14e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

" Mon joug est facile à porter, et mon fardeau léger ". Tellement plus facile à dire qu'à vivre surtout lorsque nous avons l'impression que tout nous tombe dessus, un peu comme si le ciel nous tombait sur la terre pour reprendre l'expression de la grande peur de la tribu d'Astérix et Obélix. Mais nous n'avons pas la chance de ces derniers : boire de la potion magique pour vaincre nos peurs, sauf pour Obélix qui comme vous le savez, était tombé dedans quand il était petit. Non, nous avons pas de potion, nous avons plus que cela : une foi, une confiance en ce Dieu qui se révèle en Jésus Christ et qui nous affirme : " mon joug est facile à porter et mon fardeau léger ".

Mais en quoi le joug de Dieu est il léger ? Me revient en mémoire, cette vielle histoire qui illustre très bien cette conclusion de Jésus. Un jour, un homme voit un petit enfant qui porte sur son dos un autre enfant qui était estropié. Il avait l'air de peiner sous le poids et avançait lentement, très lentement. Et malgré cela, les deux enfants souriaient, riaient. Ils ne semblaient pas heureux. Ils l'étaient et tout leur être rayonnait de ce bonheur. " C'est un bien lourd fardeau que tu portes sur toi " dit l'homme à l'enfant. " Non monsieur, ce n'est pas un fardeau répondit l'enfant, c'est mon petit frère ". La sagesse de l'enfant, de ce tout-petit laissa notre homme pantois. Dans ses mots à lui, l'enfant nous rappelle que ce qui peut nous sembler lourd à porter de manière rationnelle et réelle, est souvent léger lorsque c'est vécu dans l'amour.

Quand l'amour est au coeur de nos efforts, des défis que nous nous imposons pour grandir, parfois même pour survivre, le fardeau n'est plus fardeau mais expérience de vie. Seuls nous ne sommes pas capables de tout porter, c'est vrai. Nous avons besoin les uns des autres c'est-à-dire que nous nous portions les uns les autres. Et ce que le Christ nous invite ce soir (matin) c'est d'accepter de poser en lui les fardeaux qui nous semblent insurmontables.

Si ton joug est trop lourd, pose-le en celles et ceux que tu aimes. En le posant dans leur coeur, tu l'offres à Dieu qui le portera dorénavant avec toi. Bonheurs ou malheurs se posent en Dieu. Si nous le faisons au nom de l'amour, notre fardeau deviendra léger. Sur la croix, Dieu a pris tous nos fardeaux. Il partage avec nous ce poids en les portant. Ce que je vous affirme est clairement de l'ordre de l'irrationnel. Nous sommes au c½ur d'un mystère. Et ce dernier est le coeur de notre foi au coeur de nous-mêmes.

Heureusement pour nous d'ailleurs qu'il reste une part de mystère et d'inconnu dans nos vies. Il y a en effet un danger, un grand danger à vouloir tout comprendre. Le désir de connaissance nous honore mais je ne pense pas qu'il soit pour autant bon que nous nous y enfermions. Nous sommes et resterons toujours des questionneurs de vie, des chercheurs de Dieu. A force de vouloir tout comprendre, nous risquons de tomber dans le piège suivant : celui de penser que nous savons et entrer dans l'ère des certitudes qui nous enfermeront à jamais. Or si nous savons, comme le faisait remarquer à juste titre saint Augustin, nous n'avons plus besoin de croire puisque nous avons acquis la connaissance. Pourtant vivre sa foi, c'est passer sa vie à tenter de comprendre ce que nous croyons mais en reconnaissant que ce qui habite au plus profond de notre être est d'abord et toujours un mystère.

Un mystère qui ne peut se résoudre uniquement par les clés de notre raison rationnelle. Ce mystère se vit d'abord et avant tout au c½ur de nos émotions, de nos intuitions, c'est-à-dire de cette autre intelligence que les sciences humaines retrouvent aujourd'hui. C'est ce que les tout-petits de l'évangile avaient compris, le mystère de la foi se découvre, se dévoile, se révèle peu à peu, pas à pas dans le temps d'une rencontre, d'une relation et pas seulement dans les livres. Comme si Jésus nous disait que le mystère de la foi passe aussi par le coeur de l'être humain. Et c'est normal, puisque c'est à cet endroit précis que Dieu vit en nous. Le coeur est le coeur de la foi. Si ce que je vous dis est vrai, il ne me reste plus qu'à me taire pour que chacune et chacun entrent en soi pour vivre de cette foi.

Amen.

15e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

St. Matthieu, évangéliste et apôtre, est un homme précis et un bon pédagogue. Il a ordonné la vie de Jésus en alternant la parole et les actions du Messie en des doublets constants. Chez Matthieu, on voit Jésus à l'½uvre et on l'entend parler. Dans l'exhortation de cette parabole, plusieurs indices nous font comprendre qu'un acte important va se passer.

Cette parabole est le point central du plus important des 5 discours qui divisent l'évangile de Matthieu. Le grand discours sur les paraboles du Royaume est le 3ème. Des 5 discours. Il est donc au centre de cet évangile. Autre indice de son importance, Jésus est assis et les gens, eux, écoutent debout. C'est une foule immense, note St. Matthieu. Ce symbolisme voulu a une signification. Devant toute l'humanité, Jésus prend la position du juge, de celui qui se prononce définitivement, comme Dieu le fera au jugement dernier. Autre indice, Jésus parle : « il dit beaucoup de choses » selon l'expression de l'évangéliste. Il faudrait traduire : Jésus « révèle ». Et ce mot est repris 5 fois. Il s'agit donc bien d'une révélation importante.

Enfin, la dernière clef, est l'introduction du discours : »En ces jours-là » : nous sommes à Capharnaüm, près du lac de Génésareth, appelé par les contemporains : mer de Galilée. Cette formule fait toujours allusion au « jour du Seigneur » c'est à dire un moment où Dieu se manifeste, où Dieu sort de son silence. Et l'on est renvoyé à l'incarnation du verbe, moment où le Fils, Parole du Père, sort du Père et descend du ciel pour faire irruption dans l'histoire.

Avant de dire un mot sur ce que nous faisons de cette parabole, acte de révélation de Dieu, il nous faut nous interroger sur l'identité de ce semeur qui nous est présenté ici. Qu'elle est la révélation première que Dieu veut nous faire ? Porte-t-elle sur les différents terrains en question ou sur le Semeur ? Matthieu insiste d'abord sur le symbole de Jésus- Semeur :« Un semeur sortit pour semer » dira-t-il.

Le peuple d'Israël, dans son attente du Messie promis, n'attendait pas un semeur, un moissonneur, mais un Messie et un maître puissant. Israël l'avait proclamé. Avec le Messie on allait assister à la grande épuration du jugement final. Si Jésus est Christ, oint et messie, il doit causer le grand bouleversement final, il doit détruire définitivement le mal, libérer Israël de l'ingérence illégitime du pouvoir impérial romain, mettre un point final à l'histoire humaine païenne, et même, il doit enfin introduire les élus dans la Gloire. Or que se passe-t-il ? Pas grand chose ! Cet ex-charpentier, prédicateur pérégrinant, raconte des histoires, soulage et guérit, conteste ouvertement le Sanhédrin, mange avec les pécheurs(il est donc contaminé par le mal), parle aux femmes, se laisse toucher par elles et défend une adultère. Etrange Messie ! D'ailleurs, les titres que Jésus se donne dans le chap.9 de St. Matthieu vont dans le même sens. Il est le serviteur qui enlève les infirmités des hommes. Il est le Seigneur de la moisson et le maître de la tempête. Il est le « Fils de l'homme », titre messianique par excellence, qui pardonne. Il est le médecin. Il se présente comme le berger, le bon pasteur d'un troupeau qu'il mène paître. Il est l'époux, amoureusement épris d'une humanité qu'il comble de sa présence et dont l'absence, un jour, sera comme un jeûne préparatoire à une renaissance éternelle. Il n'est pas comme un époux, il est l'époux. Il n'y en a qu'un au monde. Il joue ce rôle qui n'appartient qu'à lui. Il est totalement identifié à son personnage. En tous ces titres cités, il est aussi totalement absorbé par son ½uvre qu'un inventeur par sa recherche ou un grand acteur par son personnage. Par tous ces titres- symboles, Jésus fait apparaître sa propre nature, il révèle son identité.

