22e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Comment pourrait-on, en quelques mots, appliquer à notre vie chrétienne d'aujourd'hui, en plein c½ur du monde, cette dialectique du Pur et de l'Impur qui suscita tant de controverses théologico-juridiques entre rabbins, et pas seulement au temps de jésus ? C'est une problématique qui divise et divisera toujours les croyants. D'un côté il y a les « canonistes », ceux dont la foi consiste à accomplir des actes précis ou devoirs religieux qui risquent alors d'être des actes matériels sans c½ur. Et d'autre-part, il y a les « spiritualistes », volontaristes ou velléitaires parce que leur foi est d'abord une affaire d'option, de climat de vie, de c½ur mais dont le danger reste la bonne intention sans l'agir, une conception de vie plus mentale que pratique, une volonté dans le vide.

Aux origines, le système religieux juif était structuré pour l'essentiel par le principe de pureté. Ce principe n'était d'ailleurs qu'une des interprétations particulières de la Loi. Cette apparente dualité révélait, comme en contraste ou en négatif, un aspect primordial de l'anthropologie juive : l'unité de l'être humain, unité en lui-même et avec l'univers.

Pour le Juif pieux, c'était tout l'être, esprit -corps - c½ur et univers qui devait être consacré à Dieu. De cette apparente opposition découlait l'expression très positive et globalisante de l'homme : le lien entre la personne humaine et le monde ambiant, l'unité entre le monde des personnes et l'univers des choses. Si des aliments sont proscrits, si des actes sont interdits, c'est que le corps humain, dans son entièreté, est engagé dans sa quête de Dieu, c'est que l'univers matériel lui-même peut aider ou contrecarrer la marche du croyant vers Dieu. Les observances alimentaires et les rites de purification signifient non seulement qu'on ne peut dissocier l'âme et le corps, « je suis mon corps », pour l'hébreu ; mais surtout qu'on ne vit pas seulement sa vie au niveau profane, dans une perspective exclusivement terrestre mais qu'on la vit en communion avec le cosmos sous la mouvance de Dieu.

La vraie sagesse en Israël c'est voir, se juger et vivre tout entier dans une perspective d'alliance par le biais de la loi. Cependant beaucoup de gens ne pouvaient répondre à bon nombre d'exigences de ce code de pureté. Certains pour des raisons économiques : ils étaient trop pauvres pour avoir la possibilité de mettre en ½uvre certaines pratiques religieuses, comme celles des offrandes au temple. D'autres pour des raisons sociales : ils exerçaient des métiers considérés comme impurs (pensons à Mathieu collecteur d'impôts ) parce qu'ils se mettaient en contact, soit avec le sang, soit avec les païens ou les pécheurs. D'autres encore n'observaient pas la loi pour des raisons de santé. Leur maladie, comme la lèpre, était conçue comme un jugement de condamnation de Yahvé. Certains pour des raisons morales : ils vivaient publiquement dans des situations irrégulières, tels les publicains ou les prostituées. Certains encore pour des raisons rituelles : ils ne pratiquaient point tous les rites imposés (pèlerinage au temple). D'autres enfin pour des raisons ethnico-religieuses parce qu'ils étaient païens ou hérétiques, Romains, Grecs ou Samaritains.

L'establishment religieux, et ce fut toujours ainsi dans l'histoire des religions, en fait constitué par une minorité privilégiée du point de vue social, économique et politique ( en tout cas en Israël à cette époque) n'eut toujours que mépris et attitude de rejet vis-à-vis de ces gens-là, les impurs religieux. On ne les fréquente pas et on les exclut de la participation à la vie de la synagogue et du temple. Or ceux-ci étaient les lieux par excellence de socialisation et de reconnaissance sociale. Du coup, c'est tout un monde de marginalisation qui se met en place, tout un monde d'exclus qui devra survivre ainsi, à côté des justes et des purs, des puissants et des nantis.

Si Jésus a innové la foi en Israël ce n'est pas parce qu'il a rejeté la Loi, Jésus n'a jamais rejeté la Loi, pas même un « iota » dira Matthieu. Ce que Jésus va rejeter c'est une interprétation limitative, partiale et parcellaire de la loi à partir du critère de pureté. Par-là Jésus met en cause la création d'un peuple d'exclus fondé sur une idéologie étriquée de la sainteté ou de la pureté avec sa conséquence du primat de la richesse et du pouvoir. Ce que Jésus met en cause c'est, ni plus ni moins, la nature de la foi de certains de ses contemporains, en d'autres termes leur conception et leur expérience même de Dieu. Yahvé ou Dieu son père est-il un Dieu mercantile et boutiquier, un Dieu du donnant- donnant, un Dieu que je sers et qui doit donc en retour me servir, un Dieu, en fait, sur qui j'ai barre ou Dieu est-il le Dieu de l'imprévisible, le Dieu du don gratuit, le Dieu mystérieux qui privilégie le cadet sur l'aîné, la prostituée sur le juste, le Publicain sur le Pharisien, le Samaritain ou le centurion sur le Juif, qui enceinte la stérile, féconde la vierge et ressuscite le mort ?

Actuellement dans un monde tellement sensibilisé au charnel et à l'écologique, cette unité entre chair et esprit, entre l'homme et la nature devrait nous parler et nous plaire. Non pas pour nous dire : il y a des choses sacrées et d'autres qui ne le sont pas, mais pour nous dire : c'est par le truchement du c½ur de l'homme que tout peut prendre sens, que tout peut être consacré au Seigneur. Le c½ur de l'homme doit être présent à toutes les initiatives du croyant. Quand ce c½ur se voue au Seigneur, par sa médiation toutes les entreprises humaines s'élèvent vers Dieu. La distinction entre pur et impur ne se fait pas dans les objets extérieurs à nous, cette distinction naît du fond du c½ur de l'homme : qu'oublie-t-on d'offrir à Dieu ? Que détournons-nous de son service ?

Par Jésus, la sanctification personnelle d'un chacun s'opère en assumant l'entièreté des valeurs terrestres : âme et corps et esprit, chair et univers. Si notre c½ur lui est offert, nulle réalité temporelle ne peut nous éloigner de Dieu, à nous au contraire de les faire entrer dans le grand circuit de l'amour de Dieu.

Ce texte court sur le pur et l'impur nous invite à réunir deux tendances complémentaires : user des choses et de nous-même, mais en user pour un au-delà de nous-même, en user pour un au-delà des choses. L'univers matériel, l'histoire de ce monde, l'histoire personnelle d'un chacun, par le biais du c½ur de l'homme voué au Seigneur, entrent dans l'histoire religieuse. Par la foi, elles entrent dans la sphère divine. Par l'homme, elles participent au Royaume. Le Christ ne laissera rien de côté de ce qui est attaché à l'homme pourvu que l'homme reste attaché au Christ. C'est la grandeur, l'originalité et la chance de notre temps de comprendre qu'à l'appui de cet évangile, le spirituel ne se définit pas, comme il l'a été fait indûment, par son éloignement de la matière, mais que le spirituel chrétien, c'est ma capacité d'animer la matière, de l'assumer, de l'envoûter. Comprendre que le spirituel chrétien, c'est la dimension en profondeur de la matière, c'est sa densité ineffable, insondable, mystérieuse et qui peut retourner vers Dieu.

L'humanité a besoin du cosmos pour se parfaire et l'univers trouve en l'homme son artisan et son médiateur, son Pontifex, celui qui fait le pont, son prophète et son prêtre.

Quelle chance nous dit cet évangile, mais quelle exigence aussi ! Le salut de tous et de l'entièreté de chacun est solidaire de l'histoire totale de l'espace et du temps. Le monde matériel et humain n'est pas une toile de fond au royaume futur, ni le temporel un décor pour nos actes de vertu, le tout « bazardé » un jour lointain pour la grande première du ciel. Non ! Le ciel sera composé de tout ce qui dans les pans de l'histoire humaine a été vécu dans l'amour. Le Royaume sera riche de tout ce qui aura été voué au Seigneur par le truchement de notre c½ur, animé d'un amour de charité.

