30e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Materne Pierre-Yves
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Au bord de la route, un aveugle, appelé Bartimée, est assis avec sa souffrance et son unique manteau.

Les habitants de la ville l'ont enfermé dans une identité étroite. Après tout, c'est un aveugle parmi d'autres, il n'est guère intéressant de s'y arrêter. Cet homme est complètement rejeté, oublié, exclu de la société. Il n'existe plus aux yeux de ses contemporains. Soudain, l'aveugle se met à crier pour appeler Jésus. Il refuse de rester silencieux. Il lui faut du courage pour oser se faire remarquer. S'il n'avait rien dit, Jésus serait probablement passé sans le voir. Mais Bartimée a rassemblé ses forces pour sortir de son état silencieux. Grâce à cette audace, Jésus s'est laissé toucher. L'aveugle est guéri par son cri, sa confiance et sa reconnaissance du Christ.

" Va ta foi t'a sauvé ". Jésus l'invite à vivre sa vie. Délivré de son aveuglement, il s'élance sur la voie tracée par Jésus. D'un bond, il quitte son vieux manteau vers une nouvelle vie. L'histoire de Bartimée ressemble un peu à la nôtre. Durant notre enfance, on nous a dis qui on était. On s'est construit une sorte de carapace semblable au manteau de l'aveugle. Et nous n'étions peut être pas apprécié à notre juste mesure. Oh, lui, c'est un paresseux. Oh, elle, c'est une craintive. Ce genre de définition finit par limiter la place de l'autre.

Nous pouvons nous donner à nous-même cette identité. Nous avons certaines croyances sur nous qui aveuglent. Si nous nous y sentons trop à l'étroit, en marge de notre chemin de vie, nous pouvons éprouver le besoin de crier. Le cri intérieur ou extériorisé, signifie un désir de sortir de l'enfermement et de l'aveuglement. C'est la volonté d' y voir clair, de sortir de l'obscurité. Il y a toutes ces expériences qui nous font voir nos limites. La foule des idées, des pensées voudrait nous faire taire, nous résigner. Nous avons des limites, c'est vrai, mais nous pouvons refuser d'y être enfermé.

Par une décision, faite d'audace et de courage, nous sommes capables d'aller vers une nouvelle manière d'être plus authentique. Le fait d'avoir un caractère plus secondaire, par exemple, ne soit pas conduire à se définir comme lent ou paresseux. Si c'était le cas, nous serions comme Bartimée enveloppé dans son manteau d'aveugle.

Le message de l'Evangile, c'est que toute personne est unique et aimée de Dieu. Si nous sommes parfois prisonniers de certaines identités, Dieu nous invite à nous en libérer par le courage et la confiance. Par un acte libre et courageux, qui commence éventuellement par un cri, nous pouvons nous élancer vers Dieu qui nous appelle à vivre comme des personnes uniques et dignes d'amour. Armé de notre courage, nous entendrons alors au fond de nous : " Va, ta foi t'a sauvé ".

33e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Coulée André
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Ce texte apparaît, chez St Marc, comme une dernière révélation avant la Pâque dont le récit commence juste après. L'évangéliste veut, dans ce texte, donner un sens à l'aventure de Jésus qui se termine : où va-t-on ? Qu'est-ce qui va se passer. Eh bien, Dieu va se manifester. A cette époque les Juifs et aussi les chrétiens vivent une situation dramatique de menace, à l'instar de la menace qui pesait sur les Irakiens quelques mois avant la guerre 'Iraq : l'ennemi est là, il va attaquer et détruire le temple de Jérusalem (en 70). Cela va être terrible. C'est la fin d'un monde. Et Jésus utilise alors les images habituelles correspondant à la conception de son temps au sujet de l'univers : des étoiles pendent comme des lustres et elles vont tomber, grand branle-bas dans le ciel qui va nous tomber sur la tête ! Aujourd'hui aussi des gens ont vu le ciel s'obscurcir lors de l'explosion de la bombe atomique, le sol s'entrouvrir, les choses disparaître lors de tremblements de terre choses : voilà que les choses apparemment les plus solides auxquelles nous nous raccrochons sont en fait précaires. Alors si c'est à cela que doit aboutir tout ce que Jésus a mis en branle, ça pose question.

En fait, dans la Bible, la manifestation de Dieu apparaît toujours sous des images apocalyptiques : Dieu se fait voir et entendre. Beaucoup de fondamentalistes aujourd'hui nous font croire que le retour de Jésus est proche puisque des événements graves et des catastrophes naturelles en seraient les signes. Mais ne dit-on pas que au milieu des ruines il y a toujours une petite fleur qui pousse, qu'après l'orage il y a toujours un oiseau qui chante, et Jésus quand il parle de signes de sa présence, de sa manifestation, de sa venue nous dit de regarder le figuier qui reverdit et annonce la vie, signe de renaissance printanière et donc de vie. L'apparition de ses bourgeons et de ses premières feuilles est le signal infaillible de la venue des beaux jours. Le message est clair : des signes sont sous nos yeux qu'un nouveau monde est en train de naître.

Jésus discerne dans les craquements d'un monde les signes annonciateurs d'un avenir aux couleurs de Pâque. Ce monde nouveau est celui que Jésus inaugurera lors de son retour ; c'est ce qu'il appelait le Règne de Dieu. Il nous invite donc à découvrir et à nous laisser prendre par les germes de vie qui sont des signes du Royaume, c'est-à-dire de lui-même qui vient pour tout renouveler S'il n'y avait pas le figuier, toute cette description ne pourrait qu'engendrer la peur.

Mais qui regarde un petit figuier quand tout le reste semble écrasant ? Nous faudra-t-il encore bien des cataclysmes pour que, enfin, nous fassions attention au signe du figuier ? Non ! Alors ouvrons-les yeux : que voyons-nous aujourd'hui qui sont, pour notre foi, comme des signes d'un monde nouveau qui naît et grandit. Je pense, par exemple, à tous les essais et les réalisations de dialogue interreligieux, phénomène appelé par certains « tolérance active ». Quand hommes et femmes prient ensemble toutes religions confondues, n'est-ce pas augure de relations fraternelles nouvelles qui font l'essence même du Règne de Dieu. Quand nous croyons et sommes de plus en plus convaincus que Jésus est venu pour sauver tous les hommes et que son Esprit inspire la pureté d'autres religions, qu'il y est à l'½uvre, qu'il y a plusieurs chemins pour être sauvés comme il y a plusieurs demeures dans la maison du Père : n'est-ce pas le début d'un retournement complet où tout sera sens dessus dessous. Et les chocs interculturels, les confrontations ne sont-ils pas des signes précurseurs de la justice de Dieu qui vient, justice caractéristique du Règne, tout comme le pénible travail de l'accouchement est signe de la vie qui apparaît plus criante qu'avant. Toutes les oppositions à la guerre, tous les travaux de préparation de la paix ne sont-ils pas aussi des marques de l'Esprit de Jésus qui est à l'½uvre en notre monde , inspire des personnes de toutes races et cultures et ainsi rend vie et espérance au monde ?

Et si aujourd'hui nous sommes intéressés à ce qui se passe ailleurs et que naissent des solidarités réelles, à partir de découvertes humbles d'autres cultures, de la valeur des autres, n'est-ce pas en partie parce que ce qui se passe dans le monde devient transparent grâce à l'information que par ailleurs nous pouvons souvent décrier de ne donner que des images de mort. L'information bien faite peut être pour nous ce figuier qui annonce le printemps.

Mais il ne s'agit pas d'être des spectateurs passifs, il nous faut provoquer ces signes, les faire naître, les créer. Nous sommes placés devant un choix : construire en connaissance de cause de notre foi, un monde qui devienne signe d'espérance pour tous et ainsi rendre plus proche le règne de Dieu.

