mort, un lieu de nulle part ou une fournaise purificatrice. Il est dans le feu, autrement dit : victime de ses désirs qui ne peuvent plus être assouvis. Lazare, lui, est au banquet, image par excellence de la fête conviviale, de la joie d'être unis et symbole du Royaume. Lazare est au banquet, la tête près de la poitrine du patriarche qui lui se tient à sa gauche. Dans ce second tableau, il n'y a pas de procès, pas de jugement. C'est que la mort fige les protagonistes. Chacun se forge lui-même son destin éternel par la qualité de sa vie terrestre. Il n'y a plus de retour en arrière possible, comme il n'y a plus de communication directe possible entre l'au-delà et ce qui continue à se vivre ici-bas. Dans la mort, un abîme sépare terre et ciel. Pas possible non plus d'apporter ne fusse qu'un peu d'eau d'un élu à un damné. Entre sauvé et rejeté, il n'y a plus d'échange possible. Rupture entre élu et damné, faille infranchissable entre ciel et terre, cela signifie bien que l'au-delà préserve le sérieux de notre choix libre et responsable sur cette terre. Ceci est expliqué par la suite de la parabole qui parle du sens de la rétribution finale. Comment ? Par la demande formulée par le riche anonyme à l'endroit de ses 5 frères. La requête rend compte du retournement de la situation. Le riche n'a pas accompli la Loi de Moïse qui insistait beaucoup sur les devoirs sociaux.

En Israël, tous les 3 ans, une dîme était prélevée pour les déshérités. Tous les 7 ans, les paysans devaient laisser une partie de leur récolte pour les pauvres. Tous les 7 ans, il y avait aussi une remise générale des dettes et même une libération des esclaves hébreux. (Deuté. 15) De son côté le prophète Amos, chap. 5 et 6, prévoit même la destruction de la capitale du nord, Samarie, en raison des injustices sociales qui y règnent. Donc, la Loi et les rappels des prophètes sont clairs : si quelqu'un est insensible à la misère de son frère, il est inexcusable, il en sera maudit.

Quelle est la doctrine d'un tel enseignement appliqué à nous-mêmes ? D'abord toute manifestation, fut-elle surnaturelle, resterait toujours impuissante à persuader quelqu'un qui ne veut pas écouter la Parole de Dieu pendant sa vie terrestre. Ensuite, le texte nous dit que le riche, tout riche, n'est jamais un propriétaire exclusif et définitif de son bien, que ce soit l'intelligence, la vertu, la santé, les biens matériels. Il n'en est que le gérant disait déjà St. Luc dans la parabole de l'intendant avisé. Il insiste encore ici.

Le rejet du pauvre, c'est le rejet du Royaume. Pour Luc, seuls les pauvres obtiennent aux riches leur entrée dans la Béatitude. La seule richesse durable est celle de la vie divine. (Lazare dans le sein d'Abraham). Et le fait que ce riche formule une prière d'intercession pour ses 5 frères montre que ce riche, tout riche qu'il soit, reste cependant en manque. Purifié par le feu, par la flamme de l'amour divin, en cet au-delà, il se pourrait bien que l'on garde encore et toujours un c½ur ouvert. Et cela peut encore nous sauver à l'encontre de l'ici-bas où ne règne que notre c½ur de pierre.

Et ces 5 frères, qui sont-ils ? Sont-ce les 5 facultés : vue, ouïe, odorat, toucher, goûter qu'il faut toutes sauver en les vivant pour Dieu dans un service de foi de nos frères ? Ou les 5 frères représentent-ils les seuls juifs avec leurs 5 livres de la Loi, frères à ramener au Christ, à alerter quant au Royaume ? Ou ces 5 frères anonymes seraient-ils le symbole de toute l'humanité, cinq, le chiffre de la complétude et de l'aboutissement, le chiffre de la création et du monde face à son Dieu... Cette humanité à éveiller à l'évangile, à conduire à vivre à la suite du Christ ?