Ici donc, l'ex-charpentier devient semeur. Mais dans sa vie, on vient de le rappeler, il côtoie le mal. Aussi, ce semeur, on le surveille de près, on l'accuse même de diablerie et de perturber la foi d'Israël et l'ordre public, à tel point que Jean-Baptiste lui-même, dans sa prison, est pris de doute. A la question du Baptiste et de beaucoup sur l'identité du Messie, Jésus répond par cette parabole et nous dit, comme à ses auditeurs du moment : ce n'est pas l'heure de l'engrangement, ce n'est pas encore le temps de la moisson, c'est le temps des semailles, c'est le temps des commencements et des recommencements. Il sait la résistance du monde face au bon grain de sa Parole. Mais il sèmera. Et la semence rencontrera bien un jour, quelque part, la bonne terre. Isaïe55 l'avait déjà dit : on n'arrête pas la Parole de Dieu. La fine pointe spirituelle de la parabole est là. Le beau geste large du semeur symbolise l'infinie et merveilleuse prodigalité de Dieu. L'agriculteur divin déploie le grand champ d'amour de son Royaume. Le Messie proclame à tous vents la Bonne- Nouvelle du salut et annonce une ère de grâce à toute l'humanité. L'identité de Jésus- Messie est là dans sa magnanimité de vie et de pardon. L'identité de Dieu est là dans la grandeur plénière de son amour.

Jésus avait mis l'accent sur le labeur du semeur. Matthieu, lui, donnera une explication aux premières communautés chrétiennes de cette histoire en mettant l'accent, non sur le travail du semeur, mais sur les différents terrains qui recueillent la semence et qui sont les manières dont tout disciple peut recevoir l'annonce du Royaume. Ces différents terrains ne définissent pas seulement des groupes particuliers ou des catégories bien définies de chrétiens, ils nous disent encore comment chacun de nous cultive en lui-même la Parole de Dieu, quel accueil chaque disciple lui réserve. Toutes ces semailles, nous les retrouvons en chacun d'entre nous à différents moments de notre vie spirituelle. Les terres arides ou les maquis broussailleux expriment, chacun à leur manière, la pauvreté de notre accueil.

Parfois, nous sommes si distraits ou si indifférents, si lunatiques ou inconscients, si peu persévérants ou si centrés sur nous-même ! Et la Parole de Dieu passe. Nous la laissons s'étioler comme les graines mangées par les oiseaux. D'autres fois, notre c½ur n'est pas disponible. Nous sommes encombrés par nos soucis, si enfermés dans nos défauts, étouffés par tant de préoccupations farfelues et futiles que la parole entendue se perd. Cette parole de vie s'égare comme perdue dans les ronces de nos inquiétudes inutiles et de nos bonnes intentions stériles. A d'autres moments encore, on entend cette parole et on se dit : « Il faut agir ! » Mais voilà, nous sommes si sollicités par nos prestations en tout genre, si stressés par nos vies surpeuplées qu'il y a mieux à faire que répondre à nos engagements religieux. Oh ! bien sûr on essaye un peu, un petit peu, un peu trop vite, un peu trop court, puis on se laisse reprendre par le train-train coutumier de la vie et ses sollicitations journalières, et on remet à plus tard, c'est-à-dire à jamais, nos devoirs spirituels. Et la Parole de Dieu meurt, comme ces graines sans racines qui sèchent et périssent sur l'asphalte durcie de notre vie profane. Mais s'il y a des échecs et des gâchis, il n'y a pas que cela en nous. Il y a mieux. Il y a aussi du positif . Notre c½ur qui écoute et qui comprend, qui accueille et qui réfléchit est le bon terreau qui garde la vérité libératrice de la foi et qui la médite, l' âme fidèle et généreuse qui s'engage, aime et agit.

Une dernière leçon de la parabole regarde l'Eglise. L'évangéliste Matthieu note que Jésus monte dans une barque. Elle est le symbole évangélique de l'Eglise comme l'eau est l'image biblique du monde inconsistant, fragile, dangereux, incertain où règnent les forces du mal. Il y a là une lumière sur le rôle de l'Eglise. L'Eglise doit circuler vers tous les rivages. L'Eglise doit parler à toutes les cultures. L'Eglise doit comprendre qu'il faut semer, semer toujours, sans préjuger des résultats, semer sans oublier aucun sol, sans juger les terrains qu'elle sillonne.

Mais, voilà, au lieu de semer l'Eglise veut elle-même aussi moissonner. L'Eglise oublie qu'elle n'est pas le Royaume. Elle veut elle-même percevoir les résultats, avoir la décision finale, jouir déjà de la récolte définitive. Mais, c'est à l'infinie miséricorde de Dieu, à sa sagesse que l'Eglise doit laisser le soin ultime de moissonner et d'engranger. D'une part, le disciple ne doit jamais être en avance sur le calendrier de la vie, ni l'apôtre sur le calendrier divin ; d'autre part, le Royaume n'est pas de l'ordre irréel de l'utopie ou des désirs terrestres du magistère, mais il est de l'ordre de la conversion et de la sainteté.

A chacun d'accueillir la Parole de Dieu selon ce qu'il est, selon ce qu'il peut, mais aussi selon ce qu'il veut, selon sa bonne volonté foncière. Peut-être serons-nous parfois des disciples pleins d'enthousiasme, comme Pierre et André, Jacques et Jean quand on vient les appeler à laisser derrière eux leurs filets. Ou, peut-être, nous sentons-nous menacés, comme ces mêmes disciples quand ils jugent inquiétant cet homme étrange qui les entraîne jusqu'au Golgotha. Ou peut-être encore, nous trouverons-nous plutôt dans le désespoir comme Pierre sur le chemin de la croix ou ces 2 disciples déboussolés sur le chemin d'Emmaüs. Ou tout simplement, sommes-nous plongés dans le doute, comme les foules du temps de Jésus ou nous-même aux époques de conjectures obscures et périlleuses.

Aussi, rappelons-nous, humblement et inlassablement, que nos efforts de perfection seront toujours porteurs de déceptions parce que jamais parfaitement atteints. D'où les éternelles tentations de fuite, d'abandon et de découragement. Mais plutôt que de courir après la fleur bleue d'une intégrité perdue ou le mythe d'une innocence absolue, appliquons-nous plutôt à recevoir les exigences de l'Evangile dans le terreau généreux de notre bonne volonté première et de nos efforts patients, soutenus, quotidiens. La bonne terre en nous est toujours là. Dès lors, le projet d'amour de Dieu sur nous réussira malgré la lourdeur du monde pécheur et de notre incommensurable faiblesse personnelle.

La miséricorde de Jésus- semeur, ce n'est pas la capacité de Dieu à oublier mais la compassion indicible du Seigneur, c'est son infinie fertilité qui donne vie à ce qui était mort. Toute vie humaine, même dégradée, peut faire refleurir son printemps. A nous d'être, pour ce faire, le jardinier de Dieu sur les terres fertiles de nos vies.

16e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Les 3 paraboles de ce jour font partie d'un groupe de 7 qui constitue un grand discours de Jésus sur le Royaume. « Il en va du Royaume des cieux... » Des trois, le blé et l'ivraie, le grain de sénevé et le levain dans la pâte, nous retiendrons la première. Elle pourrait s'intituler aussi la parabole du semeur, comme une autre bien connue, si nous n'apprenions qu'il s'agit en fait de deux semeurs et qu'il y a conflit entre eux. C'est là le n½ud du récit.

Voilà un champ destiné à l'agriculture qui devient un champ de bataille. Le semeur ou maître de maison signifie, selon la tradition rabbinique, qu'il s'agit de Dieu. Il sème du blé, céréale très appréciée et que produit le bon sol de Palestine. Mieux on comprendra la fonction du blé, mieux on saisira celle de l'ivraie. Or, le blé dans le Nouveau-Testament c'est le pain, l'image du Christ. De blé ou de vin, c'est toujours de Jésus qu'il s'agit, de la présence de Dieu, de la plénitude de l'amour.

Or, voici que surgit, à la faveur de la nuit, un second semeur. La nuit biblique est le symbole du mal, du péché et de la mort. Dieu, lui, agit dans la lumière. Jésus dira que celui « qui fait le mal déteste la lumière et ne vient pas à la lumière de peur que ses ½uvres soient démasquées. » Ce deuxième semeur est un ennemi puissant. L'ampleur du désastre est suggérée par le désarroi des serviteurs. C'est l'abondance insolite de l'ivraie qui bouleverse ceux-ci et cette abondance même qui trahit l'action d'une main ennemie. Il a semé de l'ivraie. Cet épi effilé et noirâtre est plus petit que le blé et constitue un bon combustible. On s'en servait pour faire du feu dans un pays où le combustible manquait. L'ivraie est un mot sémitique proche de zizanie et donc à l'opposé de la plénitude de l'amour. Ce semeur-là est un fauteur d'iniquité notera Jésus. Il faut intervenir. Mais quand ?

A cette époque les semailles et le sarclage étaient des opérations délicates dont les récoltes dépendaient en partie. Dieu envoie son fils parmi nous et la haine le rejette. Que faire ? Le sarclage proposé par les serviteurs n'a rien d'absurde. L'opération est couramment pratiquée, mais ici le maître-Dieu opte pour la patience. Les mauvaises racines se sont mêlées inextricablement aux bonnes. En d'autres termes, Dieu demande la constance devant l'épreuve du mal que l'on ne peut vaincre. Laissez l'ivraie, laissez le mal courir est une décision lourde de conséquences mais qui n'aura qu'un temps car c'est Dieu qui est le maître de la moisson et du Jugement.