Peu importe la date de son retour, l'essentiel est de le faire vivre, et préparer son retour est aussi, d'une certaine manière, rapprocher Jésus et son message de la vie du monde. Nous avons le choix entre le « mangeons et buvons, demain nous mourrons ; la fin du monde arrive » et « vivons et construisons cette société, telle que Jésus la veut et où il fera bon vivre ». C'est une option à prendre. C'est le sens de la mise en garde finale. Et prenez garde nous dit Jésus, soyez éveillés, pas simplement comme des gens qui épient le voleur possible, mais comme des enfants qui, éveillés, inventent toutes sortes de façons de manifester qu'ils vivent. Il ne s'agit pas d'attendre et de voir venir des événements qu'on va subir : Parce qu'on attend vraiment que Jésus arrive, c'est activement qu'il nous faut préparer cette venue, faire voir qu'il est proche en faisant bourgeonner nos vies et annonçant ainsi le printemps de la vie. L'espérance est à ce prix.

34e dimanche ordinaire, année B (Christ Roi)

Auteur: Coulée André
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Jn 18, 33-37

C'est très curieux qu'on ait inventé cette fête au siècle passé alors que Jésus ne s'est jamais proclamé roi. Dans chacun des 4 évangélistes, lorsque Pilate lui demande s'il est roi - puisque c'est l'acte d'accusation des juifs - Jésus répond : « c'est toi qui dis ça ». Et lorsque, après la multiplication des pains, les gens ont voulu le faire roi, il s'est enfuit dans la montagne. Pourquoi alors cette fête ? Nous pouvons nous poser la question : ne serait-ce pas nous qui avons besoin d'un roi ? De même que du temps de Samuel où le peuple hébreu était guidé par des juges sages, les gens ont voulu à tout prix un roi, comme les autres nations païennes en avaient. Et Dieu ne leur a accordé ce roi que parce qu'ils avaient la tête dure.

D'ailleurs, l'origine de cette fête instaurée en 1925, époque des grandes idéologies politiques et de la naissance des états fascistes ne se place-t-elle pas dans un besoin de l'église catholique d'affirmer son pouvoir face au pouvoir totalitaire des états, tout en voulant montrer que l'état n'est ni source ni fin de la vie humaine. Je me rappelle du temps où, dans mon adolescence, nous marchions dans les rues de la cité, drapeau en tête, pour célébrer ce Roi, un peu comme certaine jeunesse dans d'autres pays. En fin de compte, parler de Jésus comme roi, c'est peut-être exprimer notre propre conception de Jésus, notre besoin d'être régentés, gouvernés, notre besoin d'une autorité qui ne repose pas sur la personne mais sur la charge, et cela nous permettrait de ne pas prendre toute notre responsabilité ! Bien sûr Jésus parle aussi de Royaume mais comme celui de Dieu, tellement différent de notre conception, et si nous regardons les qualités du roi telles qu'exprimées dans la Bible il s'agit de celui qui est avant tout serviteur de son peuple, défenseur de la veuve et de l'orphelin. C'est le pouvoir du service.

Quoiqu'il en soit, Pilate, lui, sait bien que son autorité ne dépend que de sa charge de gouverneur, reçue de Rome, et s'imagine donc qu'il n'y a pas d'autre autorité possible. Aussi le risque que Jésus soit roi, selon l'accusation des juifs, c'est bien dangereux pour son propre pouvoir à lui. D'où sa question. Or Jésus répond à la question de Pilate de savoir s'il est roi : « C'est toi qui dis cela. (sous-entendu : pas moi) Moi, je suis né et venu pour rendre témoignage à la vérité. Celui qui est de la vérité m'écoute. » Jésus reste dans la logique de la question de Pilate mais pour affirmer qu'il s'agit de tout autre chose, et que ce qui l'intéresse, sa mission, c'est de faire connaître la vérité par son témoignage personnel.

L'autorité de Jésus, en fait, tient à ce qu'il est témoin de la vérité ; nous dirions une autorité morale. Voilà sa royauté. S'il est souvent dit dans les évangiles que Jésus parlait avec autorité, alors qu'il n'était qu'un gueux parmi d'autres dans son pays, c'est parce qu'il est témoin de la vérité, et non en raison d'une investiture quelconque. Alors Pilate ironise en disant « mais qu'est-ce que la vérité », « c'est quoi ça ? ». Sans doute sait-il bien que pour gouverner efficacement un pays et en politique la vérité n'a pas souvent grand'chose à voir, et que cela permet de garder les gens sous contrôle. Or Jésus a déjà dit au cours de sa vie que « la vérité vous rendra libres ». Il affirme ainsi que face à la recherche de la vérité, nous sommes tous sur pied d'égalité.

En effet nous aurons alors à nous positionner librement nous-mêmes face à lui et non en fonction d'une injonction du pouvoir. Oui la vérité sera toujours critique du pouvoir surtout dictatorial, pouvoir qui tronque cette vérité. Si donc on peut dire que le Christ est roi, c'est parce qu'il dit la vérité, qu'il est la vérité et en ce sens qu'il est en lui-même le terminus de ce que tous nous cherchons dans nos vies. Alors, aujourd'hui, nous tournons-nous vers le Christ parce qu'il est roi ou parce qu'il est la vérité ?

Face à la vérité, nous sommes tous, chrétiens ou non, sur le même pied. « Quiconque est de la vérité écoute ma voix ». Le Christ rassemble et unit tous ceux qui cherchent la vérité. Et qui essaient de vivre dans la vérité de leur être, de leurs paroles, de leurs actes, de leurs croyances. En fait tous les hommes ont en eux et dans leur conscience une parcelle de vérité. Et la totalité de la vérité est en Dieu, vérité et Dieu dont témoigne le Christ. S'il est roi, il l'est de ceux qui vivent dans la vérité. Et personne ne peut - pas plus nous que les autres - dire qu'il a la vérité. Reconnaître la vérité dans les paroles de mon voisin, qu'il soit chrétien, musulman, hindouiste, athée, c'est reconnaître qu'il a quelque chose de l'Esprit de Dieu.

Il ne s'agit pas d'être tolérant dans le sens où nous serions condescendants envers quelqu'un qui n'a pas la même chance que nous, il s'agit de reconnaître dans la vérité de l'autre quelque chose de la vérité de Dieu, de la vérité tout entière dont nous savons, dans notre foi, que le Christ est le témoin absolu. Si la fête parle du Christ roi de l'univers, c'est bien parce qu'il rassemble tout le monde - c'est notre foi- à qui il offre la vérité tout entière, et parce que chercheurs de vérité tous nous convergeons vers lui. Oui, il est le principe d'unité de son peuple comme un roi peut l'être et, comme dit St Paul dans sa lettre aux Ephésiens, Dieu veut ramener toutes choses et donc, à fortiori toute personne, sous un seul chef, une seule tête : le Christ. Si nous voulons que le Christ soit roi, et donc qu'il rassemble hommes et femmes dans le Royaume de Dieu, marchons vers lui comme chercheurs de vérité et susciteurs de vérité autour de nous, et puissions-nous en vivre grâce aussi à tous ceux et celles qui nous en font découvrir une parcelle.

3e dimanche de Carême, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Il y a trois ans lors d'une visite de soutien à un projet dans une région des grands lacs d'Afrique, les rebelles avaient fait savoir que s'ils me prenaient, ma tête serait mise à prix à 4.000 dollars pour la rançon. Je vous avais dit à l'époque que j'avais été un peu vexé d'avoir si peu de valeur à leurs yeux, ma seule consolation ayant été de me dire que dans la monnaie locale cela faisait quand même un million six cents mille francs.