La sainteté nous dit l'Evangile, n'est pas une désertion du temporel, ni de tout ce qui constitue le tissu concret et quotidien de notre vie. La sainteté n'est pas un incivisme religieux, une trahison cléricale ou ecclésiale. Mais, la sainteté est une incarnation au c½ur du temps, dans l'espace de tous les jours, là où il faut se salir les mains tout en gardant grand c½ur. Vraiment, une sainteté, non du pur ou de l'impur, mais de l'intention droite, de l'effort, de la conscience vraie et de l'acte gratuit ! Une sainteté de héros, mais de héros blessés ! Une sainteté de pêcheurs, mais de pêcheurs pardonnés ! Une sainteté du c½ur ambigu mais, humble et offert ! Vraiment, le c½ur pur et les mains sales !

22e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Un dictateur d'un pays venant de prendre son indépendance, voulait montrer son autonomie vis-à-vis de l'ancienne colonie. Il décida d'effacer dans la mesure de ses possibilités toutes les traces rappelant l'ancien pouvoir colonial. Pour ce faire, en matière de roulage, il voulut changer la conduite des automobilistes qui avaient appris à conduire à droite. Il décréta alors que l'année suivante, à partir du 1er janvier, tous les véhicules rouleraient dorénavant à gauche. Mais comme il souhaitait qu'un tel changement se fasse plutôt en douceur, il proposa à son peuple de le faire en deux étapes. Pendant une période de trois mois, d'abord les camions rouleront à gauche et si cela fonctionne convenablement, les voitures le feront après. Vous imaginez le chaos sur les routes d'un tel pays qui sans doute n'existe que dans la tête de celui qui a inventé cette blague. Pour vivre une certaine sécurité, nous avons donc besoin d'un code de la route connu par tout un chacun.

Par cet exemple, nous reconnaissons que les lois sont nécessaire pour vivre en société. Personne ne peut s'en passer et les psychologues nous rappellent à quel point les lois, les règles sont essentielles à la construction et la structuration d'un être humain. Les lois sont donc importantes mais à condition qu'elles ne se détournent pas de leur finalité et qu'elles sont édictées pour le bien de toutes et de tous. Elles sont des moyens permettant la réalisation de chaque être humain car comme le rappelle la première lecture, elles sont sagesse et intelligence. C'est pourquoi, les lois qui iraient à l'encontre de cette vérité fondamentale devraient être non seulement ignorées mais également désobéies puisqu'elles sont une insulte au droit qu'elles sont censées servir. Il en va ainsi dans notre société civile, dans notre Eglise et il en va également de même dans l'exercice et la pratique de notre foi. Je m'explique.

Si nous pratiquons notre foi par notre présence en ce lieu, par des moments de prière, des gestes de solidarité et de tendresse, nous le faisons car nous avons la conviction qu'ils sont les signes extérieurs de ce qui habite au plus profond de nous-mêmes. Nos paroles, nos gestes, nos actions sont en cohérence avec ce que nous sommes. Il n'y a pas de fracture. Mais en est-il toujours ainsi ? Tim Guénard, auteur et conférencier français qui est venu récemment dans notre région pour témoigner de sa vie d'enfant abandonné et attaché à un poteau le long d'une route par sa maman à l'âge de trois ans, raconte qu'à neuf ans il avait été placé chez une fermière connue comme chrétienne dans le village. Toutefois, cette femme ne lui donnera pas le goût de Dieu. Bien au contraire. Il dira d'elle : " ce qui me révolte le plus, c'est que cette sale bonne femme se dit chrétienne. La bigote m'interdit, sous prétexte que je ne suis pas baptisé, de manger viande et ½ufs. Ma nourrice-bourreau me pousse à l'église, non pour découvrir Dieu, mais pour y cirer bancs et parquets ". Quelques jours plus tard, il refusera de retourner à l'église car dit-il " je refuse d'entrer dans l'église de cette nourrice brevetée catho qui m'offre l'enfer au lieu du ciel ". Le témoignage de Tim Guénard peut nous sembler caricatural et très éloigné de ce que faisons et de qui nous sommes.

L'évangile de ce jour nous invite cependant à vivre un chemin d'introspection. Oh certainement pas pour nous mettre à nous culpabiliser car nous ne sommes pas parfaits, que Dieu soit-disant attendrait encore plus et mieux de nous. Non, cette théologie là est heureusement complètement dépassée. Par contre, Jésus nous convie à ce chemin de vérité. Suis-je en accord avec moi-même ? Suis-je juste dans mes relations, dans mes paroles ? Suis-je apôtre de Dieu par le témoignage de ma vie dont mes pensées, mes actes traduisent la foi qui m'habite ? Les réponses à ses différentes questions sont essentielles pour la transmission de la foi. Si celle-ci se transmet par contagion, il ne s'agit plus de beaux discours, de belles affirmations sans lendemain. Non la foi devient plutôt une manière d'être et de vivre. A ces questions, je ne puis répondre à votre place. Donnons-nous alors le temps d'envoyer notre réponse à Dieu. C'est une affaire personnelle entre Lui et chacune et chacun de nous.

Comme l'évangile nous l'a dévoilé aujourd'hui, Dieu semble ne pas aimer l'hypocrisie. Il attend de nous une certaine vérité. Que jamais nous n'oublions que la vraie foi ne se contente pas seulement de bons sentiments. Elle se traduit dans nos actes et nos attitudes.

Amen.

23e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Mc 7, 31-37

Dans son livre intitulé " Apprivoiser son ombre ", Jean Monbourquette, prêtre et thérapeute canadien qui viendra donner une conférence à Froidmont dans le cadre des Forums proposés par l'équipe pastorale le mercredi 29 novembre de cette année, raconte l'histoire suivante : il était une fois un homme qui portait sept masques différents, un pour chaque jour de la semaine. Quand il se levait le matin, il se couvrait immédiatement le visage avec un de ses masques. Ensuite, il s'habillait et sortait pour aller travailler. Il vivait ainsi, sans jamais se laisser voir son vrai visage. Or, une nuit, pendant son sommeil, un voleur lui déroba ses sept masques. A son réveil, dès qu'il se rendit compte du vol, il se mit à crier à tue-tête : " au voleur ! au voleur ! " Puis il se mit à parcourir toutes les rues de la ville à la recherche de ses masques. Les gens le voyaient gesticuler, jurer et menacer la terre entière des plus grands malheurs s'il n'arrivait pas à retrouver ses masques. Il passa la journée entière à chercher le voleur mais en vain. Désespéré et inconsolable, il s'effondra, pleurant, comme un enfant. Les gens essayaient de le réconforter, mais rien ne pouvait le consoler. Une femme qui passait par là s'arrêta et lui demanda : qu'avez-vous l'ami ? Pourquoi pleurez-vous ainsi ? Il leva la tête et répondit d'une voix étouffée : on m'a volé mes masques, et le visage ainsi découvert, je me sens trop vulnérable. Consolez-vous, lui dit-elle, regardez-moi, j'ai toujours montré mon visage depuis que je suis née. Il la regarda longuement et vit qu'elle était très belle. La femme se pencha, lui sourit et essuya ses larmes. Pour la première fois de sa vie, l'homme ressentit, sur son visage, la douceur d'une caresse.

La douceur d'une caresse. Qui d'entre nous n'en a jamais éprouvé le besoin lorsque ces dernières se font rares ou inexistantes. Il est vrai qu'aujourd'hui, souvent, les caresses ont mauvaises presse. Elles ont été dénaturées, sexualisées et donc quelque part souillées par ces gens qui ont abusé de femmes ou d'enfants. Malgré un tel triste constat, nous ne devons pas laisser une certaine pornocratie envahir la tendresse.

En effet, cette dernière est belle, pure et expression merveilleuse de l'amour. Dans la tendresse, les caresses retrouvent leurs lettres de noblesse et nous font redécouvrir l'importance du sens du toucher qui est un mode d'expression et de communication entre deux êtres. Toucher l'autre, c'est humain mais également divin. Le Christ en est une belle preuve. C'est en tout cas ce que la page d'évangile de ce jour nous dévoile. Jésus met les doigts dans l'oreille du sourd muet, puis prenant de la salive, il lui touche la langue.