On peut donner plusieurs interprétations de cette parabole si courte, mais si dense. En tout premier : devant le mal que l'on ne peut vaincre, il faut, dans la foi, croire que Dieu aura le dernier mot et, en attendant, prendre son mal en patience, par la vertu de la constance. Jésus dira par ailleurs » C'est par votre constance que vous possèderez vos vies. »

Très tôt, sous l'influence pascale et selon les besoins des églises, une autre interprétation s'est répandue. Et c'est l'application allégorique que Mathieu met dans la bouche de Jésus. « Il faut mettre à profit le temps présent. Des débuts qui sont des échecs peuvent être promus à de très grands avenirs. Du mal et du péché, Dieu peut faire jaillir un cri d'espérance et d'amour. » Ainsi, le croyant est frappé par l'abondance de l'ivraie, mais Dieu, lui, est frappé par les promesses du bon grain !

Oui, en nous, inextricablement mêlés, montent le blé et l'ivraie, l'amour et la haine ! C'est toute l'ambiguïté de la condition humaine qui est exprimée ici. Mais, qui peut avoir la prétention manichéenne de classer toutes choses en deux camps bien distincts : bien et mal, vérité et erreur, sainteté et péché ? L'erreur peut drainer sa part de vérité, la bonne conscience sa part d'aveuglement ? En chacun de nous il est arrivé de pressentir l'ange et de flairer le malin.

La petite parabole du levain vient confirmer en une phrase cet enseignement d'espérance. Oui, du mal peut sortir du bien. Il s'agit là du levain. Ce peu de pâte fermentée qui prenait chez les juifs un sens péjoratif « méfiez-vous du levain des pharisiens », dira Jésus, mettant en garde contre toute déformation. Mais ici, le levain a un sens positif. Le moins bon en nous, le pas toujours reluisant, peut transformer et dynamiser notre être vers Dieu. En effet, on peut s'étonner de la quantité de farine qu'un peu de levain fait lever ! (3 boisseaux égalent 40 litres). Cette masse de pâte par rapport à la petite quantité de levain suggère la puissance de fermentation qui va la faire lever.

De notre nature blessée peuvent naître tant d'actions bonnes, d'½uvres créatrices. C'est de la part de Dieu, une affirmation d'espérance pour l'homme. Jésus nous dit que malgré la lourdeur du monde pécheur, notre incommensurable faiblesse, nos débuts difficiles ou nos échecs répétés, le projet d'amour de Dieu est voué à un succès total. Il ne se laissera pas vaincre et ne veut pas que sa créature soit vaincue. Un jour, la vie remplacera la mort et l'amour triomphera de la haine. Ce sera l'heure de Dieu.

En attendant reconnaissons autant notre qualité d'enfant de Dieu que notre condition de pécheur. L'individualisme et le gaspillage sont l'ivraie de notre temps et nos véritables ennemis. L'indifférence ! Tous, certes, cherchent le bonheur mais la majorité des gens désirent uniquement le leur ou tout au plus, celui de leur famille proche. Pour le reste, la plupart laissent leur bonne conscience calée dans la soie moelleuse de leur petit confort personnel. Le gaspillage ! Nous gaspillons et détruisons nos forêts entières pour faire des mouchoirs jetables. A leur image, tout devient jetable, les briquets, les stylos, les appareils de photo, les ustensiles de cuisine, les vêtements, si ce n'est pas un jour, les mourants et les vieillards ! Et sans nous en apercevoir tout deviendra jetable, jusqu'à nous-même !

Quand de telles idées font le tour de la planète, proposées en publicité par des ignorants et financées par des sociétés multinationales, il ne faut plus s'étonner du niveau de conscience d'une partie de l'humanité et de l'ambiguïté fondamentale de la race humaine, à la fois humaine et infra humaine. Face à cela, notre foi affirme d'autres valeurs dont celle de pouvoir nous convertir à du meilleur, comme nous l'enseigne la parabole de ce jour.

A chacun d'accueillir la bonne nouvelle de l'Evangile dans son champ de bon blé et d'ivraie. Peut-être serons-nous parfois des disciples pleins d'enthousiasme comme Pierre, André, Jacques et Jean quand le Seigneur vient les appeler à laisser derrière eux leurs filets et l'ivraie du vieil homme. Peut-être nous sentirons-nous menacés par l'ivraie de la tiédeur ou de la lâcheté, comme ces mêmes disciples quand ils trouvent inquiétant cet homme qui les entraîne vers le Golgotha. Peut-être, nous retrouverons-nous dans le désespoir comme Pierre sur le chemin de la Croix ou comme les deux disciples déboussolés sur le chemin d'Emmaüs. Ou enfin, tout simplement, nous trouverons-nous dans le doute comme les foules du temps de Jésus ou maintenant, dans des époques de conjectures obscures et périlleuses.

C'est dans l'acceptation de nos limites que réside la plus grande difficulté. Cela demande l'espérance et la patience dont parle Jésus, une humilité sans restriction, une foi sans mesure et un amour sans réticence. Se dire que nos lacunes et ce mal qui nous afflige peuvent devenir la source d'un amour nouveau est un renversement de nos conceptions humaines terrestres. Mais c'est en cet éclatement de nos jugements de valeurs que réside le grand risque de la foi et la beauté de la vie du Chrétien. L'enjeu de notre foi s'exprime au c½ur de cette expérience d'espérance. L'amour du Seigneur ne se vit qu'au-delà de cette délivrance. Toute vie humaine, même dégradée, peut faire refleurir son printemps. A nous d'être le jardinier de Dieu dans le champ de blé de nos vies.

17e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Il y a de ces petits noms qui vous font chaud au c½ur lorsqu'ils vous sont adressés. Je vous en livre quelques uns à titre d'exemples et certainement pas pour que vous commenciez à m'appeler de la sorte. La liste proposée est évidemment loin d'être exhaustive et je vous invite à la compléter par vous même. Voici quelques petits noms, glanés ci et là : chou, chouchou, chéri, chat, chaton, lapin, biquet, canard, nounours, amour, mon amour, mamour, loup, pt'it loup, loulou ou encore mon trésor. Ces mots désignent chaque fois une personne qui nous est très chère et avec laquelle nous avons une relation tout à fait particulière puisqu'il s'agit d'une relation souvent de couple mais parfois ces mots sont aussi utilisés par des parents lorsqu'ils souhaitent dire toute leur tendresse à leurs propres enfants.

Ces mots désignent des personnes. Tout comme l'évangile d'ailleurs. Le trésor dont l'évangile parle aujourd'hui n'est pas quelque chose de matériel ; le trésor n'est pas non plus, l'évangile pris dans son ensemble. Non le trésor est une personne : Dieu le Fils. Notre trésor de croyant, c'est Jésus lui-même, envoyé par Dieu le Père sur notre terre pour faire lever sur notre terre la semence du Royaume. Ce dernier lorsqu'il sera atteint sera aussi beau et pur qu'une perle rare. Telle est la promesse reçue. Et cette promesse se réalise dès à présent, si nous acceptons de poser notre vie dans les pas de Salomon et avec lui de demander " un c½ur attentif et le discernement nécessaire entre le bien et le mal ".

Ce que Jésus et Salomon nous rappellent c'est que ce trésor caché dans un champ et cette perle de grand prix illustre une autre parole du Christ, trouvée également en Matthieu : " où est ton trésor, là aussi sera ton c½ur ". Où est notre trésor ? sommes-nous invités à nous demander. C'est-à-dire où est Dieu dans notre vie ? La réponse est simple, tellement simple : dans notre c½ur. Mais qu'est-ce à dire ? Ce qui importe, ce ne sont pas nos intentions, voire même nos déclarations.

Non ce qui importe tant aux yeux de Dieu qu'aux nôtres, ce sont nos comportements quotidiens, nos préoccupations dominantes, nos manières d'entrer en relation et de nous soucier les uns des autres. En fait, ce qui importe, c'est l'usage que nous faisons de notre temps, de notre attention et de nos ressources personnelles et intérieures.

Si le Christ est vraiment ce trésor dans lequel je puise, comment est-ce que j'organise mon emploi du temps ? Quelle place a-t-il dans mon agenda ? Trop souvent hélas, nous nous disons, " mon Dieu, je n'ai pas trouvé le temps pour faire ceci, je n'ai pas donné du temps à l'autre alors qu'aimer qui s'enracine dans notre c½ur, c'est prendre le temps de perdre son temps mais ensemble ". Un peu comme si nous avions consacré notre temps à des préoccupations jugées plus importantes ou plus intéressantes alors qu'elles nous éloignent de ce qui est essentiel dans la vie. Pour Dieu, l'essentiel se résume en trois mots : aimer, aimer et aimer. Tout le reste est superflu. Facile à dire mais tellement difficile à réaliser dans notre société occidentale où abondance et gaspillage se côtoient journellement. Nous avons beau le savoir, le reconnaître et pourtant nous nous laissons trop souvent envahir par ce monde qui a aussi de superbes richesses marquées dans la solidarité, le souci de l'autre, la découverte de l'altérité, la réjouissance de la différence.