Alors sur cette base, imaginez-vous un instant seulement que je vienne vers vous " monsieur " et que je vous dise ceci : " cher monsieur, je ne sais pas si votre épouse est à vendre mais je suis prêt à vous l'acheter pour la somme de ¤ 4.000 ". Vraisemblablement, en tout cas je l'espère, vous allez me regarder d'un drôle d'½il et sans doute me dire " Monsieur, je ne vous permets pas ". Je me mets alors à insister en vous proposant de passer à ¤ 4.200. Vous me prier cette fois sèchement de me taire. N'en ayant que faire je poursuis et vous dit : " écoutez, je suis quand même très généreux de vous proposer une telle somme car quand je regarde votre épouse, elle n'est quand même plus des plus fraîches. Le dur labeur de ses années ont salement marqué son visage ". Et à ce moment précis, votre colère éclate. Cette colère me paraît effectivement une saine colère face à mon manque total de respect tant vis-à-vis de votre épouse que de vous-même.

Je me demande alors si la colère qui a traversé le Christ dans le Temple en renvoyant ces fameux marchands n'était pas un peu le même type de colère : une saine colère, une colère salutaire. En effet, un être humain, une relation cela ne s'achète pas, cela ne se négocie pas. Et il en va de même avec Dieu. Notre Dieu ne s'achète pas et ne se négocie pas. Nous avons à toujours veiller pour ne pas dégrader notre foi en utilisation du divin. Et il est très facile de tomber dans un tel piège. Qui d'entre nous, même dans la foi, n'est pas au moins une fois dans sa vie entré dans une dynamique de négociation avec Dieu par des mots tels que ceux-ci : " Seigneur, si tu me permets d'obtenir ceci et bien, moi en contre-partie de te promets de faire cela ". Nous entrons de cette manière dans une relation contractuelle avec obligation de part et d'autre. Il y a donc une négociation au départ.

Or Dieu ne se négocie pas, Dieu ne s'achète pas. Un peu comme s'il n'avait que faire de toutes ces demandes de signes que nous attendons de lui pour mieux nous rassurer dans notre foi en lui. L'être humain attend donc un signe et le Christ fait un don, celui de sa Résurrection. Mais nous ne pouvons recevoir un tel cadeau que si nous croyons. Notre foi devient ainsi gratuite. Elle ne se négocie pas. Elle se construit d'une manière toute simple par le biais de notre prière. Une prière que chacune et chacun découvrira par lui-même car il n'y a pas d'école de prière. En effet, la prière, ce dialogue tout simple entre Dieu et nous, est éminemment personnelle. Elle variera en fonction des personnes, des expériences de vie mais également des étapes de la vie. La prière est donc d'abord et avant tout une question de relation entre Dieu et nous. Et comme nous la savons, une relation cela ne s'achète pas.

C'est pourquoi non seulement Dieu ne se négocie pas mais il ne s'achète pas non plus. Non, le Dieu qui nous rassemble est un Dieu qui se laisse rencontrer, qui se laisse aimer. Et nous le vivons dans l'intime de notre être, là où lieu se révèle également dans toute son intimité. C'est une des conséquences du don de la Résurrection, c'est-à-dire qu'elle annonce la fin d'une certaine manière d'emprisonner Dieu dans des lieux et des demeures.

En offrant la Résurrection, Jésus purifie notre temple par sa saine colère pour nous rappeler que c'est dans la relation que la foi se vit car la résurrection finalement c'est partout où deux ou trois sont réunis en son nom. Une fois encore nous découvrons que nous ne pouvons ni contrôler, ni négocier, ni acheter ce qui donne sens à nos vies. Notre foi se vit dans l'abandon et la confiance en Dieu.

Alors permettez-moi de conclure par cette petite anecdote racontée par Timothy Radcliffe et que plusieurs d'entre vous connaissent je crois. Un jour, un homme au volant de sa voiture rate un virage et tombe dans un ravin. Par je ne sais quel hasard il se retrouve accroché à une branche et voilà que l'idée de Dieu lui paraît à nouveau intéressante. Il crie alors vers le Ciel : il y a quelqu'un là-haut. Et une voix lui répond : oui mon enfant, je suis là, fais-moi confiance, lâche la branche et jette-toi dans le précipice. L'homme réfléchit un instant puis crie à nouveau vers le Ciel : n'y aurait-il pas quelqu'un d'autre là-haut ? ". Alors, sachant que Dieu ne se négocie pas, que Dieu ne s'achète pas mais qu'il se rencontre dans l'expérience de l'abandon, honnêtement, est-ce que vous lâcheriez la branche vous ? La réponse se vit entre Dieu et chacune et chacun de nous.

Amen.

 

3e dimanche de l'Avent, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Avent
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Il faut dire que pendant toutes ces années, lorsqu'il était responsable de ce mouvement, il avait donné beaucoup de son temps. Au départ l'association était petite, ne touchait que quelques personnes, mais sous son impulsion, grâce à son savoir-faire et surtout son savoir-être, il l'avait développée en un projet au niveau national. Le nombre d'adhérents se comptait par centaines. Puis vint ce fameux jour, où estimant qu'il avait fait le tour de la question, il décida de démissionner pour commencer de nouvelles aventures ailleurs. Son successeur avait repris les choses en main mais il n'avait pas son charisme. Très vite le mouvement traversa une crise. Lui qui avait donné tant d'années de sa vie aurait dû être attristé mais voilà qu'il se sentait traversé de sentiments plus ambigus. C'est vrai, il était triste de voir ce qui se passait mais en même temps au fond de lui-même, il y avait comme une espèce de joie profonde qui lui rappelait ô combien il avait fait du bon travail et qu'il était difficilement remplaçable. Combien d'entre nous n'ont pas vécu quelque chose de similaire lorsque nous passions le flambeau au suivant.

Il est si difficile de se laisser remplacer par un successeur sans pour autant le critiquer. Et cela commence très tôt, quel sizenier chez les louveteaux et lutins, quel CP chez les scouts et guides, quel capitaine d'équipe de foot, et je peux continuer la liste, lequel d'entre eux souhaite vraiment que leur successeur fasse mieux qu'eux. Il est vrai qu'il nous arrive parfois, voire même souvent de mal accepter que d'autres viennent s'investir, innovent sur des terrains considérés comme des " chasses gardées " et font alors mieux que nous. Notre ego en prend un sacré coup. S'il en est ainsi c'est parce que nous avons dans ce processus commis une erreur que l'évangile de ce jour remet en pleine lumière. Notre erreur, c'est de nous être approprié le projet, la mission pour nous tailler un petit succès personnel. Nous avions ramener les choses à nous-mêmes plutôt que de les laisser là où elles devaient être.

Or un témoin, un vrai témoin pour remplir sa mission doit quelque part, comme dans une course à pied, passer le témoin au suivant qui lui aussi fera de même et ainsi de suite. Jean-Baptiste nous révèle de la sorte que la première attitude du témoin est celle d'avoir l'humilité de reconnaître que nous ne travaillons pas d'abord pour nous mais pour un autre. Si son message a effectivement traversé les siècles, c'est parce qu'il n'était pas la finalité de sa prédication. Il ne prêche pas pour lui, il annonce la venue de quelqu'un plus grand que lui dont il ne peut même pas défaire la courroie de sa sandale. La force de son témoignage réside en cette capacité à se concentrer sur son message en toute humilité.

Toutefois pour que cela puisse être entendu par d'autres, ce n'est pas suffisant. Un témoin a également besoin d'habiter ses mots, des les enraciner en lui sinon ils ne vibrent pas mais sonnent creux. Il y a donc une adéquation entre les propos que nous disons et les attitudes que nous avons. Un témoin ne peut se dissocier de sa parole. Un peu comme si, une absence de cohérence conduit à proposer un mensonge et nos auditeurs ne sont pas dupes. Témoigner de ce qui habite au plus profond de notre être demande donc la convergence de plusieurs valeurs : humilité, vérité et cohérence. Ces trois valeurs donnent du poids à nos propos et nous rendent crédibles lorsque nous nous mettons à témoigner. En effet, la foi nous a été transmise et nous l'avons reçue même si elle reste parfois traversée de doutes.