Ailleurs, il impose les mains, touche les enfants. Il communique donc également par son propre corps mais pour le bien de l'autre. D'où le sens de notre eucharistie, cette communion à son corps et son sang. Durant sa vie terrestre, le Christ s'offre une certaine proximité physique avec les personnes rencontrées au cours de ses marches. Mais cette proximité n'est pas vécue au grand jour, de manière médiatique. Non Dieu le Fils s'autorise de toucher les gens en s'éloignant de la foule. Il se retire dans l'intimité de la rencontre. Par pudeur, par respect. Les caresses, expression de la tendresse, se donnent à vivre dans le respect de chacune des parties en présence car toucher l'autre n'est pas neutre.

En effet, toucher l'autre, c'est également se laisser toucher. Toucher l'autre, c'est consentir à se taire pour que le silence puisse s'instaurer dans la relation car ce silence-là est plus parlant que n'importe quelle phrase. Toucher l'autre permet aussi d'offrir un chemin de guérison. Notre monde a besoin de proximité, notre monde a besoin de tendresse. Notre monde, c'est-à-dire la majorité d'entre nous. Toucher l'autre tout en se laissant touché est une expérience forte car elle nous permet d'ouvrir nos bras et de serrer contre nous celle ou celui qui veut venir faire mourir sur notre épaule quelques larmes de tristesse. Elle nous permet également de prendre une main et de nous taire ou encore de caresser le visage de celui qui devient si proche à l'instant où il s'éloigne de sa propre souffrance.

Tiens, et si Dieu nous demandait : aujourd'hui, par un geste, par des mots, as-tu touché quelqu'un ? Question inconvenante ? Peut-être ou n'est-ce pas plutôt l'expression d'une attitude considérée comme folie humaine, signe de sagesse divine ? Quoiqu'il en soit, toute caresse d'un geste, toute caresse d'un mot est tendresse, mode de communication, voire même de communion. Dieu le Fils ne s'en est pas privé dans l'intimité de la rencontre, n'en ferions-nous pas de même lorsque le besoin se fait ressentir en toute honnêteté, en toute vérité ?

Amen.

24e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Materne Pierre-Yves
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

La colère de Dieu est mal perçue aujourd'hui. Et ce n'est pas nouveau. Dans la Bible, on dit que Dieu est souvent en colère contre son peuple à causes de ses infidélités. Parfois, il renonce à sa colère mais parfois aussi il punit les hommes. Dans l'Evangile, Dieu a perdu ce côté vengeur au profit d'un amour infini. Doit-on y voir un progrès par rapport aux premières pages de la Bible ? Je ne crois pas qu'on puisse évacuer ainsi la colère à propos de Dieu. La colère de Dieu, bien que ce soit là une simple métaphore, dit quelque chose d'important. On peut tenter un parallèle avec la vie familiale. Un père, ou une mère, aime ses enfants mais sent parfois que son enfant va trop loin. Alors il se met en colère parce qu'il voit que quelque chose de grave risque de se passer. Il cherche à éduquer, il essaie de corriger, mais sans violence. S'il entre dans la violence, il sort de son rôle de père.

De même, Dieu voit en nous ses fils et ses filles. C'est pourquoi Il tend à nous éduquer pour entrer dans son amour. Il peut parfois y avoir un peu de colère chez lui mais jamais il ne sera violent avec nous. Dieu veut notre bien et essaie de nous convaincre de nous ouvrir à la tendresse et au pardon. Autrement dit, il attend de nous un c½ur conscient et souple. Or, souvent, il se heurte à des c½urs endurcis. Quand Jésus rencontre des gens au c½ur endurci, il arrive qu'il réagisse par un regard de colère. Cela n'arrive pas souvent, c'est vrai. Jésus pardonne. Jésus aime ses disciples, mais aussi le lépreux ou le collecteur d'impôt. Pourtant, Jésus se met aussi en colère face au c½ur endurci. Devant des pharisiens endurcis, n'arrivant pas à les convaincre par son message d'amour, le Christ est poussé jusqu'à la colère. Ces gens n'ont pas l'intelligence du c½ur de Jésus, où la raison et les sentiments sont réunis. Ils sont dans leur tête mais ils ont perdu le contact avec le c½ur. Ils jugent comme des robots, condamnent sur les apparences et les ouï-dire.

Jésus étant le vrai visage de Dieu, on peut déduire que la colère a du sens à propos de Dieu, qui n'est pas un Dieu de facilité, ou un Dieu bonasse. Mais le plus important est de saisir que Dieu ne peut parfois rien y faire sinon " être en colère ". En colère parce que déçu de nos attitudes. En colère parce qu'Il se sent impuissant vis-à-vis de notre liberté humaine. Finalement, la colère de Dieu signifie que Celui en qui nous croyons est un être bien vivant, sensible, passionné par les personnes faillibles que nous sommes.

L'histoire du débiteur impitoyable nous révèle cette faiblesse de Dieu. Le Roi, Dieu, a voulu offrir un nouveau départ au débiteur sans c½ur. Cet homme a dépensé plus que ce qu'il aurait pu gagner en toute une vie. Il a joué avec l'argent et il est incapable de rembourser le tiers du quart. Sa vie s'arrête dans une impasse jusqu'à ce que le bon Roi, le c½ur saisi de pitié, lui pardonne sa faute et efface sa dette. S'en retournant, le débiteur saute sur un de ses compagnons. Il ne saute pas de joie mais de rage. La colère l'emporte contre ce compagnon qui ne lui doit que trois fois rien. La colère se traduit en violence. Le débiteur, ayant retrouvé la liberté, a abusé de cette liberté pour écraser son compagnon. Il s'est laissé prendre par une dynamique de violence au lieu de vivre la dynamique du pardon. C'est pour cela que le Roi se met en colère. Il se sent impuissant face au choix que le débiteur a fait. Non, il ne veut pas le maudire pour l'éternité. Il accepte, à contrec½ur sans doute, de le laisser vivre son propre emprisonnement.

En refusant la logique du pardon, nous nous privons d'une expérience qui nous rapproche de Dieu. En endurcissant notre c½ur, nous empêchons la venue de Dieu en nous. Si nous le faisons poirotter à la porte de notre coeur, il est normal qu'il soit un peu en colère. Le Christ nous invite à vivre dans la dynamique du pardon, bien que cela soit difficile. C'est une occasion de mieux voir le visage de Dieu, qui n'est pas un visage terrifiant mais un visage mystérieusement libérant.

26e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Un jour, un jeune novice arrive au monastère. La tâche qui lui est assignée est d'aider les autres moines à recopier les anciens canons et règles de l'église. Très vite, il remarque que ces moines effectuent leur travail à partir de copies et non des manuscrits originaux. Etonné de cela, il va voir le père abbé, lui faisant remarquer que si quelqu'un a fait une petite erreur dans la première copie, elle va se propager dans toutes les copies ultérieures. Le père abbé lui répond : "Cela fait des siècles que nous procédons ainsi, que nous copions à partir de la copie précédente, mais ta remarque est pertinente, mon fils et j'irai donc rechercher les originaux."

Le lendemain matin, le père abbé descend dans les profondeurs du sous-sol du monastère, dans une cave voûtée où sont précieusement conservés les manuscrits et parchemins originaux. Cela fait des siècles que personne n'y a mis les pieds et que les scellés des coffres sont intacts. Il y passe la journée toute entière, puis la soirée, puis la nuit, sans donner signe de vie. Les heures s'écoulant, l'inquiétude grandit. A un tel point que le jeune novice se décide à aller voir ce qui se passe. Il descend et trouve le père abbé complètement hagard, se cognant sans relâche la tête contre le mur de vieilles pierres. Le jeune moine se précipite et demande : "Père abbé, que se passe-t-il donc ?" Et à ce dernier de répondre : "Depuis de siècles nous sommes dans l'erreur, ce n'est pas chasteté, c'est charité !"

Ce petit clin d'½il monastique pour mieux comprendre le sens de l'évangile de ce jour qui est d'une certaine violence verbale. En tout cas au premier abord même si jamais personne n'a entendu ce texte dans un sens littéral. Heureusement, car il y a à parier que beaucoup d'entre nous, voire même tout le monde, seraient aujourd'hui borgnes, estropiés ou manchots. En fait, le Christ se met à notre niveau. La violence de ses propos répond à nos propres violences, c'est-à-dire ces violences que nous nous imposons à nous-mêmes ou pire encore celle que nous faisons vivre à d'autres et qui les font tomber. Tel est le scandale dénoncé par Jésus : faire tomber l'autre ou se faire tomber.