Dieu le Père par son évangile nous fait découvrir que le seul trésor est son Fils. Un Fils qui veut notre bonheur et également que notre vie soit aussi belle qu'une perle rare. Ce Fils réside dans le c½ur de chacune et chacun d'entre nous et il ne demande qu'à pouvoir s'épanouir par nous. Pour ce faire, il n'existe qu'une seule possibilité : donner du temps au temps, pour revenir à l'essentiel, au c½ur de notre c½ur, là où il est possible d'aimer celles et ceux que je suis amené à rencontrer. Comment savoir si je suis sur le bon chemin. C'est tout simple, il suffit de regarder notre agenda. Si le Christ est vraiment le trésor de ma vie, est-ce que je lui consacre suffisamment de temps ? A chacune et chacun d'y répondre et puis, de rectifier son emploi du temps si nécessaire.

Amen.

18e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Les bons conseils ne coûtent pas chers ! Dans cet épisode de la vie de Jésus, les disciples ne manquent pas de lui en prodiguer : l'endroit est désert, il se fait tard, renvoie la foule, qu'ils aillent dans les villages, qu'avons-nous ici pour eux... Jésus, lui, entend le cri de la foule. Quand elle demande du pain, il sait qu'elle a une autre faim, celle d'un amour fidèle à donner et à recevoir. Et Jésus donne à la foule le pain de sa parole, celui qui comble toutes les faims. Quand tout le monde est rassasié, il en reste 12 corbeilles, c'est-à-dire de quoi nourrir les 12 tribus d'Israël, tout le peuple de l'Eglise et même le monde entier. C'est le sens du chiffre 5000 chez Matthieu.

Aujourd'hui encore quoi de plus facile, et de plus inutile, que de dire à l'affamé dans le désert de son désarroi « Tu aurais dû penser à t'acheter de quoi satisfaire ta faim. » Oui, il est facile de crier »haro sur la misère ou l'incapacité, quand il aurait été plus efficace d'ouvrir sa porte et de partager son pain. Il est facile de crier à l'injustice et d'exiger un meilleur partage mais il est moins facile de se reconnaître soi-même favorisé, voire nanti. Ne pourrions-nous avoir un peu de la sollicitude de Dieu qui, elle, n'est pas faite de mots mais d'actions efficaces !

A propos de cette page d'Evangile, nous parlons toujours de multiplication des pains mais le texte ne parle pas de multiplication miraculeuse mais de partage, de répartition, de mise en commun, de communion. Tout est symbole ici et n'évoque que : communauté, solidarité, service et don.

Nous sommes au désert. Là où les frontières tombent et les barrières s'estompent. Le désert est la terre des fiançailles du peuple d'Israël avec son Dieu. La foule a faim. Selon Isaïe, avoir faim c'est désirer être à l'écoute de la Parole de Dieu. Les gens sont assis. Jésus est debout. Il lève les yeux, bénit le pain, le rompt et le donne comme à la dernière cène. Le pain est le symbole de la nourriture au sens large mais celui aussi de la présence de Dieu parmi nous, de sa parole. Le poisson est l'image du chrétien et du Christ. La foule de 5000, celle de la nouvelle communauté messianique, du rassemblement du monde sauvé. Elle est un présage d'universalité.

Laissons-nous porter par le symbolisme du pain pour comprendre cet épisode car Dieu est un très grand poète. Le pain représente l'humanité dans sa condition naturelle industrieuse. Celui que nous prenons et qui est devenu le corps de Christ celui par lequel Dieu nous inocule son amour et nous divinise. L'eucharistie est à chacun d'entre nous ce que l'Incarnation est à l'humanité. Le pain ne représente pas seulement l'homme individuellement mais il symbolise toute la communauté humaine à travers aussi toute la chaîne des corps de métiers par lequel il est passé et toutes les origines diverses du blé. Toute l'humanité est mise en cause. L'hostie est le corps mystique du Christ. (l'Eglise). Le pain est image de la condition humaine, moulu et pétri comme le raisin est broyé et foulé... Tout cela signifie que nous sommes appelés à former une seule chaîne planétaire de solidarité, une multinationale de l'Amour fondée sur la diversité, l'entente et le dialogue. Cela signifie aussi qu'il s'agit de garder les yeux ouverts, de ne pas s'engourdir l'âme.

Dans les déserts de nos temps présents, les foules affamées ne manquent pas : peuples de la faim, victimes des guerres, couples en difficultés, enfants exploités, jeunes sans repères, vieillards sans présence affective. Et devant tant de misères accumulées, ne pensons-nous pas comme les apôtres : « qu'ils aillent chercher ailleurs...Ce n'est pas notre rôle...Et nous nous barricadons derrière notre impuissance pour ne plus voir, ne pas avoir mal, ne pas agir. Mais retisser, là où nous sommes des réseaux naturels de solidarité, c'est comprendre qu'il ne suffit pas de bien prier et de bien communier mais qu'il s'agit de payer de sa personne et cela d'autant plus que nous sommes mieux au courant des manques de tout de nos frères en humanité. C'est comprendre que chaque fois qu'il y a partage, par-delà nos prudences et nos principes, Dieu est là, et un Dieu comme ils en redemandent !

Il nous est peut-être difficile de percevoir ce symbolisme communautaire du Pain à l'heure du self-service ! Quand chacun avec son petit plateau repas, comme dans les avions, est obligé de manger la même quantité et de le faire tout seul. Oui, c'est tellement plus difficile de comprendre que ce serait tellement plus humain que chacun se serve selon ses besoins, chacun attentif à ce que l'autre ait ce qu'il lui faut et prêt à laisser la meilleure part pour le voisin. Alors le repas deviendrait ce que la vie devrait être, un temps où chacun donne, partage et aime.

« Faites ceci en mémoire de moi... C'est Jésus à la dernière cène dans le geste du serviteur lavant les pieds de ses disciples. Devenir comme Jésus serviteur de notre prochain. Devenir comme Jésus « la nouvelle alliance en son sang », signe de réconciliation et de pardon. Devenir l'agneau de Dieu, signe de délivrance, de confiance et d'amour. Car, on ne présentait pas à Dieu des animaux carnassiers. Ils n'étaient pas utilisés pour le sacrifice parce qu'ils étaient signe de cruauté et de peur suscitée. On ne se présentait à Dieu que dans la confiance et l'amour. On ne doit aborder ses frères que dans l'écoute attentive et le partage généreux. Et faire mémoire ! Oui, le drame qui perturbe nos relations avec Dieu c'est l'oubli. La lutte de la mémoire contre l'oubli, c'est notre foi, car la cène résume la totalité de la foi chrétienne ; louange, demande, repentance auxquelles correspondent partage, pardon et espérance du Royaume.

Ita missa est : voilà ta mission ! A nous de l'inscrire dans nos gestes et nos relations. « Si je les renvoie chez eux sans nourriture, ils tomberont en route... » Oui, l'eucharistie est vraiment notre nourriture du voyage. Elle n'est pas un luxe spirituel, ni une récompense pour chrétiens réussis, ni une friandise pour chrétiens bien-portants mais le viatique pour la route. Elle est l'aliment substantiel indispensable pour entretenir et accroître ma foi, réparer les forces perdues, éviter les obstacles et un jour me ressusciter. « Que le corps de Notre Seigneur Jésus-Christ garde ton être pour la vie éternelle. » Mettre en nous le corps glorieux du Christ c'est être déjà ressuscité. En communiant au Christ ressuscité, tous nos efforts de fidélité, toutes nos expressions de bonté ont un rôle dans l'édification du Royaume définitif. Car l'amour, celui qui est le contraire de la suffisance, du mépris et de l'indifférence, est toujours du côté de Dieu. Il ne peut venir que de lui et ne peut mener qu'à lui. L'eucharistie, c'est être déchargé de nos ressentiments et de nos craintes pour recevoir l'amour. L'eucharistie, c'est se reposer de nos inquiétudes dans la confiance au Seigneur, c'est dénouer les liens qui nous entravent pour accueillir nos frères, c'est disséminer nos peurs pour partager nos dons. Oui, l'eucharistie, c'est bien brûler d'amour pour que tous les autres ne meurent pas de froid.

18e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Quand j'ai le plaisir de célébrer un mariage sans eucharistie car cette dernière ne fait pas partie de la vie des fiancés, souvent des membres de la famille ne sont pas contents pas tellement parce que les fiancés ont été vrais avec eux-même et ont refusé de brader un sacrement qu'ils ne vivent pas mais parce que, comme il n'y a pas eu de communion, ils devront retourner dans une église le lendemain. Et quand j'ai le plaisir de célébrer un mariage avec une eucharistie, cette fois, il m'arrive encore régulièrement d'avoir des gens qui me demandent ceci : " dites, Père, ça compte pour demain ? ". A quoi, je réponds toujours : non, madame, ou non monsieur, cela ne compte pas parce que ce n'est pas la liturgie dominicale comme telle. Mais par contre, si vous estimez dans votre vie de foi que cette célébration vous a nourri pour les jours qui viennent alors je comprends que venant d'être rassasier, vous ne ressentiez pas le besoin d'une nouvelle eucharistie. Mais si ça compte, là je dis non, comme si cela devait compter.