Au fil des années, cette foi nous a façonné dans la manière dont nous vivons notre vie, dans les choix que nous posons sinon elle serait vaine. Toutefois celle-ci ne peut s'enfermer en nous, nous ne pouvons pas nous l'approprier. Nous la recevons, nous la méditons pour l'offrir à d'autres. En effet, si la foi donne sens à ma vie, il est important de ne pas la garder mais plutôt de la partager. C'est pourquoi, nous aussi, là où nous en sommes sur notre chemin, nous sommes conviés à donner à d'autres le témoin de cette foi qui nous a été donnée un jour et que nous avons acceptée. Ce témoin se transmet par la contagion de ce qui habite au plus profond de notre être. Et pour ce faire, il nous suffit de vivre des trois valeurs qui feront de nous, à l'image de Jean le Baptiste, de vrais témoins du vingt et unième siècle. Que l'Esprit nous éclaire alors pour que nous vivions l'humilité, la vérité et la cohérence afin de devenir de vrais témoins de Dieu non pas pour nous mais pour Lui.

Amen.

3e dimanche de Pâques, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Il y a quelques temps, une amie m'avait demandé de rencontrer une de ses proches qui venait de se séparer de son mari après seulement quelques mois de mariage et était en plein désarroi. J'accepte de rencontrer cette jeune femme et rendez-vous est pris sur la terrasse du Grand Place à Louvain-la-Neuve. Au cours de la discussion, racontant son histoire, elle se met à pleurer. Je me voyais mal lui prendre la main alors que je ne la connaissais pas depuis plus d'une demi-heure. Je l'écoutais. Elle parlait, elle pleurait et me disait ô combien cela faisait du bien.

A un moment donné, me sentant épié, je regardai distraitement vers les tables voisines. Quelle ne fut pas surprise d'y croiser des regards de dureté, de haine à mon égard. Pour ces gens, j'étais vraisemblablement le mari méchant, incapable d'aucun geste de tendresse à l'égard de celle qui à leurs yeux devait être ma femme. Je n'en revenais pas et je n'avais qu'une envie : celle de me lever et de leur dire " bande de cons vous n'avez rien compris ". Mais par respect pour la jeune femme devant moi qui se libérait de son chagrin, je suis resté assis.

Si je vous raconte cet événement passé, c'est parce que je crois qu'il nous arrive très souvent lorsque nous sommes quelque part d'observer ce qui se passe autour de nous et d'analyser l'événement à partir de nos propres projections et fantasmes. Qui d'entre nous, dans un restaurant, voyant un couple qui mangeait et ne se parlait pas, ne s'est pas dit qu'ils s'ennuyaient ensemble alors qu'ils avaient peut-être tout simplement envie de ne pas cuisiner et d'être ensemble tellement ils se sentent bien à deux, (à l'instar de notre seconde lecture). La table n'est donc jamais un lieu neutre. Dans certaines familles, aimer c'est manger en regardant dans la même direction, c'est-à-dire la télévision. Manger de cette manière permet-il une véritable rencontre ? Je me permets de nous poser la question.

Puis il y a ces tables familiales qui sont de véritables moments d'échange, de partage. Nous sommes rassemblés autour d'une table pour partager non seulement un repas mais également ce qui nous habite, un peu de ce que nous sommes lorsque nous sommes entre intimes. Un repas n'est donc pas neutre et c'est vrai que la qualité de ce qui est servi contribue au plaisir d'être ensemble.

La table familiale ou amicale est également un lieu où se traduisent certaines émotions. Nous prenons le temps de sceller entre nous certains types de relation. Parfois nous avons nos places, parfois nous les choisissons en fonction de nos affinités. Le repas n'est donc jamais neutre et il dit quelque chose de ce qui se vit entre les personnes qui sont là et qui mangent ensemble.

C'est sans doute une des raisons pour lesquelles, dans l'histoire du Christ, nous pouvons nous étonner qu'il passe tant de temps à table. Si nous relisons les évangiles, c'est frappant. Il mange à Cana, il s'invite chez Zachée pour aller manger, il mange plusieurs fois à Béthanie chez Marthe et Marie, il partage un repas avec des milliers de personnes lors de la multiplication des pains, il est à table lorsque Marie-Madeleine lui brise un flacon de parfum, il partage sa dernière Cène au cours d'un repas. Voilà ce qu'il en est pour le Christ historique. Mais il a du apprécier parce qu'il remet cela alors qu'il est ressuscité, il mange le long du lac de Tibériade, il est reconnu à table lors de sa rencontre avec les disciples d'Emmaüs et voilà qu'aujourd'hui, il mange à nouveau.

Il devait avoir un sacré métabolisme parce vu ce qu'il mangeait, comment se fait-il qu'il est toujours représenté de manière aussi mince. J'en suis presque jaloux. Le Christ passe beaucoup de son temps à table car il avait sans doute compris que c'est un lieu essentiel de rassemblement, de partage, de moments de bonheur. Nous sommes alors invités à vivre cela au cours de nos eucharisties. Elles doivent être un moment où nous sommes bien les uns avec les autres et également avec Dieu.

Elles sont importantes car elles nous permettent de partager ensemble cet avant-goût de nourriture céleste qui nous rappelle que, de cette manière, nous formons ici sur terre le Corps vivant du Christ Ressuscité. Ne soyons alors pas indifférents les uns aux autres alors que nous partageons un peu de notre temps dans cette église mais vivons nos eucharisties comme de véritables temps de partage car nous avons compris que c'est autour d'une table que le Christ nous rassemble. Mais pas n'importe laquelle, nous sommes conviés autour de la table de la résurrection, celle qui nous fait découvrir ensemble que la vie se poursuit dans la vie éternelle. Telle est la joie de notre table eucharistique. Que cette joie marque alors nos visages de croyants.

Amen

5e dimanche de Carême, année B

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps du Carême
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

 

Jn 12, 31-33

L'évangile de ce jour devrait nous étonner. Jésus y parle du démon, il l'appelle le « Prince du monde, le Prince d'ici-bas ». Il en parle comme d'une réalité, comme d'une force dans le monde. Il semble bien y croire, lui. Il va même le bouter définitivement dehors, dit l'évangile : « Voici maintenant que le prince de ce monde va être jeté dehors. »

Quant à moi, il me faut peut être courir le risque du ridicule pour oser parler sérieusement du diable dans une assemblée de chrétiens de l'an 2000 ! Mais puisque Jésus l'a fait, je puis bien suivre son exemple car ne pas ou ne plus y croire n'est ce pas lui donner trop vite la voie libre. Il réussirait sa man½uvre la plus habile : passer dans la clandestinité, faire douter de son pouvoir. Or, il suffit de lire l'évangile pour voir que Jésus lui-même se heurte, tout au long de sa mission, à une puissance du mal, incroyablement active. Et il s'en suit cette chose étonnante que c'est en réalité presque tout le monde, au temps de Jésus, qui se révèle un peu Satan : Les prêtres et les riches, les Romains et les Juifs, les hommes et les femmes. Partout Jésus découvre les démons et les détrône. Le Christ ne dit-il pas que certains d'entre nous abritent un, sept, huit démons, voire une légion !

Oui, Satan est le mal présent et c'est bien les hommes de ce monde qui lui donnent visage. Pour vous parler du démon, je vous donnerai beaucoup mieux que des preuves. Je ferai appel à votre expérience d'abord, à l'expérience monumentale du mal dans le monde ! Il y a dans l'action du mal dans le monde à la fois quelque chose d'étrangement subtil et sournois et quelque chose de prodigieusement habile et aussi, quelque chose de tellement énorme, monstrueux que cette ampleur-même dénonce son auteur. Pensez à la cruauté cynique des bourreaux et voyez-les au dehors : bons époux, tendres pères, voisins aimables ! Quelle est la force démoniaque qui agit en eux aux heures de malheur ?