Il n'y a rien de pire que cela pour notre humanité puisque Dieu attend de nous que nous soyons des êtres en marche, c'est-à-dire debout. Il souffre de nos trébuchements ou des croches-pieds que nous faisons à d'autres. C'est la raison pour laquelle le Christ se devait de dénoncer de telles attitudes surtout lorsqu'elles sont commises de manière consciente. Elles sont alors un scandale pour le ciel sur cette terre. En aucune façon, la foi ne peut se contenter de belles paroles, de belles intentions. Ce serait trop simple, voire même mensonger. Non notre foi n'est vraie que lorsqu'elle s'enracine dans notre vie. Si je me dis croyant en Dieu et qu'en même temps mes mots sont des coups d'épée lacérant l'âme de la personne à qui je m'adresse, je ne suis plus en vérité et je deviens un scandale pour la foi.

Or, comme le rappelle l'histoire monastique entendue il y a quelques instants, nous redécouvrons que l'essentiel est la charité. C'est pourquoi, nous pouvons affirmer qu'en tant que croyantes et croyants, la charité est le seul v½u auquel il ne nous est pas possible de nous dérober.

Par notre profession de foi en Dieu, par notre désir de mettre nos pas dans les valeurs que le Christ nous propose, nous sommes conviés toutes et tous à faire ce v½u de charité. Non pas par nécessité, encore moins par culpabilité déplacée mais par amour de Dieu, par amour de la vie. Dieu nous invite à faire le bien, non pas parce que c'est bien mais par amour, (comme l'a fait remarqué l'un de ceux qui a préparé cette célébration). Notre v½u de charité nous engage non pas à nous croire meilleurs par les actes et gestes que nous posons puisque nous sommes tous égaux devant Dieu, mais plutôt à vivre cette charité dans l'égalité.

Car lorsque j'accepte que l'autre est mon égal, comme le dit saint Augustin, je reconnais que je ne suis pas mieux que lui et nous pouvons alors tous deux être sous la dépendance du seul auquel je ne peux rien donner si ce n'est ma vie, c'est-à-dire Dieu. Et le don de nos vies, en tant que croyantes et croyants, passe par le v½u de charité. Prenons alors le temps de lui redire que nous voulons vivre de cet amour dans nos paroles et nos actes pour être pleinement en cohérence avec nous-mêmes et avec Lui.

De la sorte, nous serons un peuple en marche conscient de notre v½u de charité par amour de l'autre au nom du Tout Autre.

Amen.

27e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Dans le dictionnaire d'éthique et de philosophie morale, cette qualité est décrite par Gambetta comme un certain niveau de probabilité subjective grâce auquel un agent estime qu'un autre agent va accomplir une action particulière et dans un contexte où elle influe sur sa propre action. Une telle définition étant trop compliquée pour mon pauvre petit esprit, j'ai plutôt préféré celle proposée par Le Petit Robert qui la définit comme une espérance ferme ou encore comme l'assurance de celui qui se fie à quelqu'un ou à quelque chose. Il s'agit bien évidemment de la confiance.

Cette dernière est au c½ur des lectures de ce jour puisque sans elle l'amour ne peut exister. Même si le second récit de la création de l'être humain est mythique, il est bon de redécouvrir que l'homme a du attendre que la femme existe pour se mettre à parler, pour entrer en dialogue. Un dialogue qui lorsque teinté de sentiments se met à l'unisson dans une relation. A ce moment, deux êtres vont vers un. Il ne s'agit donc pas d'une fusion, d'une unité étouffante mais plutôt d'un souhait de se mettre en marche ensemble sur un même chemin. Tel est l'ambition de Dieu sur notre humanité.

Voilà ce qu'il attend de nous : l'amour comme si l'amour de Dieu se révélait à nous dans les relations d'amour que nous créons et construisons ensemble. Alors plutôt que de nous enfermer comme les pharisiens dans des codes de lois qui ne sont que le reflet de notre endurcissement, réjouissons-nous plutôt de ce que Dieu attend de nous et de l'amour qu'il nous invite à vivre dès maintenant. Mais il est vrai qu'aimer, c'est oser risquer. Risquer de souffrir car l'autre n'est jamais à l'image de ce que nous rêvons. Il reste pleinement lui-même, elle-même.

Aimer, c'est risquer de vivre des moments merveilleux et d'autres plus redoutables. Ressentir en soi, à la fois de la crainte et des espoirs fou. Accepter ce mystère de la rencontre, cette alchimie qui conduit les êtres à se rencontrer, se découvrir puis s'épanouir en s'aimant. Aimer n'est donc pas neutre puisque lorsque j'aime quelqu'un ce sont les fondements de mon être qui sont atteints. A nous alors de prouver, dans la relation, que l'amour existe. Et cela se fait tout simplement en faisant confiance. En ce sens, la confiance est une qualité existentielle nécessaire à l'accomplissement de toute vie terrestre. En effet, vivre dans la défiance pourrit l'existence puisque nous n'avons personne sur qui nous osons compter pour avancer.

Pire encore lorsque la défiance s'installe en nous vis-à-vis de nous car alors nous en arrivons à avoir peur de nous-mêmes, de nos réactions. Envahis par ce sentiment de solitude, nous prenons alors le risque de construire des murs qui nous éloignent de toute relation plutôt que de bâtir des ponts nous reliant les uns aux autres. S'il en est ainsi, il est possible d'affirmer que la défiance vis-à-vis de nous-mêmes ou des autres est dangereuse car non seulement elle empêche toute rencontre mais elle est également contraire à la mission divine qui nous a été confiée. D'où la nécessité de remettre la confiance dans la vie.

Ce qui n'est pas toujours facile surtout lorsque nous avons été blessés voire même trahis par des paroles, des gestes, des comportements. Pourtant sans confiance nous ne pouvons plus avancer. Nous tournons en rond, nous nous enfermons. Or, la confiance est le ciment, la pierre angulaire de la vie d'amour, de la vie de foi.

Cette qualité est d'ailleurs étonnante et complexe. Comme le dit Eric-Emmanuel Schmitt dans son dernier livre « Petits crimes conjugaux ». Nous n'avons pas confiance. La confiance ne se possède pas. Elle se donne. On « fait » confiance. Elle n'est donc pas innée et demande bien un acte de la volonté pour exister. C'est moi, et moi seul, qui décide de faire ou de ne pas faire confiance et ce, sur base d'une multitude de facteurs. Il y va donc de ma responsabilité personnelle. Il me suffit de le décider.

Ayant choisi de faire confiance, la vie devient légère. Je suis apaisé. En fait, je suis bien. Confiance en toi. Confiance en la vie. Confiance en Dieu. Tel est le sens de nos existences. Et c'est dans cette confiance-là que, dans quelques instants, après avoir proclamé ensemble notre foi, celles et ceux atteints par la maladie du corps ou de l'esprit pourront s'avancer en toute liberté pour recevoir le sacrement des malades. Sacrement de la confiance par excellence. Que notre prière les accompagne et que l'Esprit de Dieu vienne sur chacun d'entre nous pour que nous gardions à jamais cette confiance en Lui et en la vie et ce, par la foi qui nous anime.

Amen.

28e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Coulée André
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Pourquoi cet épisode de l'évangile a-t-il un air triste ? On a l'impression de quelqu'un qui vient de rater quelque chose, de passer à côté de quelque chose d'important. Et vr que dit Jésus semble très dur, presque inhumain. Est-ce vraiment là une bonne nouvelle ?

Jésus y va vraiment fort. On pourrait presque réagir comme après le discours sur le pain de vie où Jésus disait que pour vivre il fallait manger sa chair : « C'est pas possible C'est trop fort ! Qui peut l'écouter ? » Et pourtant c'est un chemin de libération que Jésus propose aujourd'hui. L'homme en question est un homme pieux, un bon pratiquant ; il semble béni de Dieu puisqu' il est riche ; (ps. 112) il a ce qu'il lui faut et bien plus. Et même il admire Jésus et le reconnaît comme maître de vie. Il voulait sans doute, pour être sûr de son salut, que Jésus lui donne confirmation que sa vie était en conformité avec les exigences de sa religion, qu'il connaît d'ailleurs fort bien. Il ne se doutait pas du courant d'air qu'il allait provoquer en lui ouvrant la porte avec sa question. Car Jésus lui propose le « plus » qui le rendra libre par rapport à cette angoisse quelque peu scrupuleuse de l'observation de sa religion : dépossède-toi, lui dit-il, donne et donc rends-toi libre, et viens avec moi. Mais lui dont la richesse semble être la preuve de sa fidélité religieuse ne parvient pas à aller plus loin et fait demi-tour, tout triste.