Il est vrai qu'il y a quelques décennies, manquer la messe était " un péché mortel ", heureusement nous ne sommes plus dans ce type de discours rude, légaliste, dessèchant et surtout anti-évangélique. Aujourd'hui nous participons à l'eucharistie qu'elle soit dominicale ou quotidienne parce que une faim de Dieu s'est éveillée en nous. A l'image de cette foule dans l'évangile. Elle avait faim et soif de Dieu à ce point qu'ils étaient, semble-t-il, prêt à sauter un repas pour rester auprès de Jésus.

Cette attitude nous renvoie à nous-mêmes : avons-nous aussi faim de Dieu ? Pas n'importe quelle faim : une faim de gourmet et de gourmand. Je m'explique : gourmet de Dieu, c'est-à-dire apprécions-nous le raffinement de ce que Jésus nous révèle du mystère du Père ? Etre gourmet de Dieu, c'est prendre du temps pour Dieu, le lieu offrir pour mieux partir à sa rencontre et se réjouir chaque fois un peu plus lorsque nous le comprenons mieux, lorsque nous en vivons. Si effectivement Dieu est important pour nous, je prends un plaisir à être en sa compagnie dans la lecture des Ecritures, dans la méditation personnelle, la prière, la célébration des sacrements. Je me réjouis également de sa présence que je ressens lorsque je vis une rencontre d'amitié, d'amour en vérité. Le gourmet de Dieu est rayonnant de divinité chaque fois qu'une occasion lui est donnée de la vivre.

Le gourmand de Dieu quant à lui est une bonne fourchette, il est friand de toute nourriture proposée. La bonne fourchette apprécie la qualité mais ne se contente pas d'un régime diététique, il apprécie les mets où il trouvera une certaine quantité nécessaire pour qu'il puisse se rassasier. De plus, le gourmand ne peut se satisfaire d'un repas gastronomique épisodique alors que les mets sont raffinés, la table est superbement dressée, une ambiance appropriée et un souvenir merveilleux dans la mémoire. Non une fois de temps en temps n'est pas satisfaisant car pour le gourmand qualité et quantité rime avec régularité. Vivre notre foi pleinement est une invitation à ne pas nous satisfaire d'un des deux adjectifs : gourmet ou gourmand. Nous sommes conviés à remplacer le " ou " par un " et " devenant ainsi gourmet et gourmand de Dieu. Comme si Dieu attendait de nous que nous savourions les différents lieux et moments où il se révèle à nous dans le silence de notre c½ur.

Désirer être nourri par Dieu exige le vif réveil de notre foi. Avoir faim de Dieu c'est alors dépasser le réel de la vie, c'est-à-dire le travail, les soucis, les loisirs, pour vivre le réel de Dieu. Ces deux réels ne sont pas contradictoires mais constitutifs de ce que nous sommes. En tant que croyants, nous avons besoin des deux. Sans Dieu, le réel de la vie peut parfois nous sembler fade, pauvre voire même lourd. Envahie par Dieu par contre, c'est notre vie elle-même qui éclate, s'épanouit. Le réel de la vie s'impose à nous. Le réel de Dieu a constamment besoin d'être appelé par notre foi. C'est elle qui nous donne faim de Dieu. Par là, nous serons transfigurés puisque Dieu donne ce goût à la vie aux gourmets et gourmands de la foi que nous sommes.

Amen

1er dimanche de Carême, année A

Auteur: Collin Dominique
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Avez-vous remarqué qu'on parle beaucoup de nourriture dans les textes de ce dimanche de carême ? C'est curieux, en ce temps où on insiste beaucoup sur le jeûne. Le serpent inspire à Eve de prendre le fruit savoureux de l'arbre de la connaissance du bien et du mal, et, dans l'évangile, le démon tente Jésus en lui proposant de changer les pierres en pain. Le carême, ce ne serait donc qu'une affaire de nourriture à éviter ? Nous savons tous comment une vision étriquée de ce temps liturgique a compris l'effort de conversion en termes d'abstinence et de privation de nourritures. Or, est-ce bien à cela que nous invite Jésus dans l'évangile quand il répond au démon : " Ce n'est pas seulement de pain que l'homme doit vivre,mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu " ?

Il y a quelques années, lorsque j'étais étudiant à Namur et plus vertueux qu'aujourd'hui, je m'étais décidé, le mercredi des cendres, à bien marqué la privation de nourriture. Quelle ne fut pas ma surprise le soir, en rentrant de la messe des cendres, de trouver devant la porte de mon kot, un petit sachet rempli de... délicieuses et savoureuses pâtisseries ! Je ne savais que faire devant cette tentation bien agréable. Les mettre à la poubelle ?, je ne pouvais commettre un tel gaspillage. Les laisser pour le lendemain ? Les gosettes et autres " merveilleux " auraient été secs. Or, j'avais faim. Je les ai dévorés avec plaisir. Mais le lendemain, je me suis dit : " Tes voisins de chambre auraient sûrement aimé avoir une part des pâtisseries qui t'ont été offertes anonymement. A rompre le jeûne, il aurait été préférable de les partager ".

Chaque année, en commençant ce temps de préparation aux fêtes de Pâques, il est bon de nous mettre en garde contre une façon trop ritualiste ou trop extérieure de vivre notre foi. La tentation suprême n'est-elle pas de se méprendre sur la Parole de Dieu, de la transformer en un code d'interdictions et de lois. C'est cette perversion de la Parole de Dieu en interdiction que nous lisons dans la première lecture de ce jour. Le serpent insinue : " Dieu a dit : Vous ne mangerez pas de tous les arbres du Jardin ". Or, Dieu dit juste le contraire : " Tu peux manger de tous les arbres du Jardin ", mais avec des conséquences différentes. Dieu ne dit pas : " Ne mange pas de ce fruit, autrement tu seras puni ", il dit : " Ne mange pas de ce fruit, autrement tu mourras ". Ce n'est pas un ordre, c'est l'avertissement d'un destin librement choisi dans un sens ou dans un autre. Il ne s'agit pas pour Adam et Eve d'une simple désobéissance, il s'agit de l'inattention à la communion vivante avec le Père, du tarissement de la soif de sa présence, de son amour qui est la vie, car à l'autre pôle se pose la mort.

L'homme au moment de la tentation se représente Dieu comme une autorité qui dicte ses ordres et exige une obéissance aveugle. Or Dieu est un Père qui veut la vie de ses enfants, vie qui est communion entre eux et avec lui. S'il y a un péché originel qui conduit à la mort, c'est celui de pervertir l'image de Dieu : ne plus le voir comme un Père, mais comme un tyran ou un espion céleste qui épie mes moindres manquements à ses lois.

Dans l'évangile que nous avons entendu, Jésus résiste aux séductions du Tentateur parce qu'il sait qu'il est le Fils bien-aimé du Père. Il connaît Dieu et il le révèle comme un Père. Il ne se laisse pas abusé par le démon qui lui inspire de se jeter du haut du Temple pour voir si Dieu le sauvera. Sachant que Dieu est Père et qu'il veut la vie et le bonheur de tous ses enfants, Jésus a appris que la véritable autorité est service. Ainsi, lors de la troisième tentation, il peut refuser le piège de la puissance à son profit et aux détriments des hommes. Dominer, c'est se sentir dieu, avoir des ennemis, c'est rendre les autres responsables de son angoisse " C'est devant le Seigneur ton Dieu que tu te prosterneras, et c'est lui seul que tu adoreras ", répond Jésus au démon. La véritable autorité refuse la tentation d'avoir besoin d'esclaves ou d'ennemis. Elle refuse la fascination des masses par des pseudo prodiges. L'autorité messianique de Jésus est le pouvoir de pardonner les péchés et de guérir et sauver. Tout est intériorisé, la Loi et les prophètes se réduisent au commandement de l'amour. Nous voilà ramenés au c½ur même de notre vie chrétienne, et donc au c½ur même de ce que le temps du carême nous invite à vivre avec une générosité sans cesse renouvelée.

Nous rapprocher de Dieu par la prière et nous rapprocher de nos frères par le service ne font plus qu'un. Un grand spirituel a donné une belle image du salut sous la forme d'un cercle. Le centre en est Dieu et tous les hommes se trouvent à la circonférence. Plus on se rapproche du centre - Dieu -, plus les rayons du cercle, le prochain, se rapprochent les uns des autres.