Cependant plusieurs indices nous invitent encore à approfondir la parabole dans une autre direction. Outre son sens moral, un enseignement sur la richesse ; son sens spirituel, une mise en garde contre notre égoïsme, notre auto- suffisance et le peu de ferveur de notre foi, cette histoire du riche et de Lazare pourrait bien avoir une signification religieuse de type sociologique. D'une part, si les pharisiens auditeurs de cette parabole signifient toutes les vertus avec leur richesse religieuse, le grand- prêtre, chef religieux de Jérusalem et du peuple était habillé de pourpre et de byssus, et si, d'autre-part Lazare peut être aussi la figure de tous les pécheurs de cette terre, n'y aurait-il pas une analogie à faire avec ce qui se vit parfois dans notre Eglise contemporaine ? D'une part, l'existence d'une religion établie, possédante, riche de ses valeurs institutionnelles, codifiée dans ses dogmes, ses rites, son droit canon, forte de son magistère et de ses structures et, d'autre part, la présence dans cette église de pécheurs ulcérés de se voir impitoyablement jugés et repoussés par cette institution de purs, de justes, de parfaits (homosexuels, avortées, prêtres défroqués...). N'y a t-il pas en effet, un abîme parfois entre un certain christianisme légaliste et puritain, hautain et juridique et la fraîcheur candide, l'ouverture libératrice de l'Evangile. Si le pécheur n'est pas compris dans l'Eglise, s'il n'y est ni accueilli, ni considéré, c'est qu'il ne s'agit plus de l'Eglise de Jésus-Christ.

En conclusion, un dernier commentaire s'offre à nous. Jésus est la parole de vie, la vie salvifique et la vie plénière qui est venu apporter la miséricorde du père aux pécheurs. Et Jésus fut honni, dépouillé, couvert de plaies. Il est devenu en somme comme Lazare. Lazare, c'est l'image du Christ ! Mort, il fut accueilli, non pas seulement dans le sein d'Abraham mais dans le sein du Père Eternel, là où il siégeait depuis toujours. Et il est ressuscité, comme le riche en appelle à une intervention spectaculaire et exceptionnelle, et cette résurrection n'a convaincu ni ses juges, ni le peuple. Elle ne le pouvait pas puisque ces pharisiens, scribes, prêtres et sanhédrin n'obéissaient ni à la Loi, ni aux prophètes, même s'ils le prétendaient. Leurs observances étaient toutes extérieures et formelles et ils ne suivirent pas plus Jésus pendant son ministère public.

Ainsi, la parabole révèle sa signification ultime : l'importance du message et de la personne historique de Jésus. Puis, elle nous dit que le rejet du pauvre n'est rien d'autre que le rejet du Christ et du Royaume. Enfin, que si les Juifs ne l'ont pas reconnu, les païens, eux, que les Juifs appelaient parfois les chiens, sont venus chercher la vie dans les plaies ouvertes du Seigneur. Or, nous sommes de ces gentils-là. Aussi, essayons d'être fidèles à cette vie de foi qui nous veut humbles, persévérants et fraternels, et comme le pauvre Lazare nous seront nous-aussi éternellement reçus au festin des noces célestes la tête reposant sur le sein chaleureux du Père Eternel.

27e dimanche ordinaire, année C

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : C
Année: 2003-2004

" J'ai dix-neuf ans, je suis majeur, je fais donc ce que j'ai envie. Je n'ai plus besoin de votre accord si je décide de sortir. La loi me permet d'être enfin libre " dit-il à ses parents. A eux alors de rétorquer : " c'est vrai tu as dix-neuf ans, tu es majeur mais tant que tu vis chez nous, tu acceptes les règles de vie familiale qui régissent notre vie ". Sans se décontenancer, il poursuit alors : " Toujours vos règles que vous m'imposez. Ah au fait, cette semaine, j'aurais besoin d'un peu plus d'argent de poche pour mes loisirs. Vous pourriez me le virez sur mon compte s'il vous plaît. Merci ". " Tiens, puisque la loi te permet d'être libre, elle t'autorise également à travailler pour gagner ton argent de poche " répliqua le père. L'autre se lève alors, la porte claque. Voilà sans doute un scénario qui a un goût de déjà vu pour certains d'entre nous. Il est vrai qu'il est pas évident de vouloir le beurre et l'argent du beurre.