Ce que Jésus lui propose c'est d'ouvrir son c½ur autour de lui et d'aimer. Jésus le regarde et l'aime, sans doute parce qu'il sent en cet homme le désir mais aussi la capacité de faire plus, de ne pas rester fermé, concentré sur lui-même, sa sainteté, sa réussite spirituelle. Au lieu de tourner autour de lui-même, il est convié à répondre à l'amour de Jésus que celui-ci lui propose de partager : viens et suis-moi. Mais si tu veux aimer, il faut te débarrasser de ce qui peut obstruer l'amour. Quand tu auras tout donné, il ne te restera plus que l'amour à donner ; tu seras libre de donner ton amour, c'est-à-dire de te donner toi-même et d'être ouvert aux autres.

Dans ce texte, il ne s'agit pas d'un enseignement sur les richesses, mais sur la place qu'elles peuvent prendre dans la vie de quelqu'un. A un moment donné, elles risquent d'aveugler, ou du moins d'obscurcir la vue et surtout la volonté. Si notre c½ur est comblé par elles, il n'y a plus de place ni pour autre chose ni pour l'autre. Et quand je dis richesses, il peut s'agir de n'importe quoi qui me donne une position, qui me complaît en moi-même. Ce peut être les honneurs, les décorations, les médailles, mais aussi parfois l'envie de monter comme on dit dans l'échelle sociale. Ainsi, un père de famille qui mettrait toute sa force à monter et pour cela travaillerait tellement qu'il ne lui reste plus de temps ni d'attention pour ses enfants tellement il serait pris pas son succès.

Jésus invite à toujours mettre en premier, comme priorité absolue, le don de soi pour aimer. Et la condition première est de donner tout ce qu'on a. Alors, dit Jésus, viens avec moi et accompagne-moi sur ce chemin là. Ainsi Jésus propose non pas une espèce d'ascétisme de satisfaction personnelle de sainteté pour être le plus beau, le plus fort dans la vie spirituelle, mais une réelle libération de ce à quoi nous sommes attachés pour que notre c½ur puisse se remplir d'amour, du souci de l'autre. Cela, c'est la priorité, même sur certaines attaches familiales, mais surtout sur des attaches matérielles ou d'honneurs personnelles.

Jésus, lui aussi, s'est vidé de lui-même. Mais on ne peut se libérer sans lutter ; c'est même une expérience humaine. Je me rappelle avoir travaillé avec des jeunes en Afrique du Sud du temps de l'apartheid. Plusieurs me disaient qu'ils n'avaient pas de toit à eux, et qu'ils avaient quitté leur famille, qu'ils ne se mariaient pas maintenant car ils ne voulaient pas être attachés afin de se consacrer tout entier à la lutte pour libérer leur peuple, les autres. Il leur fallait être libres eux-mêmes, pour les autres. C'est la condition de la disponibilité et du bonheur de servir, auquel Jésus invite l'homme en question, c-à-d nous.

Si Jésus pose son regard sur cet homme pieux et droit qui vient le trouver et qu'il insiste et l'aime, c'est parce qu'il sait que cet homme est capable de plus que ce qu'il fait déjà. Il lui propose, comme à nous, un bonheur plus grand, celui de vivre plus fort à condition de rompre ses attaches, de se libérer dans le don de soi, dans une nouvelle relation aux autres et à Dieu. Ce matin les enfants ont fait un petit sketch qu'on aurait pu appeler « qui perd, gagne ». Un enfant part au camp veut garder sa tute dans sa bouche ; les autres se moquent de lui et l'isolent. Comment cet enfant pourrait-il être en relation avec les autres s'il garde sa tûût dans sa bouche. C'est en la perdant qu'il gagnera le lien avec les autres car il peut alors leur parler, et manger le bonbon qu'on lui donne, et rire. Il faut être libre pour aimer. De quelle tute allons-nous nous débarrasser pour vivre nous-mêmes selon le c½ur de Dieu : telle est la question posée par Jésus. La réponse : à nous de la donner, avec Dieu qui rend possible l'apparemment impossible.

29e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Gihoul Luc-Henri
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Un vieux proverbe dit » Il est plus agréable d'être premier dans son petit village que le second à Rome. » Que cherchaient vraiment Jacques et Jean en revendiquant une première place ? Cherchaient-ils des postes de PDG dans le Royaume ou voulaient-ils la récompense glorieuse du Royaume sans la croix ? Savaient-ils vraiment ce qu'ils demandaient ?

Par l'annonce de sa Passion, Jésus nous indique que son chemin aboutit à la croix glorieuse. Et voilà que Jacques et Jean, par leur demande, nous apparaissent comme les deux larrons voulant être de chaque côté de la croix ou voulant la gloire sans cette croix.

Oui, ils seront bien placés dans le Royaume mais après avoir été aux côtés de Jésus sur la croix de leur martyr. Le disciple n'est pas au-dessus de son maître. Personne ne peut entrer dans le Royaume sans passer par la porte. La porte, c'est moi dit Jésus. Passer par Jésus, c'est passer par le chemin de croix. Et cela comporte une renonciation à toute prétention, à tout orgueil, à tout avancement.

Mais voilà, quand on a lutté toute sa vie pour être honnête, quand on a respecté le culte, le bien d'autrui et la morale, quand on a essayé de construire un ménage régulier ou une vie vouée au service d'autrui, et quand on voit tous ceux qui ne pratiquent plus ou qui vivent insouciants, indifférents, voire malhonnêtes et qu'ils réussissent, comment ne pas attendre, au jugement dernier, une place d'honneur ?

Quand on vit dans un monde où il faut s'imposer en étant un « battant », où il faut réussir et gagner, comment ne pas souhaiter une Eglise qui gagne aussi, des chrétiens qui imposent leurs idées et qui ont du succès, et un Dieu qui triomphe, punit ou récompense, et qui donne, en finale, des places d'honneurs aux méritants ?

Les grands de ce monde, nous répond Jésus, font sentir leur pouvoir ou leurs privilèges mais dans vos communautés, qu'il n'en soit pas ainsi. Un jour, il ajoutera « celui qui veut être grand, sera votre serviteur. » Il s'était mis à genoux pour leur laver les pieds. « Désormais faites ceci en mémoire de moi » Etre accroché à la place d'honneur, c'est être accroché à la croix. Il ne s'agit pas de faire payer le méchant, le mauvais, le coupable. Il s'agit de payer de sa personne pour eux, de les sauver en les aimant.

Comme vous, j'ai vu les officiels à la tribune, les gros bonnets sur les estrades, et ceux qui ont battu des records, mis à l'honneur. Ils se tenaient debout comme pour éclairer le point d'arrivée. Ils s'étalaient. Mais ce verbe a deux sens, envahir ou s'écraser, s'épandre ou s'allonger. Je les ai vus ces grands selon le monde.

Mais, comme vous, j'ai vu aussi tous ceux qui s'en étaient allés comme ils avaient vécu, dans le silence et l'anonymat. Militants qui luttent au service des hommes et que tous ignorent, contemplatifs qui gardent en eux le pouvoir d'émerveillement de l'enfant et la grâce du merci de l'humble, petites gens qui se savent limités, faibles, caduques mais qui se reprennent courageusement chaque jour dans le travail, les soucis et les efforts. Ils se tenaient eux aussi debout, toujours debout et de très bonne heure mais pour montrer dans ce monde livré à la compétition et à la réussite que la route a un sens quand l'amour est le guide et que le chemin mène au bonheur même si la montée est escarpée et la fatigue, l'échec, au terme de la course. Je vois les humiliés, les exploités, les découragés, les perdants debout parce que je sais que l 'Amour de Dieu peut tout. C'est Dieu qui met debout. Quand Marc écrit ce texte en 44, Jacques a déjà été décapité.