Les lectures de ce jour suggèrent bien ce qu'est le carême : jeûner, mais non uniquement de la nourriture du corps, mais aussi de l'alourdissement de l'âme, afin que nous ne vivions pas seulement de pain (d'images, de bruits, d'excitations de toutes sortes), mais de toute parole qui sort de la bouche de Dieu. Jeûner, oui, mais du désir de pervertir l'image de Dieu Père, de le parodier subtilement ou grotesquement. Jeûner, oui, mais du désir de dominer et de condamner mon frère. Jeûner, oui, mais pour atteindre la vraie liberté.

1er dimanche de l'Avent, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Avent
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Il y a un peu plus de vingt ans, le Collège où j'allais n'était composé que de garçons. Vous imaginez ma joie d'aller suivre les cours de solfège à l'académie de musique qui, elle, était mixte. C'est là que je découvris le plaisir d'être avec l'autre moitié de l'humanité. Et dire qu'un jour je devrais choisir une d'entre elles parmi plus de trois milliards, six cents millions, sept cent soixante-huit mille huit cent quatorze autres femmes. Comme quoi, lorsqu'on relativise un peu, finalement entre le religieux que je suis et ceux qui ont choisi de se marier, la différence n'est que d'une seule personne. Pourtant ce n'est pas sur ce point précis que je voudrais m'entretenir avec vous en ce premier dimanche de l'Avent, temps de l'attente par excellence. Non, je voudrais revenir à cette époque de ma vie et me rappeler le souvenir suivant, qui d'après mes nombreuses recherches existe encore aujourd'hui parmi la jeune génération : lorsque je souhaitais déclarer ma flamme à l'élue de mon c½ur, je me faisais toujours un scénario préalable où j'envisageais tout dans les moindres détails : j'attendrais ce moment-là, nous irions à cet endroit précis et là, je lui dirais tout ce que je voulais lui dévoiler. Pour être honnête, cela ne s'est jamais passé comme je l'avais prévu. Tout simplement parce que mon scénario je l'écrivais toujours seul, tandis que la rencontre était à deux et en plus, il suffisait qu'elle-même se soit mise à écrire son propre scénario pour que la situation devienne plus cocasse encore.

En lien avec l'évangile de ce jour, il y a lieu de souligner qu'entre le scénario rêvé et le moment tant attendu, il y a tout ce temps d'attente où tout notre être est tendu vers la réalisation de ce désir. Toutes et tous nous avons des attentes et des désirs, sinon me semble-t-il la vie n'aurait plus aucun sens d'être vécue. Même si nous n'avons pas d'attentes spécifiques, nous avons au moins l'attente de la béatitude subjective par excellence : l'attente de la vie, c'est-à-dire l'attente d'être heureux. Vivre du désir de bonheur. Le bonheur ne se contrôle pas, il surgit dans nos vies surtout lorsque nous décidons de ne pas tout dominer, maîtriser. C'est quand nous arrêtons de contrôler nos vies que celles-ci se mettent à vivre. Etonnant ? Je ne le crois pas. Un désir trop précis, trop calculé risque de décevoir. Combien de films, de soirées où nos attentes étaient à ce point que nous en sommes ressortis déçus. Une attente trop grande risque d'être une atteinte à ma liberté intérieure. J'attends tellement que je reste en permanence sur le qui-vive. Je ne me détends pas, j'attends sans pour autant me laisser surprendre. Je suis à la quête d'une émotion forte qui tarde à venir pour s'éteindre à jamais dans un désir inassouvi. C'est bien la déception qui fait suite à une trop belle image du résultat de nos attentes. La recherche d'émotions fortes, la quête incessante de l'excès, nous conduisent immanquablement à une désillusion quant au bonheur à atteindre. Nous pouvons également passer à côté de ce dernier lorsque nous ne laissons pas le temps au temps de l'attente. Le désir assouvi instantanément, cette immédiateté érigée en valeur de société nous offrent des temps de plénitude de très courte durée.

Puissions-nous alors, chacune et chacun, au c½ur de nos histoires respectives, découvrir tant les bienfaits du temps de l'attente que le désir de désirer toujours et à jamais mais cette fois sans contrôler. Laisser advenir en moi l'événement pour que chaque instant soit vécu comme une aubaine de vie. Laisser advenir en moi l'autre pour qu'à chaque rencontre il et elle deviennent toujours un peu plus eux-mêmes. Laisser advenir en moi Dieu pour que lorsqu'il reviendra, à l'heure à laquelle je n'y penserai pas, je puisse d'abord le reconnaître et ensuite l'accueillir. Nous sommes entrés dans ce temps de l'attente de son retour. Nous n'y pensons pas tous les jours. Mais de temps à autre nous l'imaginons : reviendra-t-il, le Fils de l'Homme, avec une barbe, les cheveux longs, la toge un peu déchirée et des sandales aux pieds tel qu'il nous a toujours été présenté ? Ou comme le faisait remarquer (une jeune fille de notre paroisse) une de celles qui a préparé cette célébration : " il serait blond et en complet veston, cela ne m'irait pas du tout ". Afin d'éviter une déception lors de cette rencontre divine, ne nous mettons pas à envisager son retour dans les moindres détails, faisons de la place en nos c½urs pour qu'il puisse surgir, survenir en nous. Dieu est tellement différent de moi, que je ne puis l'imaginer. Il ne peut donc pas me décevoir. J'ai à lâcher prise, à m'abandonner pour être régi par un désir assez pur qui me permettra de me dire lorsqu'il reviendra : oui, Seigneur, c'est bien toi. Et en attendant ce jour, pour vivre de manière sereine l'attente de ce désir, nous sommes conviés à revêtir le Seigneur Jésus Christ nous dit saint Paul, c'est-à-dire revêtir cet habit de lumière reçu le jour de notre baptême pour qu'à notre tour nous donnions de la lumière à la vie. Amen.

22e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Je ne sais pas pour vous, mais pour moi, en tout cas, je trouve Pierre l'apôtre le plus sympathique de toute la bande des disciples de Jésus. Il m'est sympathique car je le trouve un peu " lourdeau ". C'est vrai, il ne comprend rien à la personne de Jésus. Il l'aime, il le suit mais qu'est-ce qu'il trébuche sur cette route : il veut que le Christ libère Israël de la domination, il le trahit, il a besoin d'être rassuré en demandant par trois fois si Jésus l'aime. Pierre a un côté vraiment touchant et c'est pourtant à lui que le Christ confie les clefs de l'Eglise.

C'est plutôt rassurant de découvrir cela. En effet, en prenant exemple sur Pierre, nous savons que même si nous trébuchons sur notre chemin de foi, Dieu est là pour nous aider à nous relever. Dans ce passage entendu, l'erreur de Pierre était de ne pas permettre à Jésus d'être qui il était. Il avait fait un rêve d'un Christ libérateur. En projetant ses propres fantasmes, il devient un obstacle à l'avènement du Fils de Dieu. Peut-être finalement que Pierre n'avait pas compris qu'entrer dans une démarche d'amour c'est accepter une part de souffrance en soi. Je n'affirme pas qu'aimer c'est souffrir, mais je crois qu'il y a une certaine part de souffrance dans toute forme d'amour et d'amitié. Une souffrance marquée par une déception possible dans la découverte de ce qu'est l'autre en vérité. L'être aimé souvent comble un ensemble de nos manques et c'est pourquoi une certaine alchimie permet la rencontre.

Mais il ne comble jamais la totalité de nos manques. Il ne sera jamais plénitude qui nous comble entièrement sinon nous entrerions dans une relation fusionnelle au risque d'étouffer l'amour naissant. C'est sans doute la première déception à intégrer, aucun être au monde ne nous comblera jamais totalement. Et c'est tant mieux car l'altérité se conjugue toujours au pluriel avec des degrés divers en fonction des relations qui tracent leurs sillons comme un bonheur à vivre. La seconde déception est peut-être celle de l'acceptation de l'autre tel qu'il est en vérité. Je t'aime toi tel que tu es non pas celui ou celle que je voudrais tant que tu sois.

Acceptant mes propres fragilités, j'ai à apprendre à aimer les chemins sinueux de l'autre. Lui permettre d'évoluer, de grandir à son propre rythme et non pas au mien. Le laisser pleinement devenir qui il ou elle est. Permettre à l'autre de marcher ainsi sur sa propre route, peut également être une cause de souffrance, de déception. Et pourtant, telle est l'essence de l'amour et de l'amitié. Ne pas oser faire ce chemin intérieur, c'est enfermer l'autre dans une image que nous nous faisons de cet être aimé. Il devient un rêve, c'est-à-dire l'ombre de lui-même.

S'il en va ainsi entre nous, il y a un risque qu'il en aille de même avec Dieu. Il peut nous arriver de nous mettre à croire à un Dieu à notre image, oubliant par là que nous avons, nous, été créés à l'image de Dieu. Ne renversons pas les rôles. Si nous nous enfermons dans une telle spirale, nous nous mettons à envisager Jésus comme étant un Dieu répondant à certaines de nos attentes pour nous-même ou pire pour les autres. Or, comme l'écrit si bien Pierre Imberdis : Jésus n'a jamais dit : éteignez les lumières, faites taire vos instruments, vivez dans l'ascétisme et la sévérité. Enfermez-vous dans une sombre pièce et priez à genoux pour être pardonnés. Il n'a jamais dit non plus : élevez vos enfants dans la crainte d'un Dieu qui juge et punit. Non, Jésus n'a jamais dit tout cela.