Que dire du monde des affaires ou de l'univers politique ! Et si on se met à l'échelle mondiale, ce n'est que déséquilibres et horreurs conjuguées. Moins de 1/3 du monde doit surveiller sa ligne et le reste de l'humanité meurt d'épuisement ! Cela est-il dû à la simple méchanceté des hommes, cela est -il le résultat de forces occultes qui échappent aux individus ou qui nichent dans l'inconscient ? Tout se passe comme si l'homme devenait le jouet d'une puissance diabolique qui l'utilise pour ses fins. Il y a pire encore. C'est cette sorte de froide dureté, de cynisme serein avec lesquels l'humanité considère, à certaines heures, son propre suicide (pensons aux armes nucléaires), comme si quelque chose d'aveugle, d'inhumainement orgueilleux gouvernait le monde et qui rappellerait la première révolte et le premier révolté.

On ne peut s'empêcher de soupçonner alors l'influence de celui qui, le premier, préféra sa ruine et son propre anéantissement à l'acte d'amour qui lui était demandé. Il s'agit de Lucifer, le soi-disant lucide Lucifer ! Certes, trop croire à l'action du diable serait lui faire trop d'honneur. Le seul Tout-Puissant, et tout aimant à la fois, est Dieu. Le seul Rédempteur et le seul Messie, c'est le Christ et, Jésus nous tente et nous hante infiniment plus par le bien que Satan par le mal. Mais il reste dangereux de nier le diable. Le meilleur moyen de le servir serait de l'oublier. Oh ! Le diable ne se montre pas en personne à nous. Il lui suffit d'une méchante colère, d'une folle rancune, d'un peu d'argent ou d'un peu de chair pour, par-là, nous avoir à sa merci. Nous sommes tous, à certaines heures, faits de ruines ou de convoitises, d'affreuses inattentions ou de misères secrètes dont Jésus lui-même nous parle dans diverses paraboles. Jésus y voyait lui la preuve de l'action du diable.

Ainsi, dans la parabole de la semence tombant sur la rocaille ou dans les ronces, il nous parlait de la rapidité inouïe avec laquelle l'homme oublie la parole de Dieu. Le Christ y voit un phénomène surnaturel. Il ne l'explique comme possible que par l'intervention du diable. Voici encore une autre expérience de l'action du démon, indique l'évangile. « Il y a un genre de démon dit Jésus qui ne se chasse que par la prière et comme il est toujours là, cela veut dire qu'il y a, par moments en nous, un genre de diable qui s'oppose à ce que nous priions pour le vaincre. On trouve à nouveau une autre expérience de la présence du démon en lisant l'Evangile quand Jésus a parlé pour la première fois de l'Eucharistie, c'est à partir de ce moment, notera St. Jean que beaucoup n'allèrent plus avec lui ou le quittèrent définitivement. Quant à nous aujourd'hui, beaucoup croient à l'Eucharistie, mais beaucoup moins la fréquentent régulièrement. Le malheur, c'est que Satan ou les démons croient aussi à l'Eucharistie et à la présence réelle, mais ils ne communient pas à cet amour, eux non plus.

Enfin, il y a dans l'Evangile des esprits mauvais, figures mineures du diable, innombrables expériences du Mal. C'est le démon muet qui tue l'amour par le silence rancunier. Ce sont les 7 démons de la sensibilité anarchique que Jésus chasse d'une pécheresse. C'est la légion des démons qui possède un jeune homme puis se réfugie dans des pourceaux. C'est enfin, le démon du mensonge qui pervertit les rapports entre les hommes et dont Jésus dit qu'il a, ce mensonge, le diable comme père.

L'Evangile et l'expérience humaine attestent bien de la présence au monde de ce que nous appelons le démon. Mais quel est-il enfin ? Est-il un être personnel, la présence du mal dans le monde ou simplement la somme de nos péchés ? Pour l'évangéliste Jean et la tradition chrétienne, il s'agirait bien d'une créature spirituelle révoltée, endurcie dans la rébellion et inversant toutes les valeurs. Le terme de « personne », comme on parle de personne humaine, convient peu à un pur esprit. On se trompe donc en se demandant si Satan est une personne et on se trompe aussi en répliquant qu'il n'est certainement pas un être personnel. Le langage ici est analogique et vacille toujours pour exprimer des réalités surnaturelles. En hébreux : « Shatan » est l'adversaire, le révolté, celui qui rompt les liens entre Dieu et les hommes, l'ennemi qui s'oppose et dit : Non. Pour St. Paul, il est celui qui a la puissance de la mort. En grec « Diabolos » c'est celui qui divise, sépare, éloigne, ronge. C'est celui qui accuse et calomnie, celui qui ment. Le mauvais. Tentateur, accusateur ou calomniateur et menteur, il dissout. Il dissout tout et se dissout lui-même. Le démon c'est un être qui ne tient pas en lui-même. Il est celui qui défait tout et se défait lui-même, à l'inverse de la personne car une personne, précisément, n'est vraiment elle-même que si elle est cohérente, trouve son unité et ne cesse de construire sa cohésion intérieure. Révolté, menteur et mort-vivant, il est finalement l'inconsistant déjà vaincu, dira St. Paul aux Hébreux Face à Satan, le « non » dit à Dieu, ce non qui s'oppose et détruit, face à Satan il y a Jésus. Jésus, le « oui » dit à Dieu, le "oui "qui construit et réunit, édifie et rassemble. Jésus le seul médiateur, rédempteur et sauveur : « Je crois à la rémission des péchés » affirme le Credo. Et Saint Athanase disait : « Un( le Christ) de l'humanité a vaincu le mal. » Oser affirmer la réalité diabolique c'est à la fois nous inviter à la vigilance et c'est aussi, d'une certaine manière, déculpabiliser l'homme d'être le seul auteur du mal ou d'en être le premier agent.

L'être humain, par sa liberté, comme puissance de défaillance, peut certes faire le mal mais avant lui et plus fort que lui, agissait déjà un être maléfique dont l'homme peut devenir le jouet et que l'homme peut servir. Vigilance donc car cette force négative reste présente pour un temps encore dans le monde. Le prince des ténèbres agit toujours mais il n'a plus le dernier mot. A la fois le Mal absolu est fixé sur une personne déjà vaincue, nous dit l'Apocalypse de St. Jean et d'autre part, il nous est demandé, à nous, de rester vigilant et serein. La vigilance, c'est notre foi, car qui croit en moi, nous dit Jésus, a vaincu le monde et a la vie éternelle. La sérénité, c'est l'Espérance en notre salut. Mais un salut déjà acquis car il est bien vaincu et définitivement.

Il est vaincu celui que l 'Ancien Testament au livre des Rois nomme avec ironie, dégoût et souverain mépris pour dire son pouvoir dérisoire et son être falot, non plus Béelzébud, qui est le prince des démons, des dieux païens philistins, mais Béelzéboul c'est à dire le roi des mouches ou pire le prince du fumier.

5e dimanche de Carême, année B

Auteur: Collin Dominique
Année: 2002-2003

Jn 12, 20-33 

Celui qui aime sa vie la perd ; celui qui s'en dessaisit en ce monde la garde pour la vie éternelle ". 