Aussi, interpelle-t-il peut-être les chefs d'Eglise pour leur dire de n'abuser jamais du pouvoir, de quelque pouvoir que ce soit. C'est toujours d'actualité. Mais peut-être veut-il aussi dire à ses contemporains et à chaque croyant aujourd'hui que chaque fois que nous lèverons les yeux vers le Royaume et vers le Seigneur, nous verrons toujours deux pauvres gars, l'un à droite, l'autre à gauche, et lui, Jésus, au milieu d'eux.

Notons que les termes employés pour « gauche » comportent un enseignement. Notre mentalité habituelle classe les gens en bons, à droite, et en mauvais, à gauche. Le radical du terme utilisé ici pour gauche signifie « excellent » ou « bien nommé ». Que peut-on souhaiter de mieux ! Que la droite soit bonne, c'est assez clair. C'était le côté de l'Orient, du soleil levant. Quant à la gauche, la voilà réhabilitée. Elle est excellente et bien nommée par Jésus car elle représente la mentalité humble et pauvre de la nouvelle Révélation.

Dans la Nouvelle Alliance, l'amour est allié à l'humilité, la sainteté à la faiblesse, la ferveur au doute. Jésus n'avait-il pas envoyé ses disciples par deux ! Dans l'ordre du Royaume voulu par Jésus, il n'y a ni supériorité, ni marginalité.

Avant de terminer, il y a lieu de mettre en garde contre l'indignation des autres apôtres face à la revendication de Jacques et Jean. Une telle indignation est facile et nous la trouvons secrètement réconfortante. Elle est parfois un brevet de supériorité et de vertu que se décerne celui qui s'emporte contre la suffisance et l'orgueil d'autrui. Mais, est-on si certain de sa propre pureté d'intention lorsqu'on proteste ainsi contre tel arriviste qui a réussi en marchant sur les pieds des autres ? Cela ne pourrait-il pas cacher une secrète jalousie, un dépit de n'avoir pas réussi soi-même ou une crainte de voir entamer ses propres privilèges ?

Que de fois, comme Jacques et Jean, ne profitons-nous pas de nos « relations » pour faire pression, obtenir quelque avantage ou succès ! Que de fois ne cherchons-nous pas, dans nos églises ou nos communautés, des assurances sur les évolutions des temps ! Que de fois n'avançons-nous pas en déviant du chemin ! Comme Jacques et Jean, nous sommes prêts à payer de notre personne, à boire à la coupe de déréliction, mais à condition que vienne la coupe de bénédiction, à condition d'être reconnus et appréciés. Jésus interpelle toutes les formes de pouvoir et de pression. Ils sont nécessaires mais doivent servir et ne pas abuser de leurs privilèges. C'est du moins ce que doivent faire les disciples car parmi eux, il n'est ni carrière, ni galons ni titres.

Le Royaume n'est pas à prendre. Il est donné. S'il est à prendre de haute lutte, c'est à la force de l'amour. Nos titres ou nos médailles, nos qualités, ministères ou compétences ne sont rien si nous ne vivons pas de l'amour- service. Nous ne sommes pas là pour être servis mais pour donner humblement vie. La gloire est celle de la croix, c'est à dire de l'amour souffrant, caché, pardonnant.

Vouloir la belle réussite de ses propres projets et la réussite fécondante du Royaume est une ½uvre exigeante d'amour et de fidélité. C'est la vie donnée du Serviteur souffrant. A la croix, encadrant Jésus, il y a deux brigands, à droite et à gauche. Mais ici, plus question d'honneur ou de récompense. Il est question de solidarité à travers la souffrance et le trépas. Tout l'Evangile est là : pour vouloir tout réussir, accepter de tout perdre, pour tout retrouver un jour, en perfection, dans l'amour, éternellement. Soyons fidèles à l'esprit quotidien qui nous anime, comme nous tentons cette fidélité à la grâce du Seigneur qui nous est quotidiennement livrée et que nous reprenons chaque matin ou chaque soir, avec espoir, comme en cette eucharistie.

29e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Dans la vie, il y a une chose dont j'ai vraiment horreur et je ne puis pourtant m'en passer car cela m'est drôlement nécessaire, c'est de conduire. Je n'ai vraiment aucun plaisir à me trouver derrière un volant. Je suis en fait né pour me laisser conduire. Alors parfois je me mets à rêver d'avoir à ma disposition un chauffeur qui me conduirait là où je dois aller. Cette perspective n'est hélas pas à l'ordre du jour, elle est même carrément utopique. Alors, permettez-moi de faire une petite annonce en ce début de sermon : si quelqu'un parmi vous, ayant du temps libre, souhaiterait bénévolement occuper une telle position, je me tiens, bien évidemment à sa disposition à la sortie de cette célébration. Il me rendrait effectivement un immense service.

L'évangile de ce jour ne tombe pas mieux pour envoyer un tel message à cette assemblée puisqu'il nous convie à revisiter cet état d'esprit qu'est le service. " Le Fils de l'homme n'est pas venu pour être servi, mais pour servir ". Morale de l'histoire, ce n'est plus à vous de devenir mon chauffeur mais à moi d'être le vôtre si je comprends correctement la phrase du Christ.

Nous sommes, toutes et tous, dans la foi, appelés à devenir les serviteurs les uns des autres. Et ce n'est pas toujours facile car lorsque je me mets à servir, je peux avoir le sentiment de perdre une partie de moi c'est-à-dire de ma fierté, de l'idée que je me fais de mon être en me mettant à la disposition d'autres. J'accepte de ne pas être vu comme " un grand de ce monde ".

Et voilà que l'évangile nous fait découvrir que nous n'avons absolument rien compris à la grandeur de l'être humain envisagée dans une perspective divine. Pour notre société, les gens biens, importants, sont souvent ceux qui ont une certaine aura, un pouvoir, une autorité comme si leur grandeur était liée à leur puissance ou à la reconnaissance des autres. Cette grandeur est en fait bien petite aux yeux de Dieu. Car pour lui, la grandeur de l'être se mesure dans sa capacité de servir. Un peu comme si la maxime de la foi devenait " ma vie est service ", toutefois, sans pour autant nier que très souvent, lorsque je me mets à servir, cela me fait du bien, cela donne sens à mon existence car au fond de moi, je dois bien admettre que j'en ai tout simplement besoin.

Le Christ nous invite ainsi à devenir serviteurs, à servir tout ce qui arrive c'est-à-dire les gens comme les situations, cependant sans jamais prétendre être le maître. En effet, en servant, nous ne sommes qu'un intermédiaire entre la personne que nous servons et Dieu, le " Très-Tout " comme dirait Christian Bobin. Nous sommes donc nés pour servir et si nous nous inscrivons dans l'histoire de l'humanité, chacun de nous est un " très peu " tout en restant grand à ses yeux ainsi qu'à ceux de Dieu. Mais tout " très peu " que nous soyons, nous avons une tâche essentielle à accomplir : servir. Dans cette perspective être quelqu'un " très peu " n'est pas être une personne qui s'écrase et se diminue face à la grandeur de Dieu.

Absolument pas, se reconnaître " très peu ", c'est accepter d'être un maillon infime dans la chaîne de l'humanité mais un maillon qui a un rôle essentiel à jouer lors de son pèlerinage terrestre. En étant " très peu ", j'accepte les tâches de service qui me sont confiées à mon niveau. Je ne veux pas occuper une meilleure place en croyant que je pourrais être le "Très tout " : d'ailleurs cette place n'est pas notre affaire : Dieu est un souci pour Dieu, pas pour nous. Nous, en tant que " très peu ", nous avons déjà assez de services à donner comme ça avec chaque jour qui naît, qui meurt et recommence. Etre serviteur les uns des autres est la tâche la plus noble qui soit sur cette terre.

Et dans la vie, nous sommes très souvent servis et parfois sans nous en rendre compte. En effet, combien de fois, par exemple, portons-nous dans nos prières les personnes qui discrètement nettoient nos églises chaque semaine pour que nous nous y sentions bien ? Reconnaissons-nous la valeur de celles et ceux qui nous servent partout où nous allons : magasins, restaurant, administrations ? A qui accordons-nous du pouvoir : aux grands de ce monde selon Jacques, Jean et les disciples qui veulent occuper une place importante ou bien aux grands selon Jésus c'est-à-dire celles et ceux qui portent le nom de serviteurs ou de servantes ? Voulons-nous le pouvoir et la reconnaissance ou nous sentir plus proche de Dieu ?