Par contre, il nous dit : " si quelqu'un veut marcher derrière moi, qu'il renonce à lui-même, qu'il prenne sa croix et qu'il me suive ". Certains pourraient y entendre un certain masochisme à marcher dans les pas de Dieu. Or je crois que c'est beaucoup plus simple, plus beau. Renoncer à soi, c'est renoncer à toutes nos projections sur les autres et sur Dieu. C'est permettre à chacune et chacun ainsi qu'à Dieu d'être véritablement soi. Quant à prendre sa croix, ce n'est pas quelque chose de lourd mais bien de léger. C'est vivre sa vie dans l'amour tout simplement. Comme si Jésus nous disait : prends le risque : aime et fais ce que tu veux. N'ai pas peur de briser la loi du troupeau pourvu que l'amour te guide. N'aie pas peur de te jeter dans la vie, je suis là avec toi pour apprendre à aimer. Si c'est cela aimer Dieu tel qu'il est en aimant les autres tel qu'ils sont, alors heureux sommes-nous d'être nous aussi, à notre manière, des disciples de Jésus.

Amen.

23e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

D'après une étude faite par l'école de criminologie de l'université de Louvain, il y a quelques années, il a été découvert que si l'un d'entre nous est agressé, il ne doit surtout pas crier " au secours ". Cette simple expression semble inviter beaucoup de gens à venir voir discrètement ce qui se passe mais sans pour autant passer à l'action de peur d'être agressé soi-même. Lorsqu'ils sont interrogés, ils prétendent n'avoir rien vu, ni entendu, alors que certains étaient restés regarder derrière leurs rideaux. Une forme de voyeurisme malsain. Si ce genre de mésaventure nous arrive, il est, toujours selon ces chercheurs, préférable de crier " au feu ". En effet " au secours " ne concerne que la victime tandis que " au feu ", c'est peut-être nous tous qui sommes concernés. Nos biens pourraient être touchés par les flammes et nous voulons nous en assurer.

Il n'y a évidemment pas lieu de généraliser ces attitudes et je sais que certains dans cette assemblée ont dans leur vie eu des comportements courageux où ils n'ont pas craint de prendre des risques pour d'autres. " Au secours " nous paralyse, " au feu " nous mobilise. Deux mots peuvent ainsi changer la destinée d'une personne. C'est tellement paradoxal.

Et voilà qu'aujourd'hui l'évangile nous fait découvrir qu'il existe d'autres feux dans la vie. Il y a bien évidemment celui des flammes mais il y a aussi un feu intérieur qui peut nous consumer petit à petit tellement nous glissons sur cette pente de la vie qui peut conduire à une véritable fournaise de laquelle nous ne savons pas toujours comment en sortir. Si cela nous arrive, il nous reste à espérer que nous aurons autour de nous des personnes prêtes à nous aider, à nous interpeller dans la douceur pour que nous puissions ouvrir nos yeux et prendre conscience de ce qui nous arrive et vers où nous allons. Et ce, d'autant plus que parfois tout cela est tellement inconscient que nous ne nous rendons compte de rien.

Puissions-nous chacune et chacun être entourés de guetteurs vigilants, à l'instar d'Ezékiel dans la première lecture. Des guetteurs qui nous aiment et qui au nom de cet amour se lèvent et viennent vers nous pour nous prendre la main et nous ouvrir vers un nouveau chemin. Tout simplement car, comme le clame Saint Paul, " les commandements se résument dans cette parole : tu aimeras ton prochain comme toi-même. L'amour ne fait rien de mal au prochain. Puisque l'accomplissement parfait de la loi, c'est l'amour ". C'est donc dans l'amour que cela doit se vivre. Mais si des guetteurs nous entourent, cela signifie également que nous avons à être guetteurs pour d'autres. Et là les choses peuvent parfois se compliquer un peu surtout dans notre société qui prône l'individualisme comme une valeur sûre. Et je crois qu'à ce niveau, elle se trompe lourdement. L'individualisme nous permet effectivement de nous dire " chacun fait ce qu'il veut ", " si c'est ce qu'il souhaite " voire même " à chacun ses problèmes ".

Et j'en arrive alors à ne plus m'occuper des autres non pas par respect pour eux mais surtout pour que ces derniers ne me remettent pas non plus en question. Je les fuis tout en me fuyant. Cet individualisme conduit également à nier la valeur sociale de nos actions. Il est vrai qu'il est tellement plus facile de parler des autres, que de s'adresser à l'autre. Et pourtant, pourtant, c'est ce que l'évangile nous invite à vivre sans aucune concession. Si ton frère a commis un péché, c'est-à-dire s'il pose des actes qu'il empêche de devenir lui-même, de se réaliser sur cette terre, s'il entre en rupture d'alliance avec lui-même, avec les autres, ou encore avec le Tout Autre, va lui parler seul à seul et montre-lui ses torts. Cela ne veut pas dire l'accuser, le culpabiliser, devenir moralisateur. Non c'est être capable d'entrer en tendresse, d'illuminer sa route pour qu'il découvre par lui-même la souffrance dans laquelle il s'engage.

Cela nous demande à la fois courage et discrétion, douceur et vérité, patience et déception. Nous semons en lui quelque chose de l'ordre de l'indicible pour qu'un jour, quand il l'aura décidé, il se relève de lui-même. Nous avons une tâche à réaliser : permettre à chacune et chacun de se mettre debout lorsqu'il ou elle trébuche. De la sorte, suivre le Christ ce n'est plus être spectateur mais acteur de notre vie en étant guetteur de celle des autres. Amen.

24e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Pirson Pierre
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Mt 18, 21-35

Il y a quelques années, lors d'une retraite en Côte d'Ivoire, une dame expliquait : " J'aime beaucoup le Notre Père ; ... mais pas tout ! C'est facile et c'est beau : que ton nom soit sanctifié, que ton règne vienne.... Donne-nous aujourd'hui, oui, oui, beaucoup, et encore demain.... Pardonne-nous... nous en avons fort besoin. Comme nous pardonnons ! Là, je m'arrête net ; depuis dix ans, ça bloque, ça ne passe pas. " Si nous étions vraiment attentifs aux mots que nous prions, nous pourrions souvent avouer la même chose. Comme ce monsieur qui priait, mais je crois plutôt qu'il blaguait en disant cela : " Seigneur, délivrez-moi de mes amis ; mes ennemis je m'en charge ! " Pardonner est difficile. Le pardon, comme l'amour, ne se commandent pas. Pourtant, le Christ en a fait des commandements. Le pardon est comme la fine pointe, l'expression la plus parfaite de l'amour. Je crois que, souvent, nous comprenons mal la parole de Jésus : " Si vous ne pardonnez pas, votre Père non plus ne vous pardonnera pas. " Et nous voyons une condition dans la demande du Notre Père : " Pardonne-nous comme nous pardonnons ".

L'évangile vient remettre les choses en place. Le sens de la parabole est évident : " Je t'avais remis toute ta dette, parce que tu m'avais supplié. Ne devais-tu pas, à ton tour, avoir pitié de ton compagnon ? " Le pardon vient de Dieu. Jour après jour, nous sommes constamment plongés dans le bain de la tendresse et de la compassion de Dieu, Père qui aime ses enfants et connaît leur bonne volonté et leurs faiblesses et, jour après jour, leur propose renouveau et réconciliation. Nos pardons sont comme des gouttelettes qui rejaillissent de la fontaine sans cesse jaillissante de l'immense pardon de Dieu sur l'humanité, réponse à la prière de Jésus : " Père, pardonne-leur ; ils ne savent pas ce qu'ils font ". Les petits ou grands pardons que nous accordons sont possibles grâce à la surabondance du pardon de Dieu. Pardonnant parce que nous sachant pardonnés.

Il n'empêche, le pardon reste difficile. " J'essaie, et je n'y parviens pas ; j'ai beau le demander à Dieu : l'autre m'en a trop fait voir. Pardonner oui, oublier, jamais (ce qui souvent signifie : je n'ai pas pardonné !) " Nous connaissons tous cela. Eh bien, Jésus nous donne comme un truc (passez-moi l'expression) pour pardonner : " Aimez vos ennemis ; priez pour ceux qui vous font du mal. " Avez-vous des ennemis ? ... La plupart répondront, un peu hésitants : non. Je n'ai pas peur de le dire : " J'ai des ennemis ". L'ennemi, c'est celui m'a fait ou qui me veut du mal, qui cherche à me nuire ou, à la limite, dont je crois qu'il me veut du mal. Compris dans ce sens-là, j'ai eu des ennemis et j'en ai encore. Mais je m'efforce de n'être l'ennemi de personne. Comment ? Pas avec un sourire Pepsodent hypocrite, mais d'abord simplement en priant, le coeur peut-être encore plein de colère, de rancune et d'amertume : " Seigneur, celui-là, celle-là...ce voyou (n'ayez pas peur de le dire !), bénis-le ; je ne peux pas le voir ; mais toi, regarde-le ; c'est ton enfant. " Ne demandez pas qu'il devienne ceci ou cela ; jetez-le seulement sous le regard et dans les mains de Dieu ; invoquez sur lui le nom de Jésus. Rien de plus. Mais répétez cette prière ; alors, insensiblement, notre regard sur l'autre change : nous n'oublions rien ; mais lentement nous commençons à voir l'autre avec le regard de Dieu ; et notre c½ur s'apaise. Nous entrons dans le chemin du pardon.