Combien de fois des paroles de Jésus comme celle-ci nous surprennent ou nous intriguent, voire même nous choquent. Aimer sa vie, c'est la perdre ! N'est-ce pas choquant ? Jésus fait-il l'éloge des tendances suicidaires ou du renoncement à la vie ? Faut-il, pour suivre Jésus, refuser de vivre sa vie, ses sentiments, ses émotions, sa liberté ? Et nous qui croyons que le christianisme est fondamentalement un attachement à la valeur de la vie ? Le philosophe Nietzsche avait-il raison en prétendant que le christianisme est contre la vie ? Je le cite : " le métier du prêtre consiste à nier, à décrier, à contaminer la vie ! "  L'accusation n'est pas légère ! Il nous faut l'entendre sérieusement : le message du christianisme est-il contre la vie ? Essayons de mieux comprendre le sens des paroles de Jésus : que veut dire Jésus quand il proclame que celui qui se saisit de sa vie la perd, c'est-à-dire devient malheureux et que celui qui s'en dessaisit la garde pour la vie éternelle, c'est-à-dire pour une plénitude de bonheur ? Se saisir de sa vie, c'est vouloir la maîtriser, la diriger entièrement à partir de soi. Or, dans nos vies, il y a bien des choses qui résistent à nos envies de maîtrise : nos fragilités, nos limites, les échecs, les retours en arrière. Nous voudrions que ces limites n'existent pas parce qu'elles ne correspondent pas à l'image de nous-mêmes que nous nous sommes fabriqués : le rêve éperdu d'être parfaits et ainsi seulement reconnus, aimés, admirés. Cette attitude peut se traduire dans la vie de tous les jours par le fait de ne jamais dire non, de vouloir être toujours disponible, de toujours tenir le coup, quoi qu'il arrive, de ne jamais décevoir l'autre, de vouloir devenir le sauveur de sa famille ou de sa communauté en étant celui qui donne les bons conseils. Concevoir sa vie ainsi comme une maîtrise perpétuelle de son moi c'est finalement n'avoir besoin de personne puisque la relation n'est pas voulue pour l'autre, mais seulement pour combler en moi un manque, manque de reconnaissance.  Or, croire que le bonheur est lié à l'absence de manque nous rend malheureux puisque le manque fait partie intégrante de la vie. Cela veut donc dire que nous nous trompons si nous voulons combler ce manque : soit chez l'autre en voulant combler son vide affectif, lui éviter tout souffrance, répondre à tous ses désirs ; soit en voulant être comblé soi-même : demander à l'autre de remplacer le père ou la mère qui a manqué. Que faire alors si nous ne pouvons combler nos manques, maîtriser nos vies ? Faut-il nier ses besoins, organiser son manque à l'avance pour ne pas être pris au dépourvu, réduire sa vie sur tous les plans (affectif, réussite), rester en dessous de ses capacités ? Non, car ces attitudes traduisent également le fait de ne pas vouloir accueillir la vie telle qu'elle est, y compris avec ses fragilités et ses limites.  Finalement, même la dépréciation de soi est une des formes les plus subtiles de la maîtrise de soi qui conduit au malheur. Comment cela ? En fait, celui qui se déprécie se donne sa propre loi de mort à laquelle il se soumet aveuglément : " je n'ai aucune valeur ", affirme-t-il. Il reste encore totalement enfermé dans une image illusoire de son moi où il n'y a pas de place pour les limites et la fragilité, les échecs et les erreurs. Profondément déçu et blessé par son propre soi, celui qui se déprécie décrète qu'il n'a pas de valeur et que par conséquent, Dieu non plus, puisqu'il se considère comme un échec de la création divine.  A sa manière donc, Nietzsche avait raison : cette dépréciation de la vie est une des pires perversions. Mais il avait complètement tort quand il attribuait cette dépréciation de la vie au christianisme : même si certains discours chrétiens ont fait et font encore l'éloge de la dépréciation et du renoncement, le message de l'Evangile nous ouvre les yeux sur l'idolâtrie du moi qui s'attache tellement à sa propre vie qu'il en devient incapable de s'en dessaisir pour Autrui. Tel est le sens de la vie et de la mort de Jésus pour l'évangéliste Jean : Jésus n'a pas gardé sa vie pour lui, mais il s'en est dessaisi (c'est le verbe qu'il utilise) : " Nul n'a d'amour plus grand que celui qui se dessaisit de sa vie pour ceux qu'il aime " (Jn 15 : 13). Cette invitation à nous dessaisir de notre vie, à prendre conscience de nos chemins de mort, pour mieux accueillir le don de la vie de Dieu, tel est le sens de la célébration communautaire du sacrement de la réconciliation : déposons nos fardeaux trop lourds, trop encombrés du Moi omniprésent, de nos désirs de toute-puissance et recevons de la part de Dieu la grâce d'une conversion, d'un changement de cap : choisissons la voie du bonheur ! Choisissons la Vie !  Amen ! 

5e dimanche de Pâques, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Je ne sais pas pour vous, mais je dois bien reconnaître, qu'il m'arrive parfois, pas trop souvent je l'espère pour ceux qui vivent avec moi, de m'énerver sur des petits détails et donc de m'en encombrer l'esprit. C'est fou ce que ces petits détails peuvent parfois avoir une incidence sur notre comportement. Nous nous sentons envahis par eux. Ils ont leur importance car ils touchent sans doute à quelque chose de profond en nous. Lorsque je suis dans un tel état d'esprit, il ne me reste plus qu'à rendre grâce à Dieu.

Je dis bien à rendre grâce à Dieu. En effet, lorsque je peux à ce point m'encombrer l'esprit de ces petits détails, je rends grâce à Dieu de la vie que je vis, de la beauté de celle-ci car si je peux me mobiliser la pensée de la sorte, c'est que finalement je n'ai pas vraiment de gros problèmes à devoir gérer, ni soucis professionnels, ni maladies ou deuils à accomplir. Par contre, si nous ne rendons pas grâce à Dieu lorsque nous sommes traversés et omnubilés par cette multitude de petits détails, nous prenons un risque : celui de les diviniser au sens où ils vont occuper tout notre espace de pensée, de temps. Ils deviennent alors une prison intérieure. Mais plus grave encore, nous trahissons Dieu.

Comment ? se demandent sans doute certains. Tout simplement par leur divinisation. Dans notre société contemporaine, (comme le rappelle le texte lu en seconde lecture) Dieu n'est plus le seul à être aimé, il se vit au c½ur d'une multiplicité de divinités. Elles portent chacune un nom, répondant sans doute à certaines de nos préoccupations lorsque celles-ci sont vécues de manière compulsive, envahissante.

Il y a évidemment la divinité des petits détails, puis la divinité du travail, la divinité de l'argent, la divinité des médias, la divinité de l'alcool, la divinité de la sexualité, en fait toute divinité des excès en tout genre. Eriger ces derniers en divinité est bien trahison du c½ur et de l'esprit puisque la présence en ce lieu nous rappelle qu'il n'y a qu'un seul Dieu, le Dieu d'Amour en qui nous sommes invités à demeurer. Trop souvent, nous le redécouvrons lorsque la vie nous surprend et que nous sommes confrontés à des drames. Faut-il vraiment attendre que nous prenions une claque dans la figure pour quitter nos divinités éphémères ?

Dans cette église, il y a quelques semaines, aux funérailles de son enfant, un papa reconnaissait qu'à force de trop travailler, il était passé à côté de l'essentiel et qu'il était trop tard puisque le temps passé est perdu à jamais. Certains se sont émus de telles paroles mais combien d'entre nous ont réellement changer leur rythme de vie, ont quitté certaines de leurs divinités pour revenir à l'essentiel, au seul et vrai Dieu qui nous propose un tel chemin.

Car dans la foi nous savons que si nous suivons les traces du Dieu révélé en Jésus-Christ, nous ne pouvons pas nous tromper. Et suivre les traces de Dieu, c'est tout simplement demeurer en lui. Qu'est-ce à dire ? Peut-être répondre à la question de savoir si nos actions, nos faits, nos gestes, nos paroles s'enracinent en lui. Dieu est le Dieu en qui nous pouvons déposer ce que nous sommes. C'est en ce sens que Dieu est plus grand que notre c½ur et il connaît toutes choses, pour reprendre les mots de saint Jean. Dieu nous invite donc à déposer en lui nos vies. Cela ne peut se vivre que dans une confiance qui ne peut s'expliquer. Elle est accrochée au plus profond de notre être.

En confiance, je m'abandonne à Dieu et s'abandonner à Dieu, c'est s'abandonner à la vie. En agissant de la sorte, je demeure en lui et les fruits que je porte ont alors le goût, la saveur de Dieu. En reconnaissant que je ne crois qu'en un seul Dieu et en conséquence en rejetant toutes ces fausses divinités, je deviens plus libre puisque je n'ai plus à me tourner que vers un seul et unique Dieu pour trouver et emprunter les traces qui guideront ma vie.