Dieu n'est pas toujours là où nous l'attendons mais ce qui semble de plus en plus clair c'est qu'il se révèle à nous aujourd'hui au c½ur de notre monde dans les visages de tous ceux et celles qui nous servent.

Puissions-nous ne plus jamais l'oublier et devenir à notre tour visage de Dieu par notre disponibilité aux autres.

Amen.

2e dimanche de l'Avent, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Avent
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Mc 1, 1-8

Il avait les cheveux teint en rouge mais un rouge très vif. Une boucle d'oreille à chaque oreille, un piercing sur la langue, un dans le nez et quatre sur l'arcade sourcilière gauche. Enfin, sur son cou apparaissait la tête d'un serpent qui était tatoué. Le choc était déjà suffisant pour ne pas en rajouter avec des détails concernant sa tenue vestimentaire. Et voilà qu'il s'avance tout en confiance vers un groupe de personnes qui ne le connaissaient pas. Elles sont légèrement intriguées et c'est plutôt un euphémisme. Une certitude, il ne fait pas partie de leurs relations et espèrent que leurs enfants ne fréquentent pas ce type de garçon. Il vient vers elles, s'arrête et se met à leur parler de ce qu'il croit, ce qui le fait vivre. Ces personnes, elles s'étonnent de son bon sens, de la profondeur de ses propos et voilà qu'elles se mettent à discuter avec lui. Qui aurait cru cela alors qu'elles avaient tant de préjugés au départ.

Des préjugés nous en avons tous et c'est tant mieux parce que s'il n'y avait pas de préjugés pourrions-nous vraiment nous rencontrer ? C'est vrai, il y des préjugés favorables. Quand nous voyons quelqu'un pour la première, même sans le vouloir, nous l'observons, nous repérons des signes qui nous rassurent, nous constatons que nous avons les mêmes codes de conduite en société et j'en passe. De manière quasi-naturelle, nous mettons en place ces préjugés. Ils nous réconfortent dans la rencontre des différences. Puis il y a les autres, ceux que nous n'arrivons pas à dépasser. Nous n'avons plus de repères et voilà que nous avons alors des préjugés négatifs. Ils sont parfois justifiés, nous faisons confiance à nos intuitions. Mais il arrive également que parce que nous nous sommes enfermés dans certains préjugés nous passons à côté d'une occasion de rencontre, de mûrissement personnel, de découverte. Ces préjugés-là tuent les relations humaines.

Il me semble qu'un parallélisme pourrait être fait avec l'époque de la prédication de Jean le Baptiste. Les contemporains du Christ ont dû également dépasser un certain nombre de préjugés pour partir à sa rencontre et surtout être capable d'entendre ce qu'il avait à dire ou mieux encore à proposer comme chemin de vie. Et voilà qu'au c½ur du désert de notre propre histoire, de ce désert où il fait bon venir se poser, se reposer pour mieux reprendre la route, voilà qu'une voix du plus profond de notre être nous crie : préparez le chemin du Seigneur, aplanissez sa route. Nos chemins intérieurs sont un peu comme nos caves ou nos greniers : lieux idéaux pour accumuler un ensemble de choses. Elles sont là, parfois depuis des années et elles encombrent. Tout comme nous aussi nous sommes parfois encombrés de tant de choses : des paroles qui ont dépassé notre pensée, de gestes que nous n'arrivons pas à comprendre, d'actes qui ont fait souffrir, de blessures qui n'arrivent pas à se cicatriser. Et tout cela nous encombre, c'est-à-dire nous empêche de nous mettre debout et d'avancer pour, à notre propre rythme, vivre de cette vie qui nous est promise en Dieu.

Alors aujourd'hui nous sommes conviés à vivre un moment de souvenir, à nous rappeler tout ce qui nous encombre pour mieux pouvoir nous désencombrer de nous-même et des autres. Il ne s'agit certainement pas d'oublier. En effet, il nous est impossible de décider d'oublier. Non il s'agit de nous rappeler des événements, des mots, des gestes. De nous en rappeler pour les intégrer à notre histoire. Reconnaître que c'est aussi par eux que je suis qui je suis aujourd'hui. Que j'ai été tant façonné dans le bonheur que dans les épreuves.

Faire acte de souvenir pour que ce dernier devienne douceur à ma mémoire. Je ne comprendrai sans doute jamais tout mais cela importe peu. En effet, nous chante St Jean dans sa première Lettre, " si notre c½ur nous condamne, Dieu est plus grand que notre c½ur et il connaît toute chose ". C'est sans doute une des phrases les plus libératrices de tout le Nouveau Testament. Oui, Dieu est plus grand que notre c½ur, c'est pourquoi il nous invite à entrer sans crainte dans une démarche de réconciliation avec lui. Même si certaines choses nous échappent encore, Dieu dans son infinie bonté viens prendre notre main pour nous relever. Entrer en réconciliation avec Dieu, c'es entrer dans une démarche de mémoire, de souvenir, non pas pour se culpabiliser mais pour se libérer de tout ce qui nous empêche de devenir nous-mêmes. Dieu n'a pas de préjugés, il nous aime tel que nous sommes et veut avant tout notre bonheur sur cette terre. Il est plus grand que notre c½ur. Puissions-nous ne pas l'oublier.

Amen.

2e dimanche de Pâques, année B

Auteur: Coulée André
Temps liturgique: Temps de Pâques
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

A Yaoundé, au Cameroun, j'étais responsable de la catéchèse scolaire d'un lycée. Un jour, une jeune fille de 17 ans arrive en retard. Elle se justifie : j'ai rencontré mon oncle sur la route, cet oncle qui était décédé plusieurs mois auparavant. Sceptique comme savent l'être des blancs devant certains phénomènes étranges, j'essaie de lui dire qu'elle a sans doute dû penser fort à lui pour le voir ainsi et que si les esprits des morts peuvent bien être présents, cela n'était pas possible que le corps soit à la fois au cimetière et sur sa route. Il faudrait que je le voie pour y croire. Et elle de me répondre : Si vous ne me croyez pas, pourquoi m'obligez-vous à croire que Jésus est ressuscité ? J'avoue être resté un peu paf sur le moment car mes arguments pour la convaincre que ce n'était pas son oncle en chair et en os se retournaient contre moi, pauvre maître en catéchèse que j'étais. Eh oui ! Thomas le Jumeau n'est pas mort ; nous sommes enclins à dire la même chose. Aujourd'hui encore si quelqu'un nous raconte un fait merveilleux, n'allons-nous pas lui demander de nous le montrer pour y croire ?

Et pourtant !...Tous les récits de la résurrection nous montrent ceci : en fait ce qu'on croit, ce n'est pas ce qu'on voit, mais autre chose. Tenez : quand Jean et Pierre courent au tombeau, Jean raconte qu'il arrive le premier et voit le tombeau vide avec les bandelettes et le linceul plié. Et il dit qu' " il a vu et qu'il a cru ". Mais qu'est-ce qu'il a vu : une grotte vide. Qu'est-ce qu'il a cru : Jésus est vivant (or il ne l'a pas vu) Il en va de même des femmes qui interpellent le jardinier qu'elles voient Ainsi également les disciples d'Emmaüs : ils rencontrent un étranger qui dit ne rien savoir de ce qui s'est passé à Jérusalem. Bien. A la fin du récit, cet étranger disparaît et ils reconnaissent que c'était Jésus et le proclament vivant. Et Thomas ? le récit de ce jour dit que Jésus lui présente ses plaies à toucher, mais Thomas ne dit pas : bonjour Jésus, heureux de te revoir, mais " voilà mon Dieu ", il croit Dieu.

La foi dépasse ce qu'on voit ou entend ; elle est d'un autre ordre. Quand on voit quelque chose, c'est une évidence, ce n'est pas la foi (c'est pourquoi la foi disparaît dans la vie éternelle). En fait ce que nous voyons peuvent être des signes qui nous donnent des indications ; et la foi nous invite à pénétrer et à croire ce qu'il y a derrière ces signes. Ainsi Marie reconnaît Jésus quand le jardinier l'appelle par son nom : elle reconnaît sa voix Les disciples d'Emmaüs reconnaissent Jésus vivant quand ils voient cet étranger rompre le pain et le partager : ils reconnaissent un geste fait par le Christ avant sa mort.