Un jour, au couvent de Rennes, j'expliquais cela. A la sortie de la messe, un dominicain m'a dit : " C'est la première fois que j'ai prié pour le président. " Je ne vous dirai pas en quelle année c'était ; vous ne saurez pas le nom du président, ni celui du frère ! Avez-vous jamais prié pour Ben Laden, Saddam Hussein ou Bush ? Il n'est pas trop tard, ils en ont bien besoin, comme beaucoup d'autres. Plusieurs parmi vous connaissent certainement le " rite zaïrois de la messe ". Au-delà de la danse, des chants et gestes, cette liturgie contient de grandes richesses. Notamment la liturgie pénitentielle ou de réconciliation. Le " Je confesse... et Seigneur, prends pitié " ne sont pas situés en début de célébration où, reconnaissons-le, assez souvent ils tombent plutôt à plat, mais après l'homélie. La parole de Dieu nous aide à prendre conscience de nos limites et de nos faiblesses ; même en un jour de grande fête, c'est tout naturellement que nous pouvons alors invoquer le pardon de Dieu. Le pardon et la paix reçus de Dieu, nous sommes invités à nous les partager les uns aux autres.

25e dimanche ordinaire, année A

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : A
Année: 2001-2002

Que les premiers soient derniers et les derniers premiers ! N'est-ce pas une parole bien surprenante ! Si, en ouvrant le journal du matin, vous appreniez qu'un gros industriel, directeur d'une multinationale, a tout à coup décidé de payer ses ouvriers sans tenir compte du temps réel de leur travail et qu'il a donné à chacun le même salaire fixe, ce serait un beau tollé de protestations ! Les patrons qualifieraient ce chef d'entreprise de sot ou d'inconscient. Les syndicats crieraient à l'injustice. Et, dans le monde ouvrier, chacun aussi, s'écrierait que c'est inadmissible, provocateur et immoral.

Cette parabole et le dicton qui la termine sont-ils la justification insensée de l'arbitraire ? De quoi s'agit-il ? Le sens immédiat de la parabole est donné par le contexte qui l'explique. Il est question à cet endroit de l'Evangile de Matthieu de la nature du Royaume de Dieu. Les disciples eux-mêmes mettent ce Royaume en procès : sera-t-il selon leurs vues, partial et sectaire ou selon les vues de Dieu, universel et d'amour ? En bref, donnons leur sens aux symboles. Le grand patron, maître de la vigne est Dieu lui-même. La grande entreprise, c'est la scène et l'histoire de l'humanité. Le travail à la vigne, c'est ce que chacun d'entre nous a à faire dans ses différents milieux de vie, lieux quotidiens de ses activités familiales, professionnelles, culturelles et civiques.

Voilà Dieu qui du matin au soir recrute, embauche lui-même l'humanité tout entière pour qu'elle fasse partie, un jour, du Royaume. Peu importe la génération à laquelle nous appartenons, l'appel de Dieu est lancé à tous pour travailler à la grandeur de ce Royaume. Notre Dieu est un Dieu qui donne sa chance et son amour à tous, qui appelle les hommes à partager sa gloire.

Le denier ou le salaire, toujours le même pour tous, est la part du Royaume qui nous attend. C'est, en d'autres termes, la communion aux choses éternelles et, dès à présent, notre foi au Christ.

Les ouvriers de la première heure sont le peuple élu de l'Alliance. Il ne lui sera pas donné plus qu'à ceux qui sont venus tard, plus tard et même à la dernière heure. Par-là, Jésus répond à une protestation de son peuple contre le rang égal donné aux pécheurs. Matthieu répond à la protestation soulevée par l'Eglise primitive contre l'accueil des non-juifs et l'appel missionnaire adressé aux hommes du monde entier.

Qui parle donc d'injustice à l'égard de qui ? En effet, le salaire est toujours le même : le ciel et Dieu qui nous adopte en sa bonté gratuite. Le salaire est toujours différent, selon la manière dont chacun l'accueille, là où il est au moment de sa vie. Le maître a respecté son contrat d'embauche. Oui, le Royaume sera donné en partie selon les mérites personnels d'un chacun, calculé aux heures de travail de leur effort d'amour, de charité et de sainteté. Dieu ne sera pas injuste à l'égard de ceux qui lui ont fait confiance. Par ailleurs, peut-on empêcher celui qui est juste d'être plus juste encore, d'avoir davantage encore d'amour et de bonté gratuite ? C'est de cela qu'il s'agit. Il y plus que la justice. Certes, il faut la respecter, mais il n'est pas défendu de la dépasser. C'est précisément le propre de Dieu qui est Amour. Dieu, propriétaire de la vigne, sonde les reins et les c½urs. Il ne juge pas selon la justice la plus courte mais selon les capacités et le vécu secret de chacun. Il ne juge pas seulement selon l'accumulation et la quantité des ½uvres mais selon la profondeur et la qualité de la bonne volonté. Il s'agit bien plutôt de l'égalité totale de tous dans l'amour unique et gratuit du Père qui se donne. A travers cette parabole, Jésus veut nous mener des pensées de l'homme aux pensées de Dieu. Il veut que nous nous réjouissions de la bonté de Dieu et que nous agissions de la même manière envers tous. C'est en regardant au-delà des apparences, en découvrant le noyau secret, que nous jugerons autrement. Le denier donné par Dieu est le salut éternel. Y-a-t-il un rapport possible entre un tel cadeau et nos mérites ? Qui peut revendiquer le ciel et la vie au sein de Dieu ? C'est la dernière réplique du maître aux ouvriers contestataires et révoltés de cet épisode chez Matthieu qui en livre le sens. « Parce que moi je suis bon, faut-il que vous soyez jaloux ? » Jaloux de quoi ? D'être trop aimés ? C'est bien ce que Dieu vous nous révéler. Tout est donné, offert, gratuit ! Qu'est-ce que la justice a à voir là ?

On comprend l'ordre de l'amour quand on aime. N'y a-t-il pas d'amour plus grand que celui de rester fidèle aux exigences d'un conjoint ? L'amour vrai vient de la liberté du c½ur. Là, il n'y a ni droit à exiger, ni obligation à donner, ni lois concernant le moment ou la durée. Un amour qui dépasse la justice n'est pas arbitraire, il est divin. Et cet amour divin est toujours neuf. Pour chacun, la vie est un mystère entre Dieu et lui. Partant de ce mystère, il ne faut plus comparer. Comme Israël n'avait pas à revendiquer son élection de peuple élu en privilège, ainsi, la fidélité de notre foi n'a rien à exiger. Faisons confiance à Dieu pour ce qui est de son amour et refusons de comparer nos mérites.

Alors, nous saisirons le sens de la conclusion de St. Mathieu. Oui, la justification, par Jésus, de la libéralité divine à l'endroit des pécheurs convertis et pardonnés, bouleverse nos hiérarchies de valeurs. De dernier, avoir la possibilité d'être premier, c'est le renversement qu'opère la parole de Dieu au sein de l'impuissance humaine. Ce qui règle notre statut devant Dieu, ce n'est pas la conscience de nos vertus mais c'est la force de notre foi. Pour Dieu, la plus grande misère reconnue et dont on ne prend pas son parti, appelle la plus grande miséricorde. C'est là le mystère des « droits de l'amour » en Dieu.

Rappelons-nous que Jésus ne nous a pas seulement parlé de bonheur et de renversement des valeurs mais que, dans l'évangile, des visages et des noms ont illustré « ces derniers devenus premiers ». Evoquons Marie-Madeleine et la femme adultère, Zachée et le centurion, Simon le pharisien et le bon larron... Ainsi la réalité va plus loin que la parabole. Aujourd'hui encore, la miséricorde de Dieu est toujours en chasse et opère en nos âmes les mêmes prodiges d'amour. Efforçons-nous d'acquérir cette compassion de Dieu exprimée en Jésus. Un regard clément sur la faiblesse, une attention vive à la blessure, une invitation à l'espérance... L'amour de compassion est cette inquiétude pour l'autre qui lui offre une chance, cette sollicitude de l'autre qui ouvre un avenir pour mieux vivre. Et si nous pouvions croire à cet amour de Dieu pour nous. Si nous pouvions être tendre comme Dieu !