J'écris celle-ci avec l'encre de Dieu. Cette encre est d'ailleurs indélébile. Dès lors, ce qui est éphémère se grave sur le sable, ce qui est éternel, s'inscrit sur la pierre. Et le Christ n'est-il pas notre pierre angulaire ? Ce soir, Jésus nous affirme que si nous demeurons en Dieu nous porterons du fruit. Si nous vivons pour donner des fruits, notre fruit sera amer. Par contre, si nous vivons et nous nous enracinons en Dieu, ensuite nous donnerons des fruits. Nous n'en serons pas directement responsables puisque la sève de cette vigne a sa source en Dieu. Nos fruits de vie ont-ils une saveur amère ou bien ont-ils le goût de Dieu ? A nous de choisir dans quelle terre nous plantons notre vigne, c'est-à-dire notre vie.

Amen.

5e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

 

Si aujourd'hui, nous connaissons l'adage " métro-boulot-dodo ", Jésus lui appliquait plutôt le suivant " boulot-théo-dodo ". Comme le montre l'évangile, le Fils de Dieu travaillait beaucoup mais à la différence de plusieurs d'entre nous, il prenait aussi le temps de s'arrêter : un temps pour l'autre, un temps pour Dieu, un temps pour lui.

Voilà une belle proposition de vie. Alors, face à la course folle de tous les jours, nous est-il possible de poser le temps pour retrouver tout simplement du temps pour soi, du temps pour Dieu ? Pour certains, il faudra attendre comme Job, c'est-à-dire que la navette du tisserand s'achèvera au moment où il n'y aura plus de fil.

En termes plus contemporains, cela pourrait vouloir signifier que je calmerai le jeu de l'agenda lorsque ma santé me fera clairement comprendre qu'en jouant ainsi avec la vie, je risque d'entrer plus rapidement dans la mort. Donner sa vie au temps par peur de devoir s'arrêter, car s'arrêter prétend la psychanalyste Alice Miller, c'est se mettre à penser et c'est risquer d'entrer en dépression de laquelle il n'est pas toujours aisé de sortir. Cela semble être le cas de Job, fort déprimé dans l'extrait que nous venons d'entendre. Une petite dose de Prozac pourrait d'ailleurs lui faire le plus grand bien.

Aujourd'hui, plus qu'hier sans doute, les maladies de l'esprit prennent souvent le dessus. Un risque existe : celui de s'enfermer dans une spirale de la désespérance en imaginant que nous serons toutes et tous à même de régler cela sans l'aide d'autrui. Sentiment absurde qui peut nous traverser et qui va tellement à l'encontre de notre humanité.

Par définition, par essence, nous les êtres humains nous sommes des êtres de relations. La relation nous précède puisque nous sommes nés de celle-ci et que tout au long de la vie nous avons besoin d'être nourris par elle. La relation est donc bien au c½ur de notre existence. Il n'est pas aisé d'accepter un tel constat surtout dans une société qui prône l'individualisme à outrance. Mais cette dernière peut se tromper et je crois qu'elle le fait en proposant une telle contre-valeur.

En effet, c'est bien par la relation que je peux me sentir soutenu lorsque je suis frappé de cette souffrance morale et que je transforme les mots de Descartes en " je souffre donc je suis " tellement la souffrance fait partie intégrante de mon identité. C'est par la relation que je me relève de ces moments où tout me semble si gris et maussade car l'autre me permet de retisser des liens sociaux desquels je m'était inconsciemment exclus. A nouveau, cela exige une certaine dose d'humilité, celle de reconnaître que jamais je ne pourrai m'en sortir tout seul, que l'autre, quel qu'il soit, m'est nécessaire à tout relèvement. Peut-être qu'avoir tant besoin des autres peut sembler pour certains une fragilité.

Mais cette fragilité se transforme en force indéniable pour la vie lorsque je prends conscience de cette réalité qui fait partie intégrante de tout individu. Nous sommes tous quelque part des êtres fragiles. Nous pourrions craindre cette fragilité mais Saint Paul dans sa seconde Lettre aux Corinthiens nous clame : lorsque je suis faible, c'est alors que je suis fort. Et il a raison. Il a raison parce que nous ne pouvons pas aller contre ce qui nous définit mais nous pouvons le transformer en quelque chose de plus grand encore : celui de reconnaître que c'est par l'autre que je deviens. Je me refuse ainsi à entrer dans une spirale de solitude. J'accepte que je ne suis pas assez fort pour tout porter, tout résoudre et que donc, j'ai besoin de trouver autour de moi quelqu'un, au singulier ou au pluriel, qui m'aidera à porter mon propre fardeau. Et voilà que quelque chose de perçu comme fragile au départ devient une force de vie. Plonger dans la relation pour sortir de soi-même et se remettre à marcher et à avancer sur son propre chemin.

Telle est en tout cas l'attitude de la belle-mère de Pierre et de tous ceux et celles qui se tournent vers le Christ pour être guéri. Nous ne sommes pas face à un Dieu Touring Secours que nous appelons lorsque nous en avons besoin. Nous rencontrons un Dieu qui accepte de prendre sur lui une part de nos souffrances en nous invitant à les déposer en lui. De cette manière, il nous accompagne, le temps nécessaire. C'est une des merveilles de notre foi : celle de reconnaître que l'autre peut également être le Tout Autre, Celui qui est là, toujours disponible. Et ce d'autant que lorsque je me pose en Dieu, je me repose en Lui.

S'il en vraiment est ainsi, faisons nôtre et appliquons l'adage du Christ : " boulot-théo-dodo ". Du temps pour l'autre, du temps pour Dieu, du temps pour soi. C'est cela la vie que Dieu nous propose de vivre.

Amen

6e dimanche de Pâques, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Une légende raconte que lorsque l'évangéliste Jean était vieux, il était très connu. Malgré son grand âge, il était toujours en tournée et prêchait partout où il passait. Un jour, il arriva dans une ville où les gens l'attendaient. Une grand foule s'était installée sur la place publique et voilà que Jean apparaît porté par quatre personnes. Il pouvait à peine marcher. Il resta assis, regarda la foule qui était silencieuse et désireuse d'entendre les paroles du saint. Il fit un geste de la main puis s'adressa à la foule en ces mots : " aimez-vous les uns les autres ".

Ayant prononcé cette parole, il demanda aux quatre porteurs de le reconduire chez lui. Les gens étaient stupéfaits mais se disant que cela devait être un effet de style puisque Jean était avec eux pour quelques jours. Le lendemain Jean revint sur la place publique aidé par quatre personnes. Il s'assit, fit signe à la foule de se taire et dit : " aimez-vous les uns les autres ". Puis demanda d'être raccompagné chez lui. Les gens commençaient à la trouver saumâtre. Le troisième jour, il refit la même chose. Certains se demandaient s'il était devenu gâteux alors que d'autres s'énervaient. Un des membres de l'assemblée se leva et interpella Jean en lui demandant si son petit jeu allait encore durer longtemps parce qu'il avait du travail au champ. Jean se leva, regarda la foule et leur dit : " pourquoi devrais-je prêcher autre chose que ce commandement de vous aimer les uns les autres puisque vous n'arrivez pas à le vivre ? ". La foule resta muette.

Si Jean était parmi nous ce soir, pourrait-il prêcher autre chose que ces mots ? La question a en tout cas le mérite d'être posée. A la première lecture de cet évangile, nous nous sentons face à une mission impossible à réaliser. Jésus est un rêveur, un utopiste. Comment serait-il possible d'aimer tout le monde alors que certains sont trop différents de nous et que d'autres sont trop semblables à nous et donc nous énervent tout autant. Et Dieu nous demande de les aimer. Il doit avoir un sacré sens de l'humour. Pire encore, non seulement nous devons nous aimer mais en plus il nous signale qu'il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis.