Tout cela c'est très bien, mais aujourd'hui ? A qui, ou à quoi se fier pour croire ? Tout simplement à nous à qui le Seigneur a confié la même mission qu'il avait lui-même reçue de son Père : " De même que le Père m'a envoyé, moi aussi je vous envoie " C'est notre responsabilité, Jésus nous en donne le mandat. Oui, Jésus est venu pour sauver le monde, afin que les gens croient que l'amour du Père les fait vivre. Lui parti, c'est à nous de continuer cette mission. Et pour cela il nous donne son esprit qui est l'Esprit de Dieu. En disant cela c'est à tous ses disciples qu'il s'adresse, pas seulement aux apôtres ; c'est donc à nous tous qu'il confie la mission de remettre les péchés, c'est-à-dire d'offrir le salut, dans la foi.

C'est extraordinaire : voilà que nous, communauté des croyants, nous avons pour mission d'aider les hommes et les femmes de notre époque à croire. C'est nous qu'ils voient, mais c'est en Jésus, envoyé du Père, qu'ils sont appelés à croire.

Nous pouvons dès lors mieux comprendre l'importance de la première lecture qui nous décrit, avec quelque idéalisme certes, la première communauté chrétienne. C'est à la vue de cette communauté, nous disent les Actes des Apôtres, "que chaque jour ceux qui étaient appelés au salut entraient dans la communauté des croyants " et donc, à leur tour, croyaient.

De le même façon que Jésus invite à croire qu'il est vivant en se manifestant à travers d'autres personnes : faisant réentendre sa voix, accomplissant des gestes déjà connus de ceux qui avaient vécu avec lui : pêche miraculeuse, fraction du pain ; ainsi nous, communauté chrétienne, c'est à notre tour en annonçant la même parole de Dieu, en refaisant les mêmes gestes sauveurs que le Christ avant accompli, en guérissant les malades, en étant attentifs aux pauvres et aux exclus, et surtout en vivant en communion le partage, c'est dans notre fidélité à cette parole de Dieu et aux actes qu'elle entraîne, que nous annonçons aussi le salut, c'est-à-dire que Jésus est vivant et que tous les êtres humains sont donc appelés à la vie. La connaissance de la parole du Christ, notre fidélité à cette parole, aideront les gens à voir ce que nous sommes et à croire à travers nous au Dieu de Jésus-Christ, vivant ; à recevoir ainsi le salut proposé par Dieu dans la foi.

Au tombeau les gardes ont vu la même chose que Jean, Pierre et les femmes, mais ils n'ont pas cru ! Pourquoi ? Quelle est l'expérience qui permet de croire ? Je pense que c'est l'accompagnement quotidien de Jésus et l'amitié qui en naît qui ouvre les yeux et rend disponible au don de la foi, en nous donnant un regard autre. Autour de nous, le Christ ressuscité pourra être discerné grâce aux attitudes hommes ou de femmes qui manifesteront par leurs gestes et paroles la présence vivante de Jésus en eux, et dans la communauté que nous sommes.

Telle est notre mission : la réception du don de la foi, venant de Dieu, dépend aussi de la façon dont dans notre communauté nous ferons revivre le Christ et ses attitudes. Le corps du Christ que Thomas voulait toucher, c'est aujourd'hui le corps de notre communauté qu'on peut voir et toucher et qui aidera d'autres personnes à croire non pas nous, mais celui dont nous vivons : Jésus ressuscité, fils de Dieu.

2e dimanche ordinaire, année B

Auteur: Cochinaux Philippe
Temps liturgique: Temps ordinaire
Année liturgique : B
Année: 2002-2003

Permettez-moi de vous parler de ma grand-mère. A l'aube de sa vie éternelle, ce qu'elle appréciait le plus au monde je crois, c'était qu'un de ses enfants ou petits-enfants, vienne chez elle le samedi soir non pas pour passer la soirée avec elle spécialement mais plutôt pour pouvoir se rendre à la messe du dimanche matin à 8 heures à laquelle elle ne pouvait plus assister vu son âge. L'un d'entre nous y allait muni de sa custode. La voici, c'est ce qui me reste d'elle aujourd'hui. Puis nous rentrions à la maison familiale pour lui préparer une petite table décorée d'un napperon, d'une petite croix, de quelques fleurs et de la custode contenant l'hostie. Avec elle, nous regardions ensuite la messe télévisée. Comme m'a grand-mère était une femme de grand goût, elle regardait l'eucharistie proposée sur Antenne 2, vous savez celle qui est sous la direction des frères dominicains de France. Elle avait vraiment beaucoup de goût et qui sait si ma vocation n'est pas née devant le petit écran. Cela nous faisait du bien d'entendre une prédication dans notre langue puisque celle de 8 heures était en flamand. Nous l'accompagnions de la sorte dans sa démarche de croyante et nous étions tous impressionné par la ferveur de sa foi durant cette heure-là.

Un témoignage qu'aucun de ses descendants n'a pu oublier jusqu'à ce jour. Pourquoi vous parlez de ma grand-mère me direz-vous ? Tout simplement parce que je vois un lien entre son exemple et les lectures de ce jour. Ce qui est frappant tant dans le récit de Samuel entendu dans la première lecture que dans celui de l'évangile de Jean, c'est que nous n'allons pas directement à Dieu. Nous allons à Dieu par d'autres personnes : le prophète Elie pour Samuel, Jean-Baptiste pour les premiers apôtres. C'est comme s'il y avait une triangulation entre Dieu et nous. Je trouve cela en effet plutôt rassurant.

Il est vrai que j'ai toujours eu énormément de difficultés, voire même d'incompréhension personnelle, avec cette idée de l'appel. Comme si Dieu nous appelait en ligne directe. Je n'y ai jamais cru. Cela m'a toujours paru quelque chose d'irréaliste. Si je parle en " je ", c'est parce que je ne veux pas heurter celles et ceux qui pensent avoir vécu ce type d'expérience spirituelle. C'est leur vérité et elle leur appartient. Pourtant l'appel de Dieu existe bien mais il est d'abord et avant tout un appel à vivre la vie. Il y a aussi les affirmations du type : " Dieu m'a dit ", " Jésus veut que je fasse ceci ". Je n'ai jamais compris comment il était possible d'affirmer cela mais peut-être que je manque un peu de foi. Dieu parle-t-il en ligne directe à certains et serait muet pour presque l'humanité entière ou encore, cette dernière serait-elle atteinte de surdité ? Je n'en sais rien mais en tout cas cela semble aller tout à fait à l'encontre des lectures de ce jour.

Si Dieu s'adresse à un membre de son peuple, il le fait par l'intermédiaire d'une tierce personne qui partage notre condition humaine et c'est sans doute cela une des merveilles du dessein divin. Dieu me parle, aujourd'hui encore, mais par un des miens. Il n'utilise pas des moyens magiques, exceptionnels, surnaturels. Non, il me demande tout simplement de prendre le temps de le trouver, le rencontrer dans les paroles de quelqu'un que je croise. Dieu nous parle par l'intermédiaire que chacune et chacun d'entre nous. De la sorte, nous devenons, ici sur cette terre non seulement images de Dieu mais également paroles de Dieu. Dieu a donc vraiment besoin de nous. Il y a comme une responsabilité à laquelle nous sommes appelés. Nous sommes chacune et chacun à notre manière des témoins de la présence divine sur cette terre. Nous pourrions peut-être même aller jusqu'à affirmer que la relation entre Dieu et tout individu se vit de la manière suivante. Nous pouvons nous adresser directement à lui dans l'intime de notre c½ur, dans le silence de notre être. Nous lui parlons comme à un ami avec les mots de la tendresse et de la confiance. Et Dieu, il nous répond. Il nous répond toujours.

A nous de découvrir de quelle manière. Dieu s'adresse à nous par les mots, les gestes de l'un d'entre nous. Je vais donc à Dieu par l'autre, c'est toute l'importance de la transmission de la foi. Lorsque je l'ai rencontré personnellement, je m'adresse à lui directement et Lui, Dieu, il vient à moi par un de mes contemporains. La boucle est ainsi bouclée. La relation est ainsi triangulée mais Dieu n'est-il pas Trinité ? Et nous, ne sommes-nous pas appelés à partager sa divinité ?

Amen.