Honnêtement, sommes-nous si différents de ce jeune de dix-neuf ans dans notre relation à Dieu ? Ne voulons-nous pas tout à la fois, c'est-à-dire une liberté totale à son égard et en même temps sa toute-puissance pour contrer le cours des événements naturels ou non lorsque ces derniers nous frappent de manière injuste à nos yeux ? Liberté humaine et toute-puissance divine semblent être deux concepts antagonistes, voire contradictoires. Sauf si nous acceptons que la toute-puissance de Dieu ne lui permet pas d'interférer dans les réalités ici-bas mais qu'elle est plutôt symbole d'une toute puissance d'amour qui se traduit dans les gestes et les regards que nous posons sur cette terre.

Nous n'avons rien inventé puisque le prophète Habacuc gémissait déjà à son époque : " combien de temps, Seigneur, vais-je t'appeler au secours, et tu n'entends pas, crier contre la violence, et tu ne délivres pas ! Pourquoi m'obliges-tu à voir l'abomination et restes-tu à regarder notre misère ? ". Ces mots nous pourrions les faire nôtres aujourd'hui. Un Dieu bien silencieux face aux souffrances de notre monde. Tant d'injustices à combattre. Il est vrai qu'il est heureux que toutes ces souffrances soient injustes et que nous en prenions conscience. En effet, une souffrance juste serait tellement plus injuste qu'une souffrance injuste. Si la souffrance est juste, elle est méritée, elle est la conséquence de nos attitudes et nous développerions à l'égard des personnes souffrantes une attitude de dédain avec des mots du style : " puisque c'est juste, c'est ton problème, débrouille-toi. N'espère pas que je t'aide et je vais d'ailleurs militer pour qu'il n'y ait plus aucune aide sociale et médicale subsidiées. Je n'ai pas à payer pour les erreurs des autres qui subissent une juste souffrance ". La souffrance juste conduit à l'injustice d'où il est bon de se rappeler que c'est l'injustice de celle-ci qui nous permet de nous rendre vulnérable à la souffrance de l'autre.

Parce que c'est injuste, chacune et chacun, nous développons des sentiments de compassion, d'empathie, voire d'amour. L'injustice du mal et de la souffrance nous touchent profondément et nous convient à ne pas rester de simples spectateurs. En tant qu'être humain, Dieu attend de nous que nous soyons acteurs de la création qu'il nous a confiée. Comment faire ? En ayant foi en nous, ou pour être encore plus précis en ayant foi en Dieu l'Esprit qui inhabite au plus profond de chaque être. Une foi à transporter les montagnes. Pas l'Everest, le Kilimanjaro ou encore le signal de Botrange pour les belges de cette assemblée. Non la montagne de l'évangile est une montagne toute spéciale. Elle ne se gravit pas. Elle envahit nos émotions et nos sentiments. Elle nous permet de nous lever et de partir à la rencontre de celles et ceux qui sont en souffrance. Face à ces dernières, nous pouvons nous lamenter et crier : " mais où est Dieu dans tout cela ? Si au moins il était là ". Et lui de nous répondre de la même manière : " mais où est l'être humain dans tout cela ? Si au moins, il y avait un être humain ".

Ayant reçu la liberté de Dieu, nous devons humblement reconnaître que c'est à nous maintenant d'agir avec la toute-puissance divine d'amour qui nous a été donnée. Nous pouvons ensemble combattre les maux et accompagner dans la tendresse les souffrances injustes. Mais pour ce faire, il y a lieu d'avoir d'abord cette foi en nous. Une foi aussi grande que toutes les montagnes de la terre car nous vivons avec cette intime conviction que tout devient possible puisque nos paroles et nos gestes sont guidés par l'Esprit de Dieu. Nous ne renversons sans doute pas le cours des événements mais par nos attitudes positives, nous permettrons à d'autres de mieux les traverser. Alors, acteur ou spectateur ? Libre ou esclave ? Responsable ou lâche ? Ce qui est certain, c'est que nous n'aurons jamais en même temps, le beurre et l'argent du beurre.

Amen.