Au risque de décevoir notre " ego " de francophone mais ce texte que nous venons d'entendre ne rend pas toutes les nuances du texte original. En grec, il y a quatre mots pour parler d'amour alors qu'en français nous devons nous contenter d'un seul et même verbe. Il y a la tendresse physique, puis l'amour des liens de sang autrement dit l'amour familial, ensuite l'amour qui demande un acte de la volonté et enfin l'amour de sentiment, appelé l'amour d'amitié par certains philosophes. Le Christ nous invite à vivre des deux derniers mentionnés. Lorsqu'il nous demande de nous aimer, il ne s'agit pas d'abord d'un amour né de nos émotions, de la rencontre de deux êtres. Non il s'agit de l'amour qui demande un acte de la volonté, c'est-à-dire de cette prise de conscience que nous avons à nous aimer dans le sens de nous respecter.

Nous aimer, c'est reconnaître l'autre en ce qu'il est autre et lui permettre de devenir davantage encore ce qu'il ou elle est. Cet amour de respect est nécessaire pour que notre terre tourne plus juste. Alors tout à coup, ce qui nous paraissait une utopie devient un projet de vie réalisable dès maintenant. Puissions-nous vivre de cet amour de respect même avec celles et ceux envers qui nous éprouvons moins de sympathie. Par contre, lorsque Jésus nous affirme qu'il n'y a pas de plus grand amour que de donner sa vie pour ses amis, nous entrons dans le champ des sentiments, des émotions. Il s'agit cette fois de l'amour qui vient du c½ur. Alors pour ces gens-là, comme le dirait J. Brel, nous sommes prêts à donner notre vie.

Contrairement à ce que nous pourrions croire, cela ne signifie pas mourir pour autrui. Non donner sa vie à l'ami, c'est se dépouiller de soi, se poser soi-même mais en l'être aimé. Voilà ce que dit le texte grec et cela ne peut se vivre que dans la confiance mutuelle, lorsque l'amour d'amitié est au c½ur de la rencontre. En français contemporain, le commandement de Dieu devient alors quelque chose du genre : " respectez-vous les uns les autres et il n'y a pas de plus grand amour que se dépouiller de soi et se poser en l'ami ". Ce ne sont pas de simples mots. Ils résument le sens de notre foi en Dieu et en la vie. C'est au c½ur de ce commandement d'amour de respect et d'amour d'amitié que Dieu se révèle à nous. Nous ne faisons pas seulement église en cette église. Nous sommes église lorsque l'amour est au c½ur de nos actions, nos paroles et nos gestes. C'est dans l'amour que Dieu se découvre. Puissions-nous ne jamais l'oublier.

Amen

7e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Dites, cela fait déjà un petit temps qu'on ne vous voit plus. Tout va bien ? " Vous savez, depuis que notre fille s'est séparée de son mari quelques mois après son mariage ou encore depuis que notre fils aime quelqu'un comme lui, vous comprenez qu'il nous est plus difficile de venir. Nous craignons le regard réprobateur des autres. Nous avons peur d'être condamnés par l'attitude de nos enfants. Voilà pour ce que nous pourrions appeler les maux sociaux, puis il y a aussi ceux qui touchent la santé. Toujours à la même question, la réponse suivante peut surgir : " vous savez, depuis que mon épouse est malade, les rayons, la chimiothérapie. Tout cela est assez lourd et nous sommes parfois un peu découragés, fatigués. De plus, nous n'avons pas spécialement envie d'en parler et d'expliquer à tout le monde. Nous préférons rester plus discrets durant le temps du traitement ".

Ces phrases je ne les ai pas inventées, mais je les ai par contre entendues lorsque je m'étonnais de ne plus voir certaines personnes qui, auparavant, étaient assidues à nos célébrations dominicales. Face à de telles réponses, je reste perplexe. Cela voudrait-il dire que, pour venir partager nos eucharisties, nous devons être bien, en forme ou encore conformes aux exigences sociales et culturelles ? Cela voudrait-il dire que l'échec, la différence, la souffrance n'ont pas de place là où nous nous réunissons pour rencontrer Dieu ? Sommes-nous capables de nous laisser interpeller par ces réponses qui m'ont été données ces derniers mois par quelques uns d'entre nous. Quelle est notre ouverture, quel est notre accueil non pas seulement en tant que personnes mais également en tant qu'assemblée composée de croyantes et croyants ?

L'échec, la différence ou la souffrance sont des réalités auxquelles nous sommes toutes et tous confrontés au moins une fois dans notre vie. Et ce qui est surprenant, c'est que lorsque nous en faisons l'expérience, très souvent nous nous humanisons. Nous prenons conscience que la perfection n'est pas de notre monde. Que nous avançons à tâtons. Nous nous confrontons à l'expérience toute simple de la fragilité de la vie. Puissions-nous ensemble méditer l'évangile de ce jour. Le paralytique a quelque chose à nous dire. Il est fragile et il le sait. C'est pourquoi, il se fait porter par ces quatre personnes qui le conduisent à Dieu.

Mais finalement, qui conduit qui dans cette histoire ? Est-ce le paralytique ou bien les porteurs ? En fait, je crois que ce sont les deux. Par sa fragilité, le paralytique invite quatre personnes à le conduire à Dieu. Elles l'accompagnent dans sa démarche. Elles le conduisent mais lui les conduit également. Tous les cinq sont animés de cette foi qui les fait vivre. Une foi qui leur permet de faire des choses complètement folles comme détruire un toit. Tout simplement parce que la foi nous convie à mettre de la folie dans nos vies. Mais pas n'importe laquelle. Pas une folie qui accepte et tolère n'importe quoi, non une folie qui nous permet de porter un regard d'empathie, de tendresse, en fait un regard baigné d'amour face à celles et ceux qui vivent l'expérience de l'échec, de l'acceptation de la différence ou encore de la souffrance.

Un regard qui ne juge pas et surtout qui ne condamne pas. Un regard qui reconnaît qu'il y a une grande part de mystère dans tout ce que nous vivons. Un regard qui accepte que nous ne pouvons pas tout comprendre et que nous sommes donc dépassés face aux réalités de certaines expériences. Un regard qui admet que les grandes questions restent sans réponse définitive. Animés de cette folie de la foi, non seulement notre regard change mais également nos paroles. Nous quittons le champ de la dureté de nos propos condamnant pour entrer dans des paroles de silence qui accompagne le mystère de la vie. Nous accompagnons l'expérience de l'échec, de la différence et de la souffrance sans chercher à la justifier mais en la portant avec d'autres pour qu'elles soient moins lourdes à vivre pour celles et ceux qui y sont immédiatement confrontés. A cet instant précis se noue en nous l'humain et le divin.

En effet, ce changement d'attitude nous permet de découvrir que ces personnes fragilisées par la vie peuvent nous conduire à Dieu, comme nous pouvons également le faire par notre manière d'être empreinte de douceur. Il y a tant de manières différentes d'aller à Dieu, tant de choses peuvent nous y conduire : un superbe feu de bois, un arrêt devant l'océan, une étendue de plaines et de prairies, un temps de solitude, un espace vide, certains livres et je ne puis m'empêcher de vous inviter à découvrir le dernier roman d'Eric-Emmanuel Schmitt : Oscar et la dame rose. Il y a donc toutes ces choses puis il y a également les autres, ceux qui sont vivants avec nous et aussi ceux qui sont vivants par-delà la vie éternelle. Ces derniers peuvent également nous conduire à Dieu.

Que dans le silence de nos c½urs, nous puissions chacune et chacun rendre grâce pour tous ceux et celles qui un jour nous ont conduit auprès de Dieu et que nous nous ouvrions plus encore aux personnes qui vivent l'expérience de l'échec, de la différence et de la souffrance. Dieu s'engouffre également dans ces lézardes-là. Ne l'oublions pas et vivons en conséquence dans cette folie de la foi.

Amen